• Dr Rémi Maghia : Les idées fausses sur la prévention solaire

Rémi Maghia

Discipline : Dermatologie

Date : 06/07/2023


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La prévention solaire ne doit pas se limiter aux deux mois d’été, mais faire partie du quotidien des Français tout au long de l’année, estime le Dr Rémi Maghia. Pour ce dermatologue brestois, l’application de crème solaire doit compléter le port de vêtements couvrants, pas le remplacer. Une vision raisonnable qui se heurte encore à l’attrait de nos compatriotes pour la peau halée.

 

TLM : Quelle est la meilleure forme de protection solaire ?

Dr Rémi Maghia : Ce sont les vêtements !

Mais même si les crèmes solaires ne garantissent pas une protection absolue — c’est sans doute pourquoi le terme « écran total » a disparu—, elles filtrent tout de même 98% des rayons du soleil : la peau finit donc toujours par bronzer.

Néanmoins, si l’on applique une crème de protection solaire à indice 50+ en quantité suffisante, on protège sa peau des effets néfastes des rayons UV. Encore faut-il correctement appliquer le produit.

Rien ne sert d’en mettre une couche épaisse, mais pas question non plus d’être chiche : pour le visage, les recommandations sont d’environ une cuillère à café de crème solaire —malheureusement, elles sont rarement suivies. Il faut ensuite bien masser la peau pour faire pénétrer le produit. Attention aussi à ne pas tomber dans l’excès inverse et à s’exposer davantage sous prétexte que l’on a appliqué un produit de protection solaire, un écueil que l’on constate encore trop souvent. Mais, soyons clairs : parler de protection solaire à des individus qui s’apprêtent à aller à la plage, ça n’a pas de sens ! Vouloir bronzer tout en restant protégé du soleil, c’est le rêve de la plupart des gens, mais il est irréalisable !

Alors se protéger, c’est porter des vêtements couvrants et appliquer de la crème solaire sur les parties non couvertes à savoir le visage, le cou, les mains… et éviter de s’exposer le corps au soleil.

 

TLM : On parle de protection solaire lorsque les vacances d’été approchent, mais le risque existe pourtant le reste de l’année...

Dr Rémi Maghia : Évidemment ! Le soleil brille toute l’année, pas seulement les deux mois où les gens sont en vacances d’été et se rendent à la plage ! On doit donc protéger sa peau toute l’année, dès que l’on sort à l’extérieur et qu’il ne pleut pas.

 

TLM : Il est conseillé de racheter un produit solaire chaque année et d’éviter d’utiliser celui de l’année précédente. Ce conseil relève-t-il du marketing industriel ou repose-t-il sur une vérité scientifique ?

Dr Rémi Maghia : Nombreux sont les gens qui réutilisent le tube de l’année précédente, au prétexte qu’il n’est pas fini. Ce comportement est problématique à deux niveaux : si leur tube contient encore du produit, c’est la preuve qu’ils n’ont pas adopté les bons comportements en termes de protection solaire puisqu’ils n’ont pas appliqué suffisamment de crème solaire ; des études ont par ailleurs montré que ces produits ont une durée d’efficacité limitée et qu’ils s’altèrent une fois entamés. C’est pourquoi on conseille d’acheter un nouveau tube de crème chaque été. Mais, encore une fois, le meilleur conseil que l’on puisse donner c’est de se protéger du soleil tout au long de l’année, pas seulement pendant deux mois l’été.

 

TLM : Quand on parle de se protéger du soleil, de quoi est-il question ?

Dr Rémi Maghia : Se protéger du soleil, c’est se protéger de ses méfaits à court terme, à savoir des coups de soleil, et de ses méfaits à plus long terme, que sont les rides, les kératoses — ces tâches qui peuvent évoluer en cancers—, et, évidemment, des cancers de la peau.

 

TLM : Quelle est la prévalence des cancers de la peau en France ?

Dr Rémi Maghia : Les cancers cutanés sont les plus fréquents de tous les cancers ; environ 80 000 cas sont diagnostiqués chaque année en France, parmi lesquels 70 % sont des carcinomes basocellulaires.

Comme ils ne forment jamais de métastases, ils sont considérés comme peu dangereux. À condition toutefois de les retirer à temps. Ils apparaissent généralement sur les zones découvertes de la peau : le visage, le cou et le dos des mains principalement. Moins fréquents mais beaucoup plus agressifs, les mélanomes sont des lésions polychromes qui peuvent s’étendre dans les couches plus profondes de la peau. Il faut donc les traiter suffisamment tôt pour prévenir l’invasion du derme ; si la prise en charge est trop tardive, ces tumeurs peuvent s’étendre à d’autres organes et s’avérer potentiellement mortelles.

 

TLM : Les recommandations visent plus particulièrement les enfants : sont-ils suffisamment protégés ?

Dr Rémi Maghia : Oui, c’est même la frange de la population la mieux protégée. Les parents pensent presque toujours à leur mettre un tee-shirt et à leur appliquer de la crème solaire, alors qu’ils oublient d’en faire autant pour eux-mêmes. Quant aux adolescents, rares sont ceux qui tiennent compte des conseils en la matière… Je ne suis pas de ceux qui pensent que les messages de prévention doivent cibler certaines catégories de la population. Selon moi ils doivent s’adresser à tout le monde.

 

TLM : Qu’est-ce qui explique, selon vous, que les recommandations en matière de protection solaire soient si mal suivies par les Français ?

Dr Rémi Maghia : En France, le bronzage est encore considéré comme un signe de beauté. En Australie, c’est l’inverse : être bronzé est désormais mal vu, considéré comme une pratique dévalorisante, « bas de gamme ». Résultats, les Australiens se protègent massivement et ce d’autant plus que les prix des produits solaires sont très abordables.

 

TLM : Quelles sont les idées fausses en matière de protection solaire ? Comment les combattre ?

Dr Rémi Maghia : Certaines personnes pensent que le bronzage les protège contre les coups de soleil, ce qui est absolument faux. En outre, même sans coup de soleil, on abîme sa peau en l’exposant sans protection. Car c’est l’effet cumulatif du soleil sur la peau qui altère le capital solaire. On a également longtemps entendu dire — et encore parfois aujourd’hui — qu’avoir des coups de soleil pendant l’enfance permettait en quelque sorte de « tanner » la peau et donc de la protéger contre les méfaits du soleil. De la même façon, certains pensent qu’avoir un coup de soleil chaque année la « renforce ». C’est totalement absurde. Enfin, la chaleur est associée au soleil, donc s’il fait frais, on ne bronze pas ! Résultat, la prévalence du cancer de la peau est deux fois plus élevée en Bretagne qu’en région Provence-Alpes-Côte d’Azur…

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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