• Pr ABRAMOWITZ : Savoir prendre en charge la pathologie hémorroïdaire

Laurent ABRAMOWITZ

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 11/07/2022


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Médecins, examinez vos patients ! C’est le cri du cœur du Pr Laurent Abramowitz, proctologue à l’hôpital Bichat - Claude Bernard (AP-HP) et en libéral. Fréquentes, les pathologies hémorroïdaires doivent être décelées et traitées précocement. Sans quoi elles peuvent dégénérer alors que des traitements efficaces existent.

 

TLM : Que recouvre la pathologie hémorroïdaire ?

Pr Laurent Abramowitz : Il convient de rappeler que tout le monde possède des hémorroïdes. Il s’agit d’un réseau particulier de vaisseaux appartenant à l’anatomie du canal anal et de l’anus qui contribuent à la continence des selles et des gaz. Les pathologies hémorroïdaires regroupent le prolapsus, lorsque les hémorroïdes internes sortent lors de la défécation ; les saignements et le prurit ; ou encore la thrombose hémorroïdaire lorsqu’un caillot se forme dans l’hémorroïde.

 

TLM : Les pathologies hémorroïdaires constituent-elles un motif fréquent de consultation chez le médecin généraliste ?

Pr Laurent Abramowitz : Pas assez ! L’anus demeure une zone taboue. Un tabou pour les patients, qui préfèrent souffrir que de montrer cette partie de leur corps, mais aussi pour les médecins, qui se montrent parfois réticents ou qui n’ont pas le temps de pratiquer un examen anal. A cela s’ajoute que la formation initiale en ce domaine est nettement insuffisante : durant le cursus universitaire une heure seulement est dédiée à la proctologie. Pour pallier ce déficit dont ils sont bien conscients, les médecins généralistes doivent en passer par la formation médicale continue, ce que, d’ailleurs, nombre d’entre eux font : toutes les sessions de formation médicale continue que nous organisons font ainsi le plein.

 

TLM : Pourquoi est-ce si important de prendre en charge précocement cette pathologie ?

Pr Laurent Abramowitz : Comme le montre une étude publiée en 20141, seulement 2% des patients se plaignent spontanément d’un problème anal, mais ils sont 14 % à le signaler lorsque le médecin les interroge sur ce sujet. Or plus une pathologie hémorroïdaire est prise en charge précocement, plus son traitement est aisé. A trop attendre le patient risque, malheureusement, de devoir subir une intervention. En outre, bien souvent les patients pensent n’avoir que des hémorroïdes, alors qu’il peut s’agir d’une autre pathologie : un à deux patients sur dix faisant état d’un problème anal souffrent effectivement d’hémorroïdes. De fait, il peut aussi s’agir d’une fissure anale qui, sans traitement, peut s’infecter ; d’une fistule, pouvant générer une incontinence anale après traitement ; d’une IST ; mais aussi d’un cancer de l’anus ou du rectum. Il faut parfois des mois ou des années pour que le diagnostic soit enfin posé, ce qui peut impacter lourdement les fonctions anales et, dans certains cas, la survie.

Il faut systématiser l’examen clinique, dès qu’un patient présente des douleurs, une tuméfaction ou des saignements. Avant de procéder à l’examen le praticien doit prendre le temps de décrire au patient ce qu’il va faire pour en faciliter l’acceptation et la tolérance. Le patient doit être placé dans une position optimale, idéalement en génu-pectorale, sur les genoux et les coudes. Le praticien peut ainsi déterminer s’il y a une lésion de la marge anale ou une fissure et réaliser un toucher rectal.

 

TLM : Une fois le diagnostic posé, quelle prise en charge en médecine générale ?

Pr Laurent Abramowitz : C’est, effectivement, le médecin traitant qui le plus fréquemment met en œuvre les traitements de première intention. Le prolapsus et les saignements sont le plus souvent générés par la constipation. Il convient alors de traiter la cause avant le symptôme. Si les selles sont trop dures, c’est principalement parce que le patient ne consomme pas assez de fibres. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les fruits et les légumes frais qui contiennent le plus de fibres, mais le son, les légumineuses et les fruits secs.

Si la consommation de fibres ne suffit pas, des laxatifs peuvent s’avérer pertinents. En cas de saignements hémorroïdaires, des topiques peuvent être prescrits. La régulation du transit associé à des suppositoires, des crèmes ou pommades réduisent les symptômes dans neuf cas sur dix. En cas de thromboses, les médicaments contiennent des corticoïdes pour lutter contre le gonflement et un anesthétique, type lidocaïne, pour réduire la douleur.

 

TLM : Quelle prise en charge convient-il d’organiser lorsque ces traitements locaux ne sont pas suffisants ?

Pr Laurent Abramowitz : Lorsque les traitements locaux ne donnent pas de résultat ou que les symptômes sont importants, le médecin traitant doit orienter le patient vers le proctologue. Celui-ci peut traiter la pathologie hémorroïdaire par instruments (ligature élastique ou photocoagulation infrarouge). Une zone cicatricielle est créée au sommet des hémorroïdes pour les remettre en place dans le canal anal. Ces traitements sont habituellement bien supportés et efficaces avec une chirurgie qui doit demeurer l’exception. L’opération ne doit être envisagée que lorsque la prise en charge médico-instrumentale a échouée et que la gêne devient handicapante. On discute alors une hémorroïdectomie totale ou une technique mini-invasive selon les cas de figures.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

1. The prevalence of proctological symptoms amongst patients who see general practitioners in France. Laurent Abramowitz, Mustapha Benabderrahmane, Dan Pospait Julie Philip & Cédric Laouénan, European Journal of General Practice, 2014.

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