• Dr. STIELTJES : Le généraliste, un rôle de sentinelle dans l’hémophilie

Nathalie STIELTJES

Discipline : Hématologie, Immunologie

Date : 24/07/2020


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MÊME S’IL BÉNÉFICIE AU LONG COURS D’UNE PRISE EN CHARGE DANS UN CENTRE SPÉCIALISÉ, UN PATIENT HÉMOPHILE DOIT AUSSI AVOIR UN MÉDECIN RÉFÉRENT, AFFIRME LE DR NATALIE STIELTJES, HÉMATOLOGUE AU CENTRE DE TRAITEMENT DES HÉMOPHILES DE L’HÔPITAL COCHIN (PARIS)

 

TLM : Quelle est l’origine de la maladie ? Dr Natalie Stieltjes : L’hémophilie est due à une mutation sur l’un des gènes codant pour le facteur VIII ou le facteur IX, situés sur le chromosome X. Elle concerne donc majoritairement les hommes. Elle peut être héritée ou résulter d’une néomutation. Elle est responsable d’un déficit en facteur VIII (hémophilie A) ou IX (hémophilie B) de la coagulation. L’expression clinique est corrélée au taux de facteur circulant (< 1 % dans les formes sévères, 1 à 5 % dans les formes modérées, 6 à 40 % dans les formes mineures).

 

TLM : Dans quelles conditions le diagnostic peut-il être posé ?
Dr Natalie Stieltjes : Lorsqu’il existe une histoire familiale d’hémophilie, le diagnostic est fait dès la naissance par un dosage des facteurs de la coagulation du nouveau-né. L’hémophilie sévère se manifeste presque toujours avant l’âge de deux ans, soit par une hémorragie intra-ou extra-crânienne à la naissance dans 3 à 4 % des cas, souvent après accouchement traumatique (forceps, ventouses...), soit par une tendance aux ecchymoses, soit par des hémarthroses, touchant essentiellement chevilles, genoux et coudes, dès l’apprentissage de la marche, ou par toute autre manifestation hémorragique spontanée ou provoquée. Les formes modérées ou mineures se révèlent en général plus tardivement par des saignements prolongés, le plus souvent provoqués par traumatisme ou acte invasif ou chirurgical, ou à l’occasion d’un bilan d’hémostase systématique.

 

TLM : Quels enjeux pour la prise en charge ?
 Dr Natalie Stieltjes :
L’objectif de la prise en charge est de contrôler et prévenir les saignements susceptibles de mettre en jeu le

pronostic vital (après traumatisme crânien, par exemple). Chez les patients atteints d’hémophilie sévère, un autre objectif essentiel est la prévention des hémarthroses. En effet, outre douleur et impotence fonctionnelle initiale, elles entraînent une dégradation progressive et irréversible des articulations qui définit l’arthropathie hémophilique, source de handicap. Le traitement substitutif (injection de concentré du facteur déficitaire) permet l’arrêt précoce des hémarthroses et éventuels hématomes musculaires et surtout leur prévention. Il est recommandé d’instaurer un traitement prophylactique dès la première hémarthrose, donc très tôt dans la vie, chez tous les hémophiles sévères et certains hémophiles modérés, afin de préserver le capital articulaire.

 

TLM : Quels sont les limites des traitements substitutifs conventionnels ?
Dr Natalie Stieltjes :
Les concentrés de facteur ne peuvent s’administrer que par voie intraveineuse. La prophylaxie requiert jusqu’à 3 ou 4 injections hebdomadaires. Chez les jeunes enfants, la pose de cathéter central (Port-a-cath) peut être nécessaire, avec les contraintes et les risques qui en résultent. Par ailleurs, 25 à 30 % des hémophiles A sévères et 1 à 3% des hémophiles B sévères s’immunisent dès les premières injections contre le facteur injecté. Ces anticorps « inhibiteurs » rendent le traitement inefficace.

Les épisodes hémorragiques nécessitent alors le recours à des agents « by-passants », moins efficaces, notamment en prophylaxie, et à des traitements très lourds visant à éradiquer ces anticorps (injection de facteur plurihebdomadaire, voire quotidienne, au long cours) avec un succès inconstant. Jusqu’à récemment, les patients avec inhibiteur se trouvaient très pénalisés du fait d’un mauvais contrôle des saignements, d’une lourdeur thérapeutique et d’une mauvaise prévention de l’arthropathie hémophilique.

 

TLM : Qu’apportent les nouvelles générations de traitements ?
Dr Natalie Stieltjes :
Le développement de facteurs à durée de vie prolongée a permis d’alléger le traitement, essentiellement dans l’hémophilie B (prophylaxie avec une injection de facteur IX hebdomadaire ou tous les 10 jours). Plus récemment, la mise à disposition d’un anticorps monoclonal bivalent mimant l’action du facteur VIII activé a révolutionné la prise en charge des hémophiles A avec inhibiteur permettant une prophylaxie très efficace au prix d’une injection sous-cutanée hebdomadaire ou toutes les 2 ou 4 semaines. Les saignements spontanés, en particulier les hémarthroses, deviennent exceptionnels, et l’allègement thérapeutique est spectaculaire. Le recours aux concentrés de facteur n’est plus indiqué qu’en cas de gros traumatisme ou d’intervention chirurgicale. Ce médicament devrait être prochainement mis à disposition de tous les patients avec hémophilie A sévère. La thérapie génique est encore au stade d’essais cliniques avec des résultats prometteurs mais son efficacité et son innocuité à long terme demandent à être confirmés. TLM : Quelle est la place du généraliste dans la prise en charge de l’hémophilie ? Dr Natalie Stieltjes : Il est le médecin référent du patient pour tout ce qui touche à sa santé en général. Une communication fluide doit être établie entre le médecin référent et le médecin du centre des hémophiles notamment pour préciser les situations où l’hémophilie doit être prise en considération.

 

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