• Dr TARDY : Traitement VIH : Les alternatives à la trithérapie

Jean-Claude TARDY

Discipline : Infectiologie

Date : 11/07/2022


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Après trente ans de progrès thérapeutiques, des études publiées récemment suggèrent la possibilité d’alléger les traitements dans la prise en charge des patients vivant avec le VIH : bithérapies, trithérapie intermittente, bithérapie injectable. Le point avec le Dr Jean-Claude Tardy, virologue à l’hôpital de la Croix-Rousse au CHU de Lyon.

 

TLM : Faut-il vraiment alléger le traitement des patients traités pour le VIH ?

Dr Jean-Claude Tardy : Avant de parler d’allègement un petit rappel historique. En 1983, les chercheurs isolent le virus du SIDA. L’AZT, premier antirétroviral contre le VIH est utilisé en monothérapie jusqu’en 1991, date à laquelle sont proposées des bithérapies d’inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase, molécules de la même famille thérapeutique que l’AZT. La grande révolution arrive avec les trithérapies en 1996, qui changent le cours de la maladie, grâce aux inhibiteurs de protéase et aux inhibiteurs non nucléosidiques de la reverse transcriptase. En 2007, les inhibiteurs de l’intégrase viennent compléter l’offre thérapeutique. Au fil des années, les antirétroviraux deviennent de plus en plus puissants, leur barrière à la résistance de plus en plus grande, de même que leur « pardonnance », c’est à dire l’aptitude des trithérapies à obtenir et à maintenir un succès virologique en dépit d’une observance au traitement non optimale. Parallèlement les molécules sont de mieux en mieux tolérées, avec moins d’effets secondaires. Enfin, grâce à des progrès galéniques, la trithérapie est disponible en un seul comprimé par jour. Tous ces progrès se traduisent aujourd’hui par un succès virologique : une charge virale indétectable chez 95% des patients traités. Sur ces 25 dernières années ce sont, grâce aux trithérapies, des millions de vies sauvées, une espérance de vie « normale » et des millions de contamination évitées. Les patients peuvent vivre avec le VIH et ils vieillissent. Ils ont parfois des comorbidités et d’autres traitements concomitants peuvent être indispensables. L’objectif d’un allègement thérapeutique vise à réduire les effets secondaires des médicaments, les éventuelles interactions médicamenteuses et améliorer la qualité de la vie.

 

TLM : Alors, que peut-on alléger dans ces thérapies aujourd’hui très efficaces ?

Dr Jean-Claude Tardy : Les trithérapies actuelles reposent sur deux inhibiteurs nucléosidiques associés à un troisième agent qui est un inhibiteur de l’intégrase, ou un inhibiteur non nucléosidique ou un inhibiteur de protéase. Pour alléger le traitement, trois possibilités ont été explorées. La première c’est le remplacement des trithérapies par des bithérapies. L’autre option est de prescrire la trithérapie de manière intermittente, non plus 7 jours sur 7, mais 4 jours sur 7 par exemple.

Enfin, la troisième possibilité est la bithérapie avec des médicaments à longue durée d’action, sous forme injectable tous les deux mois.

 

TLM : Quels résultats lors du passage d’une trithérapie à une bithérapie ?

Dr Jean-Claude Tardy : Plusieurs essais ont été menés pour évaluer l’intérêt d’une bithérapie. Chez les patients naïfs (traités pour la première fois), l’essai Gemini répond en comparant deux groupes de patients : ceux recevant une bithérapie dolutégravir et lamivudine (DTG/3TC ; n=716) et ceux recevant une trithérapie dolutégravir/ténofovir/emtricitabine (DTG/TDF/FTC ; n=717). Les résultats révèlent, à 144 semaines de traitement, la non infériorité de la bithérapie : 82 % des patients ont une charge virale indétectable avec la bithérapie et 84 % avec la trithérapie. Pas de différence concernant les effets secondaires liés au traitement (8% vs 10 %).

