• Dr. RUPPER : Guider le patient tabagique jusqu’au sevrage

Anne-Marie RUPPERT

Discipline : Addictions

Date : 21/07/2020


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LES RECHUTES FONT PARTIE INTÉGRANTE DE L’APPRENTISSAGE
DU STATUT « D’EX-FUMEUR », DÉFEND LE DR ANNE-MARIE RUPPERT, TABACOLOGUE AU SERVICE DE PNEUMOLOGIE DE L’HÔPITAL TENON (PARIS). CHAQUE TRAJECTOIRE EST DIFFÉRENTE ET PEUT NÉCESSITER PLUSIEURS TENTATIVES
AVANT DE PARVENIR À UN SEVRAGE TOTAL ET DÉFINITIF...

 

TLM : Comment évolue la consommation de tabac en France aujourd’hui ?
Dr Anne-Marie Ruppert : 
Je rappelle tout d’abord qu’un fumeur actif sur deux mourra d’une maladie liée au tabac : mala- die cardiovasculaire, insuffisance respira- toire, cancer, etc. La prise en charge du taba- gisme demeure donc un enjeu de santé pu- blique car l’arrêt du tabac reste la mesure la plus efficace pour limiter ce risque. Le se- vrage tabagique doit donc être proposé à tout fumeur mais aussi à toute personne prise en charge pour ces affections pour améliorer leur pronostic.

Un certain nombre de mesures de santé pu- blique ont été mises en place par les autori- tés sanitaires : le paquet neutre, la promo- tion du sevrage et l’augmentation impor- tante du prix du tabac. Elles montrent leur efficacité avec une baisse de la prévalence du tabagisme de 29.4 % à 25.4 % entre 2016 et 2018, soit 1,6 millions de fumeurs en moins. A noter que, pour la première fois, cette baisse touche toutes les classes d’âge et toutes les catégories socio-écono- miques. On devrait observer une poursuite de cette diminution en lien avec celle de l’augmentation du prix du tabac à travers l’objectif, en 2020, d’un paquet de ciga- rette à 10 euros. Ces mesures contribuent certainement au fait que 80 % des fumeurs reconnaissent vouloir arrêter. Il y a en effet peu de fumeurs heureux. Le problème n’est donc pas tant de les convaincre de l’intérêt du sevrage tabagique que de les accompa- gner et les valoriser dans cette démarche.

 

TLM : Quel est l’intérêt, aujourd’hui, des substituts nicotiniques dans le sevrage ? Dr Anne-Marie Ruppert : Concernant les aides au sevrage, nous disposons désormais de deux approches ayant fait la preuve de leur efficacité : les substituts nicotiniques, sous toutes leurs formes, et la varénicline qui bloque les récepteurs à la nicotine. Leur utilisation double les chances d’un sevrage réussi. Ils sont donc désormais reconnus comme des médicaments à part entière. Ils sont par ailleurs extrêmement efficaces et permettent de réduire le risque de dévelop- per des maladies cardiovasculaires, respira- toires ou néoplasiques. Depuis mai 2018, les substituts nicotiniques sont enfin, eux aussi, remboursés, à l’exception de l’inha- leur et du spray. Cela favorise grandement la prise en charge. Le non-remboursement constituait un frein notable pour les catégo- ries socio-professionnelles les plus défavori- sées qui sont aussi les plus touchées par le tabagisme. Le prix libre en pharmacie don- nait en outre lieu à des disparités plus qu’étonnantes, avec des tarifs pouvant va- rier de 1 à 4. Il faut souligner que les substi- tuts nicotiniques peuvent aussi être prescrits par les paramédicaux mais ces derniers le font encore très peu, faute de formation.

 

TLM : Comment valoriser les candidats au sevrage, notamment en cas de rechute ou d’échec ?
Dr Anne-Marie Ruppert : 
Il faut prendre en compte les facteurs de risque d’échec comme les comorbidités psychiatriques, notamment les syndromes dépressifs, qui doivent donc aussi être pris en charge, et la dépendance lourde. Dans ce cas, la prise en charge est plus complexe mais n’obère pas la réussite. Il faut alors faire comprendre au patient qui rechute qu’il n’y a pas d’échec, mais juste des succès reportés, selon les mots du Pr Vincent La- grue, ce pionnier de la lutte contre le ta- bagisme. Les rechutes font partie inté- grante de l’apprentissage du statut « d’ex- fumeur ». Chaque trajectoire est différente et peut parfois nécessiter un nombre im- portant de tentatives avant de parvenir à un sevrage total et définitif.

 

TLM : Estimez-vous les médecins généra- listes bien armés pour prendre en charge le tabagisme ?
Dr Anne-Marie Ruppert : 
Alors que le tabac concerne pratiquement un tiers des fran- çais, le niveau de connaissance des méde- cins généralistes reste limité. Une étude menée il y a quelques années auprès d’étudiants en médecine générale à Sor- bonne Université a ainsi montré que leurs connaissances sur la prise en charge du se- vrage tabagique étaient insuffisantes. Ce qui est fort dommageable compte tenu de la prévalence du tabagisme et qu’un fu- meur sur deux mourra de cette maladie qui s’attrape le plus souvent à l’adoles- cence. Cela devrait suffire pour motiver les médecins généralistes à se former sachant, effectivement, que cette prise en charge reste encore trop peu valorisée au regard de l’investissement qu’elle nécessite. Il est impératif que tous les professionnels de santé profitent du changement de la per- ception du tabac chez les fumeurs et de la mise à disposition de traitements efficace pour continuer d’endiguer ce fléau.

 

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