Dr ZYSMAN : Prévenir les exacerbations BPCO par la réhabilitation respiratoire
Discipline : Pneumologie
Date : 10/10/2021
Sans traitement, la broncho-pneumopathie obstructive chronique (BPCO) s’aggrave au point de menacer le pronostic vital. Très efficace pour prévenir les exacerbations, la réhabilitation respiratoire pourrait être prescrite plus tôt dans le parcours de soins, suggère le Dr Maeva Zysman, pneumologue à l’hôpital Haut-Lévêque au CHU de Bordeaux.
TLM : Combien de Français souffrent de broncho-pneumopathie obstructive chronique ?
Dr Maeva Zysman : Entre 5 et 15 %, selon les estimations. Des enquêtes de dépistage, les cohortes et les données de l’Assurance maladie s’accordent sur une prévalence d’environ 10 %, qui correspond à celle observée en Amérique du Nord. Mais on manque de données fiables et, surtout, beaucoup de personnes ne sont pas diagnostiquées.
TLM : Le diagnostic de cette pathologie est-il particulièrement difficile à poser ?
Dr Maeva Zysman : Pendant très longtemps, la BPCO évolue de manière silencieuse. Lorsqu’ils apparaissent, les symptômes, peu spécifiques, peuvent être confondus avec ceux d’un asthme ou d’une pneumonie. Les patients eux-mêmes banalisent très souvent ces manifestations cliniques et ne consultent pas. Par ailleurs, la BPCO souffre encore du cliché de l’homme d’âge mûr, tabagique, qui « crache ses poumons », ce qui retarde son diagnostic dans d’autres catégories de la population. Or, avec la hausse du tabagisme chez les femmes, qui ont en outre une susceptibilité accrue au tabac, elles sont presqu’autant touchées que les hommes, et souvent plus tôt, dès l’âge de 35 ans ! Dans certains pays comme l’Autriche ou l’Australie, on observe même une inversion du sex-ratio avec davantage de femmes que d’hommes atteints.
TLM : Outre le tabac, quels sont les facteurs de risque de BPCO ?
Dr Maeva Zysman : Le tabac est en effet le principal facteur de risque de cette maladie, on compte 80 % de fumeurs parmi les malades. Mais il n’est pas le seul : l’exposition professionnelle à des poussières de métaux ou à des produits chimiques, mais aussi le travail en milieu rural, et plus particulièrement avec des animaux de ferme, sont également en cause ; on parle de BPCO d'origine professionnelle. Enfin, on estime que10 % des BPCO sont dues à des problèmes de développement précoce (retard de croissance in utero, prématurité) et à des infections respiratoires fréquentes ou graves survenues pendant l’enfance.
TLM : Sur quoi repose le diagnostic de la BPCO ? Comment la distinguer d’un asthme ?
Dr Maeva Zysman : Une toux persistante avec expectoration et/ou une dyspnée à l’effort puis au repos sont des signes qui doivent alerter. Mais ces signes caractérisant une bronchite chronique, considérée comme le premier stade de la maladie, ne sont pas toujours présents. C’est l’interrogatoire du patient qui va orienter le médecin généraliste vers un diagnostic de BPCO : est-ce qu’il fume ? Est-il essoufflé ? Est-ce qu’il crache ? A-t-il fréquemment des bronchites ? Ces informations doivent être complétées par une évaluation de la gravité de son essoufflement (en cas d’efforts soutenus, à la marche rapide, au moindre effort...). Le diagnostic sera confirmé par la mesure du souffle à l’aide d’un spiromètre, l’examen diagnostique le plus fiable à ce jour pour repérer une obstruction bronchique débutante et déterminer la sévérité de la maladie. Le diagnostic d’asthme sera privilégié en cas d’antécédents familiaux, de crises fréquentes associées à une rhinite et, parfois, à des allergies alimentaires. En cas d'exacerbation aiguë de BPCO, la prescription d’une radiographie thoracique permet d’écarter une pneumonie, et un dosage du peptide natriurétique de type B (BNP) une décompensation cardiaque.
TLM : En quoi le diagnostic précoce de la BPCO est-il précieux ?
Dr Maeva Zysman : Plus on diagnostique tôt cette maladie, plus on a de chances de freiner son évolution et de ralentir l’altération de la fonction respiratoire. Sans traitement, des complications surviennent inévitablement : elles débutent par des exacerbations, autrement dit des épisodes d’infection broncho-pulmonaire d’origine virale ou bactérienne, qui se manifestent par une aggravation des symptômes. Avec le temps, ces exacerbations sont de plus en plus rapprochées. Selon leur gravité, elles peuvent entraîner une insuffisance respiratoire aiguë et nécessiter une hospitalisation. Or, un passage à l’hôpital est loin d’être anodin, il expose à un risque de mortalité de 50 % à trois ans.
TLM : Quelle démarche thérapeutique peut entamer le médecin généraliste ?
Dr Maeva Zysman : Une fois le diagnostic de BPCO confirmé, des actions correctrices doivent immédiatement être mises en place pour prévenir les exacerbations : accompagnement au sevrage tabagique pour les fumeurs, suppression des autres facteurs favorisants et reprise d’une activité physique. Le traitement médicamenteux se limite aux bronchodilatateurs inhalés de courte durée d’action. La vaccination contre la grippe, les infections à pneumocoque et le Covid-19 est fortement recommandée.
TLM : La prescription d’antibiotiques est-elle automatique en cas d’exacerbations ?
Dr Maeva Zysman : Tout dépend de leur sévérité : une augmentation du traitement inhalé suffit généralement à endiguer des exacerbations légères ; en revanche, le recours à une antibiothérapie repose sur la présence d’une expectoration purulente verdâtre et d’une dyspnée, dont l’importance est évaluée en dehors de toute exacerbation. En cas de BPCO légère à modérée (VEMS> ou =50%), il s’agit généralement de l’amoxicilline ou de la pristinamycine. Dans les cas de BPCO sévère (VEMS<50%), on optera pour l’amoxicillineacide clavulanique. Le traitement sera de courte durée —habituellement de cinq jours. En l’absence d'amélioration, on peut envisager une corticothérapie systémique courte sur cinq jours à 30 ou 40 mg/jour. Une détresse respiratoire aiguë (saturation en O2<95%), la présence de comorbidités ou l’âge avancé du patient sont des facteurs aggravants qui imposent l’hospitalisation de ce dernier. Moins de 30 % des malades sévères sont des « exacerbateurs fréquents », sujets à plus de deux épisodes modérés ou plus d’un épisode sévère par an. Pour ces patients, la prescription d’une réhabilitation à l’effort est particulièrement indiquée : bien plus que des exercices physiques, c’est une prise en charge globale qui comprend de la kinésithérapie respiratoire, des conseils diététiques et un soutien psychologique. C’est généralement prescrit après une hospitalisation pour réduire le risque de récidives d’exacerbations, mais cela pourrait l’être plus tôt dans le parcours de soins. Il existe de nombreux réseaux en France. Et, contrairement à une idée reçue, les centres de réhabilitation ont souvent des places.
Propos recueillis
par Mathilde Raphaël ■