• Pr Agnès Hartemann : Dans quelles conditions décider de la mise sous insuline d’un patient

Agnès Hartemann

Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition

Date : 06/07/2023


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Dans un contexte d’escalade thérapeutique, lorsque le patient atteint de diabète de type 2 ne peut pas se mobiliser pour mieux s’alimenter, lutter contre l’excès de poids et la sédentarité, nous pouvons lui proposer une prise en charge par insuline, décrypte la Pre Agnès Hartemann, cheffe du service de Diabétologie de l’hôpital Pitié-Salpétrière (Paris).

 

TLM : Combien de patients en France sont-ils traités par insuline ?

Pr Agnès Hartemann : Selon les derniers chiffres de la Haute Autorité de santé datant 2021, 858 000 personnes en France seraient traitées par insuline.

Pour 350 000 d’entre elles, il s’agit de patients atteints de diabète de type 1 recevant de l’insuline, selon un protocole très précis. Il y aurait aussi plus de 500 000 personnes recevant de l’insuline pour un diabète de type 2. Ce diabète est désormais la première cause de mise sous insuline, nettement avant le diabète insulinodépendant.

 

TLM : Dans quel contexte les patients souffrant de diabète de type 2 sont-ils mis sous insuline ?

Pr Agnès Hartemann : Cette prescription se fait dans un contexte d’escalade thérapeutique. Si le patient atteint de diabète de type 2 ne peut pas se mobiliser pour mieux manger, lutter contre l’excès de poids, contre la sédentarité, s’il ne peut pas faire d’exercice physique, l’histoire naturelle de la maladie fait que son diabète va progressivement se dégrader. Dans ce cadre, nous sommes amenés à augmenter le nombre de médicaments antidiabétiques au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. A un moment donné, nous pouvons finir par proposer une prise en charge par insuline.

 

TLM : A quel stade de la maladie diabétique précisément proposez-vous ce traitement par insuline ?

Pr Agnès Hartemann : Tout dépend du patient, de ses comorbidités, du niveau de son hémoglobine glyquée (HbA1c) et des objectifs que l’on s’est fixés en la matière.

Pour un patient encore jeune, la mise sous insuline peut être envisagée lorsque l’hémoglobine glyquée dépasse 7%. Pour les patients plus âgés présentant des comorbidités, le traitement par insuline est proposé lorsque ce taux est supérieur à 8%. Enfin, pour des malades ayant une espérance de vie courte, dépendants ou vivant en institution, l’insulinothérapie sera prescrite lorsque l’hémoglobine glyquée est supérieure à 9%. Par ailleurs, il faut savoir que quasiment tous les médicaments antidiabétiques, sauf l’insuline, sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale sévère.

 

TLM : Existe-t-il d’autres situations justifiant un traitement par insuline chez les diabétiques de type 2 ?

Pr Agnès Hartemann : Un autre contexte qui justifie la mise en place d’un traitement par insuline est l’apparition d’une carence aiguë en insuline chez un patient diabétique de type 2 connu. Cette carence aiguë en insuline peut survenir soit parce qu’il y a eu de grands écarts de régime, trop de boissons sucrées ou encore parce qu’il a décompensé son diabète en raison d’une infection sévère. Dans ce contexte, le patient peut présenter une carence aiguë en insuline, avec polyurie, polydipsie, polyphagie. Le médecin généraliste consulté découvre alors que le patient présente une glycémie beaucoup trop élevée, supérieure à 2,5g/l à jeun. Le patient est alors mis provisoirement sous insuline pendant quelques jours, le temps de normaliser sa glycémie.

 

TLM : Comment faire face aux éventuelles réticences des patients à l’égard de l’insuline ?

Pr Agnès Hartemann : Les patients souffrant de diabète de type 2 ont souvent peur d’être traités par insuline. Dans la majorité des cas, il est possible de prendre son temps pour expliquer les choses. Le patient pense que si on le traite par insuline c’est parce que sa maladie est devenue grave. Il faut lui dire que ce n’est pas la maladie qui est plus grave, mais les traitements qui sont moins efficaces. Il faut lui rappeler que l’insuline est un produit de substitution d’une hormone naturelle, les autres médicaments eux étant issus de la chimie. Il est possible de lui proposer d’essayer l’insuline pendant une ou deux semaines et d’arrêter si cela ne va pas… Il faut dédramatiser l’injection, montrer les stylos injecteurs, l’aiguille très courte, lui apprendre à piquer dans un objet en caoutchouc. Nous leur disons : « Faites une première injection ce soir et vous verrez, dès le lendemain, que votre glycémie sera déjà améliorée ».

 

TLM : L’éducation thérapeutique permet-elle d’améliorer la prise en charge des patients ?

Pr Agnès Hartemann : Nous disposons d’une équipe d’infirmières dédiée à l’éducation thérapeutique. L’infirmière explique et montre comment et où piquer. En cas de difficultés, une infirmière à domicile peut venir pendant une semaine faire l’injection avec le patient jusqu’à ce qu’il devienne autonome. De manière générale, le traitement commence par une injection d’insuline lente le soir, pour contrôler la glycémie du matin. L’éducation thérapeutique vise aussi à apprendre au patient à « titrer » son insuline. Il commence avec 8 à 10 unités le soir. Puis il doit augmenter de 2 unités tous les trois jours, jusqu’à ce que la glycémie du matin soit à l’objectif, c’est-à-dire entre 0,8 et 1,30 g/l si l’objectif est strict, ou entre 1,3 et 1,6 s’il est plus souple. Souvent les patients n’osent pas trop augmenter les doses. Alors que, parfois, la dose finale peut être de l’ordre d’une unité par kilo, soit pour une femme de 60 kilos 60 unités par jour. Les patients paniquent dès qu’ils dépassent 20 unités par jour. Il faut donc les accompagner dans ce titrage. Dans le cadre de l’éducation thérapeutique, il est important aussi de faire connaître les premiers signes d’une hypoglycémie, tremblements, sueurs, sensations de malaise, sensations de faim intense.

 

TLM : Comment surveiller le traitement ?

Pr Agnès Hartemann : A part la glycémie le matin, le dosage de l’hémoglobine glyquée est pratiqué tous les trois mois. Si l’objectif est atteint en la matière, il n’est pas nécessaire de réaliser d’autres injections d’insuline dans la journée.

Celle du soir peut suffire. Si l’objectif n’est pas atteint, le médecin identifie le repas qui fait le plus monter la glycémie, propose des modifications diététiques et si cela est insuffisant, prescrit une injection d’insuline rapide lors de ce repas.

 

TLM : Une fois le patient sous insuline, faut-il maintenir les autres médicaments antidiabétiques ?

Pr Agnès Hartemann : En général, nous maintenons la metformine, sauf contre-indications. Il est possible, si nécessaire, de garder l’analogue de GLP1, qui aide à contrôler la glycémie au moment des repas et la prise de poids. Les autres médicaments peuvent être arrêtés, le plus souvent.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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