• Pr Alain Cohen-Solal : Insuffisance cardiaque : La polythérapie, efficace et bien tolérée

Alain Cohen-Solal

Discipline : Cardiologie

Date : 17/01/2023


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Le traitement de fond associe des bloqueurs du système rénine-angiotensine (IEC ou ARA2), des bêtabloquants et de l’anti-aldostérone. Et, depuis 4 à 5 ans, on ajoute des inhibiteurs SGLT2, rappelle le Pr Alain Cohen-Solal, cardiologue à l’hôpital Lariboisière à Paris.

 

TLM : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est l’insuffisance cardiaque ?

Pr Alain Cohen-Solal : L’insuffisance cardiaque (IC) correspond à l’incapacité du cœur à adapter son débit sanguin aux besoins de l’organisme. On distingue trois formes d’insuffisance cardiaque : l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection du ventricule gauche réduite (<40%), l’IC à FEVG modérément réduite (41-49%) et l’lC à FEVG préservée. Dans ce dernier cas, le problème est lié à la difficulté qu’a le cœur à se remplir. C’est une forme d’IC en forte croissance, que l’on rencontre davantage chez les personnes âgées, notamment chez les femmes. La New York Heart Association (NYHA) distingue quatre classes d’insuffisance cardiaque, suivant l’importance de la gêne fonctionnelle, qui vont de la classe 1 peu ou asymptomatique, jusqu’à la classe 4 où le patient est essoufflé au moindre effort.

 

TLM : Une campagne de sensibilisation aux symptômes d’alerte a été lancée fin septembre. En quoi était-elle nécessaire ?

Pr Alain Cohen-Solal : L’insuffisance cardiaque est une pathologie extrêmement fréquente qui reste pourtant méconnue du grand public mais aussi des médecins. Ses symptômes, en raison de leur manque de spécificité, sont souvent confondus avec ceux d’autres pathologies : l’essoufflement est attribué à des problèmes respiratoires, la prise de poids à une mauvaise alimentation, l’œdème et la fatigue à bien d’autres causes.

Résultat, les patients laissent traîner ou sont mal pris en charge. Or cette maladie a un impact très délétère sur leur qualité de vie, au moins autant qu’un cancer ! En outre, c’est une maladie qui coûte cher à la société car elle est pourvoyeuse d’un grand nombre d’hospitalisations, c’est même la première cause après 80 ans. Malgré les progrès thérapeutiques indéniables qui ont été réalisés ces dernières années, son pronostic à cinq ans reste pire que celui de beaucoup de cancers. L’Assurance maladie a enfin pris conscience de sa forte prévalence (1% chez les moins de 60 ans, 10% chez les plus de 80 ans). Il était temps !

 

TLM : Existe-t-il un profil type de patients ?

Pr Alain Cohen-Solal : Dans la majorité des cas, l’insuffisance cardiaque se développe chez les personnes dont les facteurs de risque sont passés inaperçus ou n’ont pas attiré suffisamment l’attention : tabagisme, surpoids ou obésité, diabète, hypercholestérolémie, hypertension artérielle, valvulopathie due à une sténose mitrale ou aortique, amylose chez les personnes âgées. Plusieurs cas surviennent également après des chimiothérapies suivies dans le cadre d’un cancer. Avant la ménopause, les femmes sont protégées par leurs hormones et les patients sont pour la grande majorité des hommes ; mais après 50 ans, on observe un rattrapage dû notamment au tabagisme et à la sédentarité très importants dans la population féminine.

 

TLM : Le retard au diagnostic s’explique-t-il par sa complexité ?

Pr Alain Cohen-Solal : Pendant longtemps, le diagnostic était réalisé uniquement à partir du tableau clinique présenté par le patient, et donc avec retard par rapport à l’évolution de la maladie. Il pouvait être posé plus précocement si une radiographie pulmonaire montrait un cœur gros ou si un électrocardiogramme révélait une hypertrophie ventriculaire gauche. Mais depuis la découverte de marqueurs spécifiques, les peptides natriurétiques BNP et NTproBNP (valeurs normales respectivement <100 pg/L et <400 pg/L), un simple dosage permet de diagnostiquer ou d’exclure une insuffisance cardiaque. Il aide à distinguer cette pathologie d’une atteinte pulmonaire sévère présentant souvent les mêmes symptômes. Il est particulièrement utile dans les insuffisances cardiaques débutantes pour lesquelles les données échocardiographiques peuvent être prises en défaut. Il doit donc systématiquement être ajouté au bilan biologique classique (cholestérol, créatinine, NFS...) d’un patient à risque et entrer dans la routine des médecins généralistes et des diabétologues. Audelà du diagnostic, le dosage du BNP et du NT-proBNP sert au suivi des patients traités et présente une bonne valeur pronostique : si leur valeur augmente malgré l’absence de symptômes, cela signifie que le patient risque de décompenser, il faut donc le traiter sans attendre.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge ?

Pr Alain Cohen-Solal : Elle repose principalement sur un traitement de fond associant des bloqueurs du système rénine-angiotensine (IEC ou ARA2), des bêtabloquants et de l’anti-aldostérone. Depuis quatre à cinq ans, on ajoute, dans le cas des IC à FEVG réduite des inhibiteurs SGLT2. Les insuffisances cardiaques à fraction d’éjection préservée (>50 %) devraient prochainement bénéficier de ces molécules dont les effets sur les risques d’hospitalisation et la morbi-mortalité sont remarquables. Cette polythérapie est très efficace et bien tolérée. Sauf dans de rares situations, en cas de myocardite par exemple, elle doit être suivie à vie. Parallèlement, en fonction des symptômes, on propose des diurétiques de l’anse à des doses plus ou moins élevées selon la sévérité de l’atteinte. Certains dispositifs ont également leur place, comme la pose d’un stimulateur cardiaque pour resynchroniser le cœur, augmenter la fraction d’éjection et améliorer les symptômes en cas de bloc de branche gauche, le défibrillateur pour les IC à FEVG basse (<30 %), les techniques percutanées en cas de valvulopathie, ou encore l’ablation de la fibrillation auriculaire pour prévenir les rechutes.

Les patients sont évidemment fortement incités à modifier leur hygiène de vie afin de corriger leurs facteurs de risque : arrêt du tabac, alimentation saine et équilibrée —sans sel s’ils sont symptomatiques— et surtout pratique régulière d’une activité physique. Pour ne prendre aucun risque, celle-ci peut être encadrée au début et surtout prescrite après s’être assuré via un test d’effort suivi d’une réadaptation à l’hôpital que le patient peut s’y adonner.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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