Dr SAPENE : Penser à dépister les apnées du sommeil
Discipline : Pneumologie
Date : 10/10/2021
Accidents de la route, AVC, maladie d’Alzheimer... Les conséquences de l’apnée du sommeil sont multiples et parfois dramatiques. Pour autant, ce problème de santé publique —ainsi qu’il le qualifie— reste largement sous-estimé, alerte le Dr Marc Sapène, pneumologue au Pôle d’exploration des apnées du sommeil de la clinique Bel-Air de Bordeaux, et président de l’association Alliance Apnées du sommeil - Asthme et Allergies.
TLM : Quel est le principal cliché véhiculé sur l’apnée du sommeil ?
Dr Marc Sapène : Le profil des personnes faisant de l’apnée du sommeil. L’image reste celle d’un homme bedonnant, de plus de 60 ans, alors que dans les faits, les femmes sans surpoids sont presque autant touchées que les hommes à partir de la cinquantaine. Les enfants et les femmes enceintes ne sont pas davantage considérés comme des personnes à risque — à tort. Résultat, seules 30 % des personnes souffrant d’apnée du sommeil sont diagnostiquées. En France, on situe classiquement la prévalence de ce trouble du sommeil entre 3 et 5 % de la population, mais elle est probablement deux fois plus élevée. Par conséquent, ce ne sont sans doute pas 3 ou 4 millions de Français qui en souffrent, mais plus probablement près de 10 millions.
TLM : Pourquoi le syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) est-il si fréquent ?
Dr Marc Sapène : Avant tout parce que l’on sait mieux le diagnostiquer. Le développement de l’obésité et une plus grande prédisposition génétique aux allergies et à l’asthme contribuent également à l’augmentation de sa prévalence. On soupçonne aussi certains facteurs environnementaux de jouer un rôle, en particulier les pesticides, mais cela reste une hypothèse. Enfin, l’usage massif des psychotropes en France contribue évidemment au problème.
TLM : Vous qualifiez le SAHOS de problème de santé publique majeur. Quels en sont les risques en l’absence de traitement ?
Dr Marc Sapène : Les apnées du sommeil exposent à deux types de risque : d’une part, les risques immédiats liés à l’endormissement — accidents de la route, accidents du travail — et la mort subite, notamment chez les personnes obèses. D’autre part, les risques à long terme, en particulier l’hypertension artérielle, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies métaboliques mais aussi, et l’on y pense moins, la maladie d’Alzheimer, les troubles de la libido et la dépression. Chez les enfants, des troubles du comportement et de l’attention, une hyperactivité, un retard scolaire peuvent traduire des apnées du sommeil.
TLM : Comment les médecins généralistes peuvent-ils intervenir ?
Dr Marc Sapène : Ces praticiens jouent un rôle essentiel dans le dépistage du SAHOS. Ils doivent y penser face à tout patient qui se plaint de fatigue, notamment s’il est obèse ou en surpoids, s’il souffre de diabète (les deux tiers sont concernés), de maladies cardiovasculaires (notamment les hypertendus), ou de troubles neuropsychiatriques (en particulier de dépression). La consommation d’alcool et de tabac est aussi un facteur de risque d’apnée. Il doit absolument y penser face à un enfant qui respire par la bouche, dont le sommeil est agité et qui se surexcite la journée. Car derrière la fatigue se cache peut-être de la somnolence qui, à la différence de la première, traduit un mauvais sommeil potentiellement occasionné par des apnées. La première démarche du médecin consiste à poser quelques questions simples : est-ce que vous ronflez ? Êtes-vous fatigué au réveil ? Avez-vous des réveils nocturnes (on les impute trop systématiquement aux problèmes de prostate alors qu’ils reflètent très souvent un syndrome d’apnée du sommeil) ? Éprouvez-vous le besoin de dormir pendant la journée ? Ils peuvent aussi s’appuyer sur plusieurs outils : l’échelle de somnolence d’Epworth, l’échelle de fatigue de Pichot et une échelle de dépression. Un autre aspect important peut orienter le diagnostic : l’aspect du visage. S’il est allongé avec une bouche petite, un palais ogival, un menton rentré, et des lèvres qui restent entrouvertes, il peut traduire une inflammation des voies respiratoires survenue pendant l’enfance qui, en entravant l’inspiration nasale, aurait modulé la forme du bas du visage. On parle de dysmorphie faciale.
TLM : Sont-ils habilités à poser le diagnostic et proposer une prise en charge ?
Dr Marc Sapène : À moins qu’ils ne soient formés au diagnostic du SAHOS, les médecins généralistes doivent passer la main et adresser leurs patients à un spécialiste — médecin ORL, pneumologue ou cardiologue. Pour confirmer le diagnostic, ce praticien va réaliser un examen du sommeil : les formes sévères seront facilement détectées par une polygraphie ventilatoire, un examen réalisé en ambulatoire qui étudie le flux respiratoire, mesure l’intensité des ronflements, la fréquence cardiaque, la saturation en oxygène, l’activité nocturne ainsi que les mouvements respiratoires thoraciques et abdominaux. En cas de doute ou pour les formes légères et modérées, on préfèrera une polysomnographie, un examen beaucoup plus complet réalisé à l’hôpital qui, en plus de la mesure de l’activité respiratoire, enregistre l’activité du cerveau et permet de déterminer la structure du sommeil.
TLM : Comment traite-t-on le SAHOS ?
Dr Marc Sapène : La ventilation par pression positive continue (PPC) constitue le gold standard en matière de traitement de l’apnée du sommeil. Il est d’une efficacité extraordinaire ! Ses bienfaits sont tels que 80 % des personnes qui en bénéficient (environ 1,2 million) sont parfaitement observantes. Il faut savoir que beaucoup de progrès ont été accomplis ces dernières années, les dispositifs sont beaucoup plus discrets et performants qu’avant. Les premiers bienfaits se font sentir en quelques jours. Il est important de prévenir les patients qu’il s’agit d’un traitement à vie (sauf chez les enfants et les femmes enceintes pour qui il n’est que transitoire). Pour les plus récalcitrants, l’orthèse d’avancée mandibulaire constitue la principale alternative : réalisée sur mesure après un bilan buccodentaire, elle n’a cependant pas la même efficacité à long terme que la PPC. En outre, elle exige une collaboration très étroite entre le médecin qui a diagnostiqué le SAHOS et le dentiste, ce qui est —malheureusement— rarement le cas. Pour les formes légères et/ou en accompagnement du traitement, des séances de kinésithérapie oro-faciale peuvent être mises en place. Enfin, il ne faut pas négliger la place d’une bonne hygiène de sommeil, qui comprend l’instauration de rituels du coucher et la suppression des médicaments psychotropes, ainsi que la correction des autres facteurs associés (perte de poids, arrêt du tabac, réduction de la consommation d’alcool, reprise du sport...).
Propos recueillis
par Amélie Pelletier ■