• Dr Sylvie Meaume : Comment cicatriser et gérer la plaie exsudative

Sylvie Meaume

Discipline : Dermatologie

Date : 23/10/2023


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Déléguer l’intégralité des soins des plaies exsudatives aux infirmiers, comme le propose la loi Rist, est dangereux, estime le Dr Sylvie Meaume, vice-présidente de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC) et chef du service Gériatrie - Plaies et cicatrisations à l’hôpital Rothschild (AP-HP). Elle s’en explique.

 

TLM : Qu’est-ce qui caractérise les plaies exsudatives ?

Dr Sylvie Meaume : Les plaies exsudatives sont surtout des plaies chroniques, essentiellement des ulcères de jambe.

Elles se caractérisent par le fait que leur cicatrisation intervient en milieu humide. L’exsudat joue un rôle majeur dans ce processus, notamment en maintenant l’environnement de la plaie humide, en provoquant l’autolyse des tissus nécrosés et en favorisant la migration des cytokines et des cellules.

Le soin de ce type de plaie nécessite, par conséquent, de trouver le juste équilibre entre un assèchement trop important de l’exsudat qui risque d’empêcher la cicatrisation et de provoquer la formation de croûtes, et une absorption insuffisante de ce liquide qui risque de favoriser le suintement et la macération de la plaie et, in fine, d’exposer à un risque d’infection et d’inconfort pour le patient.

 

TLM : Le traitement de ce type de plaie relève-t-il de la médecine générale ?

Dr Sylvie Meaume : Tout à fait. L’ulcère de jambe doit être diagnostiqué et traité en ville. Non pas qu’il soit mal pris en charge à l’hôpital, au contraire, mais le risque de récidive associé est beaucoup trop élevé.

Le milieu hospitalier est un environnement très encadré, avec des infirmiers présents constamment et des patients généralement très passifs ; une fois chez eux, ils se retrouvent dans le même contexte qu’auparavant sans avoir appris à être acteurs de leurs soins. Résultat, ils rechutent.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge des patients ?

Dr Sylvie Meaume : Elle consiste à évaluer la plaie ainsi que la situation globale du patient pour comprendre son étiologie et mettre en place une stratégie thérapeutique efficace. Il faut donc évaluer à la fois l’exsudat et le patient.

 

TLM : Comment évaluer un exsudat ?

Dr Sylvie Meaume : En observant son aspect, à savoir sa couleur, sa quantité, son odeur, sa consistance : l’exsudat doit être séreux, donc transparent et fluide, présent en quantité faible ou modérée, et inodore. Pour apprécier la quantité d’exsudat au niveau de la plaie mais aussi autour, l’aspect du pansement est un bon indicateur : légèrement taché, la plaie est humide ; mouillé au point que l’exsudat passe au travers, la plaie est saturée ; s’il s’écoule jusque sur les chaussures du patient, la plaie est ruisselante. Si un infirmier peut évaluer l’exsudat, c’est au médecin et à l’infirmière qu’il revient de comprendre son origine : est-il dû à une compression non prescrite, non portée ou non adaptée chez un patient souffrant d’une maladie veineuse et lymphatique ? La plaie est-elle colonisée, infectée ? L’œdème résulte-t-il d’une autre maladie comme l’insuffisance cardiaque, rénale ou hépatique ? Ou encore d’un traitement médicamenteux comme les inhibiteurs calciques ou les IEC ? Autant de questions auxquelles ces professionnels de santé doivent tenter de répondre afin d’orienter sa démarche thérapeutique.

 

TLM : Quels sont les signes qui doivent alerter ?

Dr Sylvie Meaume : Un exsudat purulent (liquide épais, opaque, de couleur jaune, verte ou brune), ou à l’odeur nauséabonde, traduit sans aucun doute une colonisation ou une infection bactérienne. En revanche, un exsudat rouge ou rosé témoigne simplement de la présence de sang ; or, si celle-ci peut être liée à l’existence de germes, elle peut également être due à certains traitements (anticoagulant ou anti-agrégant plaquettaire, notamment). Il faut donc investiguer.

L’excès d’exsudat mérite aussi d’être exploré car il peut traduire plusieurs choses : une colonisation bactérienne, une infection locale ou un œdème important lié à la maladie veineuse, à la plaie ou à une maladie générale telle qu’une insuffisance cardiaque, une insuffisance rénale, une insuffisance hépatique ou une dénutrition.

 

TLM : Quelles sont les conséquences d’un excès d’exsudat ?

Dr Sylvie Meaume : Trop d’exsudat abîme la peau périulcéreuse, entraînant sa macération, des érosions autour de la plaie et l’élargissement de cette dernière. Augmentant par conséquent le risque infectieux. Un excès d’exsudat altère, par ailleurs, considérablement la qualité de vie des patients, notamment sur le plan social : beaucoup ont honte de l’odeur qu’ils dégagent, ils craignent de mouiller leurs bas de pantalon ou leurs chaussures, et finissent par ne plus oser sortir de chez eux. En ne marchant plus, ils aggravent leur ulcère. C’est un véritable cercle vicieux.

 

TLM : Quel est le traitement local le plus adapté ?

Dr Sylvie Meaume : En cas d’excès d’exsudat, il faut augmenter la fréquence de changement des pansements et aussi adapter le traitement local. L’infirmier (nécessité d’une prescription médicale) est en général bien placé pour le faire. Le médecin ou l’IDE prescrira des pansements hydrocellulaires super-absorbants, en veillant à les appliquer directement sur la plaie et à ne pas les superposer sur d’autres pansements. Remboursés par l’Assurance maladie, ils présentent l’avantage de ne pas relarguer les exsudats qu’ils absorbent, y compris lors d’un traitement compressif associé.

 

TLM : Le prélèvement bactériologique est-il indispensable ?

Dr Sylvie Meaume : Non, pas plus que la prescription d’un antibiotique en l’absence de signes d’infection locaux (érysipèle unilatérale) ou généraux (fièvre). En cas de simple colonisation, on change de pansement, on lave et on déterge la plaie pour retirer les tissus morts qui favorisent la surinfection et retardent la cicatrisation. En cas d’infection avérée, on prescrit d’emblée des antibiotiques.

 

TLM : La loi Rist prévoit de déléguer l’intégralité des soins des plaies aux infirmiers. Qu’en pensez-vous ?

Dr Sylvie Meaume : Évaluer l’exsudat, veiller à ce que la plaie reste humide mais pas trop, participer à l’éducation thérapeutique des patients en matière de contention... Le rôle de l’infirmier est important. Vouloir élargir les prérogatives des infirmiers à l’ensemble des soins des plaies sans formation complémentaire semble dangereux. L’instauration ou la modification d’un traitement général doit rester du ressort du médecin (généraliste ou vasculaire). La collaboration médecin/IDE reste actuellement le meilleur garant d’une prise en charge sécure pour les patients.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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