• Dr Romain Boulestreau : Surveiller la pression artérielle des patients diabétiques

Romain Boulestreau

Discipline : Cardiologie

Date : 17/01/2023


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Il faut être très vigilant sur l’état artériel et cardiaque des patients diabétiques à risque élevé de coronaropathie, d’accident vasculaire cérébral, d’atteinte rénale et d’insuffisance cardiaque, prévient le Dr Romain Boulestreau, cardiologue dans le service des Maladies cardiovasculaires et associé au centre d’excellence en Hypertension artérielle du CHU de Bordeaux.

 

TLM : Quelles sont les dernières recommandations concernant les seuils de pression artérielle à partir desquels le patient doit être traité ?

Dr Romain Boulestreau : Toutes les recommandations récentes sont concordantes sur ce point. Lorsque la pression artérielle dépasse 135/85 mmHg sur la moyenne des 18 auto-mesures (trois le matin, trois le soir au domicile pendant trois jours), ou quand elle est supérieure à 130/80 mmHg sur un holter des 24 heures, un traitement sera proposé le plus souvent. Quand la tension est mesurée en consultation, le seuil est de 140/90 mmHg sur la moyenne de trois mesures réalisées dans des conditions standardisées, reproduite sur plusieurs consultations rapprochées. Il faut éviter de se fonder sur cette seule mesure prise en consultation, puisque des études ont montré que, du fait de l’effet blouse blanche notamment, elle trompe le médecin par rapport à la pression artérielle réelle du patient dans 25 à 45% des cas.

 

TLM : Comment prendre en charge les patients hypertendus en 2022 ?

Dr Romain Boulestreau : Pour les patients, présentant une hypertension légère, à faible risque cardiovasculaire, avec une motivation importante, il est possible dans un premier temps de proposer des mesures pour corriger l’hygiène de vie, si celle-ci est inadaptée. Mais tous les patients ne sont pas capables de réduire leur consommation de sel, de pratiquer une activité physique régulière au moins trois fois par semaine, de perdre du poids, de limiter la consommation d’alcool et d’arrêter de fumer. On peut proposer à ces patients de mettre en place simultanément ces règles d’hygiène de vie et un traitement médical, puis d’envisager l’arrêt de ce dernier au bout de quelques mois d’efforts fructueux ; on pratiquera alors une mesure ambulatoire de pression artérielle pour vérifier que cette dernière est devenue normale. L’hygiène de vie est donc à recommander chez tous les patients. Le traitement pharmacologique est systématiquement introduit pour une hypertension artérielle de grade 2 (entre 160/100 et 180/110 mmHg) ou pour un patient à haut risque cardiovasculaire.

 

TLM : Quels médicaments préconisent les sociétés savantes ?

Dr Romain Boulestreau : Aujourd’hui, les recommandations en particulier du NICE (National Institute for Health and Care Excellence) en Grande-Bretagne sont les plus simples et les plus pragmatiques. Le traitement initial repose soit sur la prescription d’un inhibiteur calcique à demi-vie longue, en une prise par jour (en particulier pour les patients de plus de 55 ans, ou pour ceux à la peau noire), soit sur un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC), ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2). Une classe thérapeutique prescrite à pleine dose permet de faire baisser la pression artérielle de 10 mmHg. Pour les patients au dessus de 20 mmHg par rapport à la norme, l’association de deux médicaments d’emblée est possible : un inhibiteur calcique en association avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou avec un ARA2, à demi-dose pour commencer.

L’efficacité est vérifiée par des automesures à domicile au bout d’un mois. Le traitement est majoré si l’effet est insuffisant. L’association de ces deux classes à pleine dose suffit à contrôler la tension de nombre de patients. Si ce n’est pas le cas, il est recommandé d’ajouter un diurétique thiazidique.

 

TLM : Bien des patients sont à la fois hypertendus et diabétiques. Comment les prendre en charge ?

Dr Romain Boulestreau : Il s’agit effectivement d’une association fréquente. Ces patients sont à haut risque cardiovasculaire. En l’absence d’hypotension orthostatique et de fragilité importante, il faut contrôler au mieux la pression artérielle, pour réduire le risque d’événements cardiaques et vasculaires, en visant plutôt 130/80 mmHg.

 

TLM : Et quels médicaments prescrire ?

Dr Romain Boulestreau : Pour ces patients, on associe volontiers en première ligne les IEC ou ARA2 avec les inhibiteurs calciques. Ces associations ont un effet néphroprotecteur intéressant en particulier chez les patients protéinuriques, à risque d’atteinte rénale. Ces médicaments n’ont pas d’impact sur les paramètres glucidiques ou lipidiques, contrairement aux bêta-bloquants ou aux diurétiques.

 

TLM : Comment surveiller ces patients à haut risque ?

Dr Romain Boulestreau : Il faut être très vigilant sur l’état artériel et cardiaque de ces patients, à risque élevé de coronaropathie, d’accident vasculaire cérébral, d’atteinte rénale et d’insuffisance cardiaque. Un bilan complet du niveau de risque cardiovasculaire doit être réalisé, pour définir le niveau de pression artérielle et le taux du LDL cholestérol à cibler et décider de la prescription d’un antiagrégant plaquettaire. Le rapport albuminurie sur créatinurie ne doit pas être oublié.

En cas d’atteinte rénale, cardiaque ou vasculaire avérée, il faudra discuter de la prescription d’un ISGLT2 ou d’un analogue du GLP1. Ces médicaments antidiabétiques ont la particularité, outre l’impact sur la glycémie, d’avoir un effet protecteur au plan cardiovasculaire et au plan rénal, bien plus que les autres molécules antidiabétiques. Et, de surcroît, ils ont un petit effet antihypertenseur.

 

TLM : Aujourd’hui les médecins disposent-ils d’un arsenal efficace contre l’hypertension artérielle dans toutes les situations ?

Dr Romain Boulestreau : Très clairement. Tous les patients devraient facilement être contrôlés, avec les automesures de la pression artérielle à domicile, avec une surveillance tous les mois au début pour majorer les traitements, si nécessaire, ou introduire les classes thérapeutiques recommandées en association et en adressant les quelques patients complexes aux centres experts.

Il ne faut pas oublier de dépister les 10% de patients qui présentent une HTA secondaire. Mais tout cela est loin d’être le cas actuellement, pour trois raisons. D’une part, tous les hypertendus ne sont pas dépistés. D’autre part, les patients ne bénéficient pas tous des classes thérapeutiques recommandées en associations fixes. Et enfin, ils ne sont pas toujours observants. Il y a une grande marge de manœuvre pour améliorer la prise en charge de l’hypertension artérielle en France. Mais les outils eux sont disponibles.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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