• Dr ROSS-BERNARD : Allaiter et travailler, c’est possible !

Séverine ROSS-BERNARD

Discipline : Pédiatrie

Date : 10/10/2021


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Reprendre le travail en poursuivant l’allaitement maternel devrait être davantage encouragé, à la fois par le corps médical, les entreprises et les pouvoirs publics, plaide le Dr Séverine Roos-Bernard, médecin généraliste à Marlenheim (Bas-Rhin).

 

TLM : Un peu moins d’un tiers des mères allaitent leur bébé à la fin du 3e mois. Quels sont les freins ?

Dr Séverine Roos-Bernard : D’après les dernières données qui datent de 2016, l’allaitement maternel passe de plus de 70 % à la sortie de la maternité à 50 % à la fin du premier mois de bébé, puis à seulement 30 % à la fin du troisième. Même s’il n’est pas le seul, la reprise du travail, et plus particulièrement l’absence d’endroit pour s’isoler afin de tirer son lait, constitue un frein majeur à sa poursuite. La loi octroie pourtant à la maman salariée, et ce jusqu’au 12e mois du nourrisson, la possibilité d’allaiter en lui accordant une heure de liberté par jour, soit pour sortir allaiter son enfant soit pour l’allaiter au sein de l’entreprise. De même, la loi fait obligation à l’employeur de mettre à disposition de son employée un local pour lui permettre de tirer son lait ou d’allaiter son enfant. Mais la plupart des femmes n’osent pas en faire demande.

 

TLM : Comment s’organiser pour concilier allaitement maternel et travail ?

Dr Séverine Roos-Bernard : Je conseille d’anticiper en commençant à tirer son lait quelques semaines avant la reprise afin de constituer un stock suffisant de lait maternel pour parer aux besoins. Cela nécessite de s’équiper d’un tire-lait ; mieux vaut choisir un modèle électrique à double-pompage, qui permet de tirer les deux seins en même temps : beaucoup plus simple qu’un tire-lait manuel, il est aussi nettement plus efficace et rapide. Les femmes peuvent en louer un en pharmacie, sur prescription de leur médecin généraliste, de leur gynécologue ou de leur sage-femme. Depuis 2019, la prescription initiale est limitée à 10 semaines, et peut ensuite être renouvelée par période maximale de trois mois, sans limite dans le temps. Le forfait de location hebdomadaire s’élève à 7,48 euros, base du remboursement par l’Assurance maladie, le reste est pris en charge par les complémentaires santé.

 

TLM : Combien de fois une femme doit-elle prévoir de tirer son lait au travail ?

Dr Séverine Roos-Bernard : Tout dépend de l’âge de l’enfant et du nombre d’heures pendant lesquelles il est séparé de sa mère : si cette dernière travaille à temps plein et que le temps de trajet entre son domicile et son lieu de travail est important, la situation sera très différente de celle d’une femme qui exerce à mi-temps près de chez elle. En outre, alors que toutes les femmes produisent la même quantité de lait sur 24 heures, elles ont chacune leur propre capacité de stockage : certaines pourront assurer huit tétées, contre seulement cinq pour d’autres. Les conseils doivent donc être individualisés en fonction de la situation. Il existe néanmoins un grand principe valable pour toutes les mères qui allaitent : plus l’enfant est petit, plus le nombre de stimulations quotidiennes doit être élevé. À deux mois et demi, on recommande donc aux femmes de tirer leur lait au moins deux fois au cours d’une journée de travail, afin de stimuler et de maintenir leur production de lait.

 

TLM : Comment procèdent-elles pour conserver leur lait ?

Dr Séverine Roos-Bernard : Il faut impérativement éviter toute rupture de la chaîne du froid. Pour ce faire, on conserve le lait maternel au réfrigérateur (jusqu’à cinq jours), ou dans un sac isotherme fourni avec le tire-lait électrique pour un usage le jour même. On peut également conserver le lait maternel au congélateur (six mois dans un congélateur indépendant, quatre mois dans la partie congélation du réfrigérateur). Bien que sa composition évolue avec l’âge de l’enfant, on peut tout à fait donner à son bébé de six mois du lait tiré lorsqu’il n’avait que trois mois, car ses propriétés seront toujours supérieures à celles du lait artificiel. Avant de le proposer au bébé, on le décongèle au réfrigérateur puis on le réchauffe au bain-marie —on évitera le micro-ondes en raison des risques de brûlure.

 

TLM : Justement, rappelons les bénéfices de l’allaitement maternel...

Dr Séverine Roos-Bernard : Les bienfaits du lait maternel pour le nourrisson sont multiples : réduction du risque d’infections gastro-intestinales et d’infections respiratoires hautes et basses, baisse du nombre d’hospitalisations liées à ces maladies, réduction du risque d’obésité et de diabète de type 2 à long terme (au-delà de trois mois d’allaitement) ; chez les prématurés, on observe un meilleur développement psychomoteur et une réduction du risque de décès par entérocolite ulcéronécrosante. Les femmes tirent également profit de l’allaitement maternel : elles ont moins de risque de développer un cancer du sein ou de l’ovaire, et de souffrir d’ostéoporose à la ménopause.

 

TLM : Est-il nécessaire de préparer son bébé à la prise de biberon avant de retourner au travail ?

Dr Séverine Roos-Bernard : Non, c’est inutile. En revanche, pour mieux faire accepter le biberon à leur enfant, les femmes peuvent le faire donner par quelqu’un d’autre et se réserver les allaitements au sein.

 

TLM : La France fait-elle le maximum pour permettre aux femmes qui le souhaitent d’allaiter au travail ?

Dr Séverine Roos-Bernard : On est malheureusement très en retard par rapport à d’autres pays d’Europe. Depuis 2016, on observe une baisse de la poursuite de l’allaitement lors de la reprise du travail. C’est dommage, car celle-ci est généralement mieux vécue par les mères, qui ont le sentiment de maintenir un lien avec leur bébé. En outre, selon plusieurs études américaines, elles sont moins souvent absentes : les entreprises auraient donc tout intérêt à favoriser l’allaitement sur le lieu de travail.

 

TLM : Les médecins généralistes ont-ils un rôle à jouer ?

Dr Séverine Roos-Bernard : Oui, ils devraient encourager les femmes qui reprennent le travail à continuer à allaiter leur enfant, et les accompagner pour que cela se passe au mieux, mais leur formation est malheureusement largement insuffisante. Face à une mère qui rencontre des difficultés pour allaiter, la plupart vont l’inciter à abandonner au profit d’un biberon de lait en poudre. De plus, leur vécu personnel, pour peu qu’il ait été négatif, influence inévitablement leur discours. Néanmoins, j’encourage les femmes à se tourner vers les associations reconnues, dont les sites Internet regorgent d’informations pratiques fiables.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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