• Dre C. Le Goux : Contre les cystites, cibler le bon antibiotique à la bonne posologie

Constance Le Goux

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 10/01/2024


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Dans la prise en charge des infections urinaires, la HAS vient de repréciser ses recommandations. Ainsi l’antibiogramme doit désormais être commenté par le microbiologiste afin de permettre au médecin clinicien de cibler au plus près la molécule antibiotique à prescrire en fonction de la bactérie et la posologie. La Dre Constance Le Goux, chirurgien urologue à la clinique Ambroise-Paré à Neuilly-sur-Seine (92), commente ces nouveautés.

 

TLM : La Haute Autorité de santé vient de publier des recommandations sur les antibiogrammes ciblés dans la prise en charge des infections urinaires. Quelles retombées en pratique ?

Dre Constance Le Goux : Ces recommandations sont avant tout destinées aux microbiologistes. Mais elles permettent de mettre en avant un certain nombre d’éléments intéressants pour la pratique clinique courante. Ainsi, il y a dans ces recommandations une mise en garde contre la prescription des antibiotiques de la famille des quinolones très impliqués dans l’augmentation des bactéries résistantes aux antibiotiques et trop prescrits dans les cystites. Il est désormais recommandé aussi aux microbiologistes de rendre les résultats des antibiogrammes effectués lors d’un ECBU en « épargnant » la possibilité de prescrire des antibiotiques les plus impliqués dans l’antibiorésistance. Il est également proposé que les résultats des antibiogrammes soient maintenant commentés par les microbiologistes pour aider à orienter la décision thérapeutique du clinicien. Autre nouveauté intéressante, il peut être précisé dans l’antibiogramme que certains antibiotiques sont efficaces à fortes doses (anciennement rendu comme « intermédiaire »), pour élargir le spectre des antibiotiques que l’on peut prescrire pour traiter une bactérie. L’antibiogramme permet désormais de distinguer les antibiotiques auxquels la bactérie identifiée est « sensible », « sensible à forte posologie », ou « résistante ». Il y a, dans ces recommandations, une vraie volonté de la HAS de limiter l’émergence de souches résistantes aux antibiotiques.

 

TLM : Ces recommandations insistent aussi sur le fait qu’il ne faut pas traiter les colonisations bactériennes urinaires asymptomatiques…

Dre Constance Le Goux : Dans la pratique quotidienne, il est important de faire passer le message qu’il ne faut absolument pas traiter les colonisations urinaires, c’est-à-dire les bactériuries asymptomatiques, sauf à partir du quatrième mois de grossesse ou avant certains gestes urologiques.

 

TLM : A l’occasion du congrès de l’Association française d’urologie qui vient de se tenir à Paris, des nouveaux travaux s’intéressent aux liens entre microbiote urinaire et cystite. Pourquoi ?

Dre Constance Le Goux : Sur la question des cystites récidivantes, un thème intéressant concernant la physiopathologie de ces infections et en particulier le rôle du microbiote urinaire, encore mal connu, a été abordé. En fait, des bactéries vont s’internaliser dans la muqueuse de la vessie. Toutes ne sont pas pathogènes et toutes ne se comportent pas de la même manière dans la muqueuse. Certaines pourraient même avoir un effet protecteur. Ce microbiote urinaire interagit avec le microbiote vaginal et intestinal. Les recherches concernant le microbiote urinaire ouvrent la voie sans doute à de nouvelles stratégies de prise en charge optimisée des cystites à répétition. Par ailleurs, lors de ce congrès, il a été largement question aussi de la nécessité de rechercher un diagnostic différentiel, en cas de cystites récidivantes. Certaines patientes sont parfois traitées à tort par antibiotique pour ce que l’on pense être des cystites à répétition mais il s’agit en fait de symptômes ressemblant à des cystites liés à des calculs urinaires, une tumeur de la vessie, une hyperactivité vésicale…

 

TLM : Lors de ce même congrès, les traitements non médicamenteux en cas de cystite à répétition ont fait l’objet de communications importantes. Quand et comment utiliser ces traitements ?

Dre Constance Le Goux : Aujourd’hui, il existe très peu de nouveaux antibiotiques à l’étude dans les essais cliniques en cours. Cette année, sur 500 molécules testées dans des essais cliniques de phase 2, seulement six sont des antibiotiques. Dans un souci d’épargner les antibiotiques actuellement disponibles, de réduire le risque de résistance et bien sûr de soulager les femmes, plusieurs traitements non antibiotiques ont été évalués dans la prise en charge des infections urinaires à répétition. Ils sont bien tolérés et sans effets secondaires, et peuvent être proposés à toutes les femmes souffrant d’au moins quatre infections urinaires par an.

Mais, avant toute prescription, il est impératif de recommander aux patientes de respecter un certain nombre de mesures d’hygiène de vie, pour réduire le risque de cystite. On répète systématiquement aux femmes souffrant de cystites fréquentes de boire beaucoup. Mais cela sert-il vraiment à quelque chose ? Une étude récente vient de confirmer que le fait de boire plus de 1,5 litre de liquide par jour limite le nombre de cystite chez les femmes à risque.

 

TLM : Quels sont les traitements non antibiotiques qui ont été évalués et avec quels résultats ?

Dre Constance Le Goux : Les dérivés de la canneberge ont fait l’objet d’évaluation précise. Ils existent sous forme de gélules dosées à 36 milligrammes de proanthocyanidines (le produit actif de la canneberge). Ces dérivés en cure de trois à six mois permettraient, pour 30 % des femmes, une réduction de la fréquence des infections, en diminuant l’adhésion des bactéries à la muqueuse vésicale. Autre produit disponible, le D-Mannose, à utiliser sous forme de sachets, pour réduire la fréquence des récidives et réduire le recours aux antibiotiques. Un traitement non médicamenteux associe d’ailleurs le D-Mannose et la canneberge. Des lactobacilles per os visent à agir sur la flore vaginale et intestinale pour réduire le risque de cystite. Il y a aussi des essais intéressants en cours avec des dérivés du thé vert en gélules dosées à 500 milligrammes. Il existe encore des traitements non médicamenteux qui reposent sur la micronutrition et qui visent à optimiser le microbiote intestinal pour influencer le microbiote urinaire…

 

TLM : Ces traitements ont-ils prouvé leur efficacité ?

Dre Constance Le Goux : Des études ont montré qu’ils permettraient de réduire la consommation d’antibiotiques chez les femmes contractant des infections urinaires à répétition. Lorsqu’un de ces traitements non antibiotique n’est pas efficace chez une patiente donnée, il faut en essayer un autre. Je vois en consultation des patientes qui, malgré tout, continuent à déclarer des cystites régulièrement.

Il faut les prendre en charge de manière globale : traiter la constipation, prescrire des ovules d’œstrogène à celles qui sont ménopausées, équilibrer leur éventuel diabète, les faire boire beaucoup, proposer des probiotiques, associer des traitements non médicamenteux comme l’hypnose, l’acupuncture, la microkinésithérapie… Cela permet le plus souvent aux patientes d’aller mieux et d’espacer les prises d’antibiotiques.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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