• Dr Thibaut Brierre : Syndrome douloureux vésical : Soulager avant tout

Thibaut Brierre

Discipline : Uro-Néphrologie

Date : 06/07/2023


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Autrefois appelé cystite interstitielle, le syndrome douloureux vésical (SDV) altère grandement la qualité de vie des patientes.

L’objectif de leur prise en charge est donc de soulager les douleurs et de réduire le nombre de mictions diurnes et nocturnes qui leur empoisonne l’existence. Les explications du Dr Thibaut Brierre, urologue et andrologue au CHU de Toulouse.

 

TLM : Qu’est-ce-que le syndrome douloureux vésical ?

Dr Thibaut Brierre : Selon la définition de la Société européenne d’étude de la cystite interstitielle (ESSIC), il s’agit d’une douleur chronique assez intense et constante, qui dure depuis au moins six mois, localisée au niveau de la vessie, rythmée par le remplissage de cette dernière et soulagée temporairement par sa vidange. Cette douleur est décrite par les patientes comme une pression forte sur la vessie associée à une envie persistante et impérieuse d’uriner et/ou une polliakurie. Certaines ont jusqu’à 40 mictions en 24 heures, jour et nuit ! Cette maladie altère considérablement la qualité de vie des patientes et engendre très souvent des dépressions.

 

TLM : Vous dites « les patientes » : les femmes sont les seules à être touchées ?

Dr Thibaut Brierre : Non, mais on compte 10 femmes pour un homme touché. Il n’existe pas de profil spécifique, toutes les femmes peuvent être touchées et à n’importe quel âge, même si l’on observe un pic entre 30 et 40 ans. Faute de données épidémiologiques, la prévalence du syndrome douloureux vésical en France n’est pas connue, mais elle serait comprise entre 3 et 7 % si l’on extrapole celle observée au RoyaumeUni.

 

TLM : Connaît-on les causes de ce syndrome ?

Dr Thibaut Brierre : Pas vraiment. C’est une maladie inflammatoire chronique de la vessie qui peut résulter d’un ulcère de Hunner ou d’une inflammation de la paroi vésicale : on parle de syndrome douloureux vésical avec anomalies endoscopiques dans le premier cas, et sans anomalies endoscopiques dans le second. On observe une altération de la barrière épithéliale entre l’urine et la muqueuse vésicale, qui est alors directement exposée aux composants urinaires. Ceci entraîne une inflammation de toute la paroi vésicale et une invasion des lymphocytes B. De multiples hypothèses ont été avancées, impliquant des facteurs environnementaux, le tabagisme, des facteurs immunitaires... mais en réalité on ne sait pas pourquoi ce syndrome apparaît.

 

TLM : Son diagnostic est-il facile à poser ?

Dr Thibaut Brierre : Certains des symptômes peuvent, dans un premier temps, évoquer d’autres troubles urinaires, notamment une infection d’origine bactérienne ou un syndrome d’hyperactivité vésicale, ce qui peut retarder son diagnostic. Mais à la différence de la cystite infectieuse, le SDV ne cède pas à l’antibiothérapie ; et c’est la douleur qui domine l’ensemble des symptômes, et non l’impériosité et l’urgenturie comme dans l’hyperactivité vésicale. Le médecin doit donc procéder par élimination pour poser le diagnostic. Celui-ci comprend un interrogatoire visant à faire préciser les caractéristiques de la douleur, un ECBU, une échographie vésicale et une cytologie urinaire. Surtout, il repose sur un calendrier mictionnel : pendant trois jours, la patiente note l’heure de chacune de ses mictions et en mesure le volume de façon à déterminer précisément sa capacité vésicale fonctionnelle, sa fréquence urinaire, le volume de ses mictions et les gênes associées. Le diagnostic est confirmé par une cystoscopie généralement réalisée sous anesthésie générale pour limiter la douleur : cet examen permet d’observer la morphologie de la paroi vésicale, de constater l’inflammation et de rechercher d’éventuelles lésions orientant vers un ulcère de Hunner. On complète par un test d’hydrodistension qui consiste à remplir la vessie pour déterminer sa capacité anatomique et la comparer à la capacité vésicale fonctionnelle. Au bout de 5 minutes, on vide la vessie et on observe la réaction de sa paroi : l’apparition de pétéchies, signes d’une déchirure de la muqueuse, confirme le diagnostic de SDV.

Ce test peut également être utilisé à des fins thérapeutiques car il soulage certaines patientes, ce qui accrédite, là encore, l’hypothèse d’un SDV. Enfin, en cas de doute, une biopsie peut être réalisée pour rechercher la présence d’infiltrats inflammatoires avec prédominance en lymphocytes. En revanche, la douleur empêche très souvent la réalisation de tests urodynamiques.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge ?

Dr Thibaut Brierre : En l’absence de traitement curatif, elle vise à soulager les patientes. Le traitement d’un ulcère de Hunner est simple et efficace : il suffit de réséquer les lésions sous endoscopie. En cas de SDV sans lésions endoscopiques, on propose des antihistaminiques et des traitements utilisés contre les douleurs neuropathiques comme les antidépresseurs tricycliques à base d’amitriptyline ou les antiépileptiques, mais à faibles doses pour en limiter les effets indésirables. Les antalgiques, antiinflammatoires non stéroïdiens et antispasmodiques sont en général inefficaces. On peut également recourir aux anticholinergiques, aux injections de toxine botulique ou à la neuromodulation des racines sacrées - mais les résultats sont très aléatoires. Parallèlement, on cherche à restaurer la barrière épithéliale entre l’urine et la muqueuse vésicale à l’aide de traitements composés de glycosamineglycane - par comprimés ou sous forme de gel en instillation intravésicale ; le déremboursement de ces traitements, très chers, en limite cependant l’accès. En cas d’échec, les recommandations européennes suggèrent d’instiller du diméthylsulfoxide (DMSO) dans la vessie. On peut Celle de corticoïdes associés à des analgésiques locaux (lidocaïne) peut aussi être proposée. Les cas les plus sévères, pour lesquels toutes les approches précédentes ont échoué, relèvent de la chirurgie : l’intervention consiste à retirer une partie de la vessie et à la remplacer par de l’intestin grêle (entérocystoplastie) ; c’est un traitement relativement efficace mais qui peut laisser 10 à 15% de douleur résiduelle.

Ces traitements doivent faire partie d’une prise en charge globale dans des centres experts de la douleur. Il est en effet relativement fréquent que la douleur pelvienne soit associée à un phénomène d’hypersensibilisation ou à une sensibilité croisée qui se manifeste par des douleurs gynécologiques, digestives ou cutanées. Une approche pluridisciplinaire est par conséquent indispensable.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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