La prise de poids est identique dans les deux groupes, les marqueurs osseux et rénaux légèrement en faveur de la bithérapie, mais pour les marqueurs lipidiques, c’est le contraire. Pas d’amélioration de la qualité de vie chez les patients sous bithérapie. Rappelons enfin que cette stratégie thérapeutique n’est autorisée que pour les patients peu immunodéprimés (plus de 200 CD4/mm³) et ayant une charge virale modérée (inférieure à 100.000 copies/ml).

 

TLM : Et pour les patients déjà traités par trithérapie, est-il possible de passer à une bithérapie ?

Dr Jean-Claude Tardy : Chez les patients déjà traités, plusieurs études de switch ont été menées. Dans tous ces essais, les patients inclus devaient avoir, à l’entrée dans l’étude, une charge virale indétectable depuis plus de six mois.

Dans l’essai Tango, 372 patients traités par tri-ou quadrithérapie contenant du Ténofovir Alafénamide continuent leur traitement et 369 « switchent » vers la bithérapie DTG/3TC. A 144 semaines, la non infériorité de la bithérapie est observée ; une charge virale détectable est observée chez respectivement 1,3 % vs 0,3 % des patients. Les événements indésirables liés au traitement sont en revanche plus nombreux dans le groupe bithérapie, 15 % contre 5 %. Dans les essais Sword (switch vers DTG/Rilpivirine), on trouve des résultats semblables, avec une charge virale indétectable chez 95 % des patients dans les deux groupes, mais il y a, là encore, plus d’effets secondaires liés au traitement avec la bithérapie (19 %) qu’avec la trithérapie (2 %), et en particulier un peu plus d’effets secondaires neuropsychiatriques.

 

TLM : La trithérapie intermittente est-elle plus intéressante ?

Dr Jean-Claude Tardy : L’étude française Quatuor, menée par Roland Landman et publiée récemment, compare des patients recevant une trithérapie 4 jours sur 7 et d’autres qui la prennent 7 jours sur 7. La charge virale reste indétectable pour 96 % des patients traités 4 jours et chez 97 % de ceux traités 7 jours. Aucune différence n’est observée en termes d’effets secondaires. La qualité de vie est améliorée chez 59 % des patients traités de manière intermittente. Autre intérêt de cette stratégie : la réduction de 43 % du coût du traitement dans le groupe intermittent.

Une stratégie thérapeutique intéressante chez certains patients, rendue possible grâce aux progrès réalisés dans la « pardonnance » des médicaments.

 

TLM : Et la bithérapie injectable tous les deux mois ?

Dr Jean-Claude Tardy : L’objectif est d’injecter tous les deux mois, le même jour lors de la même consultation, en intramusculaire, deux antirétroviraux (un inhibiteur d’intégrase et un inhibiteur non-nucléosidique), sur deux sites d’injection distincts. Le patient dispose d’un délai de 7 jours avant ou après la date prévue pour recevoir le traitement. Les résultats sur le plan virologique sont similaires au traitement par voie orale. Les réactions au site d’injection sont fréquentes mais ne conduisent à un arrêt de traitement que dans 1% des cas. La seule contrainte est la nécessité d’aller à l’hôpital pour recevoir les injections, non disponibles en ville. En raison d’un risque augmenté d’échec virologique ce traitement n’est pas recommandé pour les patients avec un IMC ≥30. Certains patients sont « demandeurs » de cette stratégie ; d’autres préfèrent un comprimé quotidien. Peut-être prochainement, des « long-acting » ne nécessitant qu’une administration semestrielle seront disponibles. En conclusion, il existe des traitements allégés et qui se sont révélés efficaces sur le plan virologique ; ceci doit être surveillé de près sur le long terme, notamment le risque d’émergence de résistance. Ces essais n’ont pas démontré de bénéfice sur le plan des effets secondaires, des interactions médicamenteuses et de la qualité de vie, à l’exception du traitement intermittent. Il faut donc combattre l’idée que passer de trois médicaments à deux, c’est forcément mieux sur le plan de la tolérance. L’allègement n’est pas une stratégie thérapeutique qui doit être généralisée mais réservée à quelques patients.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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