Dre Sola-Gazagnes : Autosurveillance glycémique durant la grossesse dans le diabète type 1
Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition
Date : 08/07/2024
Une autosurveillance glycémique intensive au cours de la grossesse diabétique est indispensable, prévient la Dre Agnès Sola-Gazagnes, endocrinologue-diabétologue à l’hôpital Cochin (AP-HP) à Paris. Et elle doit répondre à des objectifs glycémiques stricts pour réduire au maximum les risques pour le fœtus et la mère.
TLM : A quelle fréquence doit se faire une autosurveillance glycémique ?
Dre Agnès Sola-Gazagnes : Comme son nom l’indique, l’autosurveillance glycémique consiste à mesurer soi-même son taux de glucose sanguin pour en connaître la valeur à différents moments clés de la journée. Depuis 2017, la glycémie capillaire (une goutte de sang capillaire est prélevée à l’extrémité d’un doigt grâce à un auto-piqueur), réalisée au moins six à dix fois par jour par les femmes enceintes, a laissé place à la mesure en continu du glucose (MCG). Cette dernière estime la glycémie à partir du glucose interstitiel. Elle donne un accès facile à la glycémie par scan du capteur ou directement sur le téléphone ou un récepteur, ainsi qu’à la tendance glycémique permettant de moduler l’interprétation d’une simple valeur glycémique et, bien entendu, l’accès au profil glycémique permettant d’ajuster les doses d’insuline. Les patientes peuvent programmer des alertes en cas de seuil glycémique trop bas ou trop haut. Quoi qu’il en soit, l’autosurveillance glycémique reste une attention de tous les instants pour les patientes qui, même avec ce dernier dispositif, regardent leur valeurs au moins dix fois par jour.
TLM : Quels sont les objectifs glycémiques recommandés dans le cadre d’une grossesse diabétique ?
Dre Agnès Sola-Gazagnes : Une autosurveillance glycémique intensive au cours de la grossesse diabétique est indispensable. De fait, des objectifs stricts sont recommandés par l’ADA (American Diabetes Association) pour les femmes enceintes et diabétiques de type 1. En 2024, ces seuils correspondent à 63 95 mg/dL à jeun ; 100 -140 mg/dL une heure après le repas ; 100 -120 mg/dL deux heures après le repas, initialement fondés sur des glycémies capillaires. Un objectif d’hémoglobine glyquée < 6 % idéalement ou <7 % selon le risque hypoglycémique est également conseillé. S’agissant des cibles de suivi de l’équilibre glycémique sous MCG durant la grossesse, il faut savoir que la mesure de l’HbA1c au cours de la grossesse n’est pas conseillée plus d’une fois par mois par l’ADA. Les recommandations, chez tout patient diabétique de type 1 ou 2 avec objectif de normoglycémie, de viser plus de 70 % dans la cible sans dépasser 4 % du temps sous la cible sont les mêmes durant la grossesse. Le temps en dessus de la cible en découle. C’est la cible fixée pour la grossesse qui est plus étroite : 63-140 mg/dl versus 70-180 mg/dl.
TLM : Pourquoi les objectifs glycémiques de la femme diabétique de type 1 enceinte diffèrent-ils des glycémies maternelles normales ?
Dre Agnès Sola-Gazagnes : Même si nous parlons de patientes qui étaient déjà diabétiques avant la conception, un renforcement de l’éducation thérapeutique est nécessaire dès la période préconceptuelle car leurs objectifs glycémiques baissent par rapport à leurs habitudes. Il est donc indispensable que le spécialiste qui suit ces femmes prenne le temps de leur expliquer les enjeux de ces ajustements, mais aussi le moment et la fréquence des mesures. Un point en particulier doit être discuté avec ces patientes, celui de leurs besoins en insuline qui vont varier tout au long de la grossesse. Si une tendance à l’hypoglycémie est généralement observée au cours du premier trimestre, les besoins en insuline vont ensuite augmenter à partir du deuxième trimestre. En effet, il s’installe une résistance à l’insuline. Par conséquent, il est fondamental de bien expliquer à ces patientes que dès l’accouchement (dès l’expulsion du placenta), leurs besoins en insuline reviendront à l’identique par rapport à la pré-grossesse. Cela peut parfois être impressionnant car les doses sont multipliées par deux ou trois dans certains cas pour finalement retomber aux doses antérieures dès l’accouchement. C’est quelque chose que l’on prépare avec elles au moment du troisième trimestre pour qu’elles se souviennent bien de repasser aux doses d’insuline initiales dès la naissance.
TLM : Autosurveillance par MCG ou par glycémie capillaire : quel dispositif privilégier pour les grossesses diabétiques ?
Dre Agnès Sola-Gazagnes : Plusieurs travaux ont montré que les diabétiques pratiquant une autosurveillance glycémique par MCG interstitiel passent moins de temps en hypoglycémie que ceux qui se piquent le doigt. Conformément aux recommandations américaines, nous préconisons de porter le capteur de glucose en continu chez les femmes enceintes diabétiques de type 1, mais d’y adjoindre également des glycémies capillaires pour vérifier et renforcer le contrôle. Il n’est par ailleurs pas rare qu’au moment des variations glycémiques rapides, un léger retard de la glycémie du capteur soit observé. La MCG additionnelle à l’autosurveillance capillaire durant la grossesse diabétique a démontré de réels bénéfices.
TLM : Quelles sont les complications connues de la grossesse diabétique ?
Dre Agnès Sola-Gazagnes : Un projet de grossesse chez une femme diabétique de type 1 doit être maîtrisé par un moyen de contraception rigoureux de manière à avoir atteint des seuils glycémiques bas au moment de la conception. Le contrôle du glucose doit se faire dès la période préconceptuelle car un lien est clairement établi entre le niveau d’hyperglycémie maternelle et les complications fœtales et maternelles dont les principales sont l’avortement spontané, les malformations fœtales, la prééclampsie, la macrosomie (qui concerne environ un enfant sur deux chez les mères diabétiques) et l’hypoglycémie fœtale. En tout état de cause, un contrôle étroit du glucose dès la période préconceptionnelle réduit les risques pour le fœtus et pour la mère.
TLM : Quel rôle pour le médecin généraliste ?
Dre Agnès Sola-Gazagnes : Le médecin traitant joue un rôle important au cours de la grossesse diabétique car il peut intervenir à différents niveaux comme participer au renforcement de l’éducation thérapeutique et du suivi de cette population spécifique, mais aussi apprécier l’équilibre glycémique avec sa patiente pour savoir si les objectifs sont bien atteints. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est essentiel que les médecins généralistes connaissent les objectifs glycémiques stricts chez la femme enceinte diabétique de type 1, en plus de ceux de la population générale. Attention, cet accompagnement ne doit en aucun cas remplacer le suivi de la grossesse diabétique par un spécialiste.
Propos recueillis
par Marie Ruelleux ■