• Dr Verret : Les facteurs de croissance hématopoïétique contre la neutropénie fébrile

Benjamin Verret

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 06/07/2023


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La neutropénie fébrile est une urgence absolue. C’est le plus redouté des effets indésirables associés aux chimiothérapies, particulièrement à celles indiquées dans le traitement des cancers hématologiques. Il est toutefois possible de le prévenir via l’injection de facteurs de croissance hématopoïétique, explique le Dr Benjamin Verret, oncologue à l’Institut Gustave-Roussy.

 

TLM : À quelles toxicités doit-on s’attendre chez un patient recevant une chimiothérapie ?

Dr Benjamin Verret : De façon générale, comme les chimiothérapies agissent sur les cellules en division, elles provoquent des toxicités des sphères gastrique (nausées, vomissements) et digestive (diarrhées, constipations), des toxicités cutanées (xérose, syndrome main-pied), et des mucites (inflammations des muqueuses buccales qui peuvent induire des ulcérations douloureuses). Elles peuvent aussi attaquer les cellules hématopoïétiques et entraîner des cytopénies, des pathologies provoquées par le déficit de certaines cellules sanguines : une anémie lorsque la chimiothérapie détruit les globules rouges, une thrombopénie lorsqu’elle attaque les plaquettes ou une neutropénie lorsqu’elle détruit les polynucléaires neutrophiles. Ce dernier effet indésirable est particulièrement redouté car il expose le patient à un risque infectieux majeur, la septicémie. Lorsque cette chute des globules blancs est associée à de la fièvre (température >38°C à deux reprises ou >38,3°C lors d’une seule prise), on parle de neutropénie fébrile : c’est une urgence absolue.

 

TLM : Toutes les personnes sous chimiothérapie sont-elles exposées à ce risque ?

Dr Benjamin Verret : Tout dépend du médicament utilisé, du protocole de soins, des doses administrées, du contexte, des comorbidités, de l’état de santé général du patient... En oncologie solide, les protocoles de chimiothérapie utilisés pour traiter les tumeurs sont généralement peu aplasiants ; et lorsqu’ils le sont, l’aplasie dure moins de sept jours et n’est pas très sévère. En revanche, le traitement des hémopathies malignes requiert des chimiothérapies beaucoup plus lourdes, souvent combinées entre elles, qui exposent à un risque plus élevé d’aplasies ; le cas échéant, celles-ci seront en outre plus profondes et prolongées.

Pour évaluer le risque de neutropénie, on utilise le score MASCC qui tient compte de la nature du cancer (tumeur solide ou hémopathie), de l’existence de comorbidités susceptibles d’aggraver une neutropénie fébrile à bas risque en neutropénie fébrile à haut risque (hypotension artérielle, bronchopneumopathie chronique obstructive, insuffisance cardiaque ou rénale, etc.), du type de chimiothérapie, et enfin de l’âge du patient (> ou <60 ans) et de la manière dont il est pris en charge, à l’hôpital ou en ambulatoire. Ainsi, un patient âgé, ayant des comorbidités, hospitalisé et recevant une chimiothérapie pour traiter son hémopathie a beaucoup plus de risque de présenter une aplasie et donc de voir apparaître une neutropénie dans les jours qui suivent sa cure qu’un patient jeune, souffrant d’une tumeur solide et dont l’état de santé global est bon. Plus on va combiner les chimiothérapies et multiplier le nombre de cycles, plus le risque d’affecter l’hématopoïèse, et donc d’induire une neutropénie augmente.

 

TLM : Peut-on néanmoins prévenir ce risque ?

Dr Benjamin Verret : Oui, en mettant en place une surveillance qui repose essentiellement sur un bilan biologique complet 48 heures avant l’administration de la chimiothérapie. La numération formule sanguine (NFS) va permettre d’évaluer le nombre de cellules sanguines et voir si des lignées sont impactées par la chimiothérapie. Pour dépister une neutropénie, on regardera plus précisément le taux de polynucléaires neutrophiles dans le sang afin de s’assurer qu’il n’est pas en-dessous du seuil critique de 1500/µl. Il arrive parfois que l’on demande des bilans entre les cures, toutes les semaines ou toutes les deux semaines.

Par ailleurs, si la ou les chimiothérapies administrées sont connues pour exposer à un risque d’aplasie, et donc de neutropénie, on peut prescrire des facteurs de croissance granulocytaires en prophylaxie. Ces facteurs de croissance vont stimuler la production de globules blancs, et plus particulièrement de polynucléaires neutrophiles, et limiter ainsi le risque de survenue d’une neutropénie ou son intensité. Leur prescription en prévention primaire est systématique lorsque le risque de neutropénie fébrile est supérieur ou égal à 20% ; s’il est inférieur à 10 %, elle sera envisagée en prévention secondaire, chez des patients chez qui les épisodes de neutropénie fébrile ont tendance à se multiplier.

Lorsque le risque est compris entre 10 et 20%, la décision dépendra des facteurs de risque individuels que présente le patient. L’administration des facteurs de croissance granulocytaires, réalisée par une infirmière à domicile, se fait par injection sous-cutanée, généralement au lendemain du traitement de chimiothérapie. Enfin, on peut aussi prévenir le risque en réduisant les doses de chimiothérapie ou en changeant le type de médicaments.

 

TLM : Quelle attitude adopter face à un patient qui présente une neutropénie fébrile ?

Dr Benjamin Verret : Là encore, l’attitude dépend de la façon dont il tolère l’épisode infectieux et la fièvre. Si cette dernière est bien tolérée, la prise en charge se limitera à une antibiothérapie par voie orale associant amoxicilline et acide clavulanique. La fièvre doit disparaître dans les 48 heures ; dans le cas contraire, une hospitalisation est nécessaire. Pour les cas de neutropénie fébrile à haut risque de complications, le patient doit être hospitalisé pour recevoir une antibiothérapie intraveineuse à large spectre. Dans les cas les plus sévères, il peut être nécessaire d’interrompre temporairement le traitement.

 

TLM : Le médecin généraliste a-t-il un rôle à jouer, que ce soit en prévention ou lors de la survenue d’un épisode de neutropénie ?

Dr Benjamin Verret : Il est en première ligne dans la prise en charge ambulatoire d’une neutropénie fébrile. Cette prise en charge est bien codifiée. Il est généralement prévenu par ses patients des effets secondaires potentiels et/ou attendus de leur traitement par chimiothérapie, et il s’attend donc à être sollicité plus souvent. Notre responsabilité en tant qu’oncologue est d’être disponible pour revoir ces patients, parfois en urgence, réadapter le protocole de soins ou leur prescrire des facteurs de croissance hématopoïétiques.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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