Dr. RAKZA : Un label pour des maternités qui accompagnent l’allaitement maternel
Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme
Date : 25/04/2021
TLM : Pourquoi est-ce important de promouvoir l’allaitement ?
Dr Thameur Rakza : D’abord parce que l’allaitement est bénéfique pour les mamans qui allaitent et pour leurs bébés. Le bénéfice majeur bien démontré par des méta-analyses pour les femmes est la réduction du risque de cancer du sein, surtout si l’allaitement est prolongé et que la femme allaite à plusieurs reprises. L’allaitement permetaussi une perte de poids plus importante. Autre avantage de l’allaitement, une involution utérine plus rapide avec moins de risque d’hémorragie. Pour les bébés, l’allaitement favorise une meilleure croissance. Le lait maternel contient des IgE sécrétoires très protecteurs sur le plan infectieux : les bébés
allaités sont moins sujets aux bronchiolites, gastro-entérites, otites... C’est aussi un aliment disponible à tout moment, ne nécessitant pas d’être préparé ni chauffé et qui ne coûte rien, alors que le lait artificiel peut représenter un budget conséquent pour des familles
modestes. L’allaitement a enfin un impact positif sur le lien mère-enfant. L’OMS estime qu’un allaitement maternel exclusif de cinq mois offre 100% des bénéfices au bébé mais si une femme allaite pendant deux ou trois mois les bénéfices sont déjà importants.
Comment faire progresser les chiffres de l’allaitement ?
Il est important de promouvoir une approche de l’allaitement rationnelle, scientifique, pragmatique, et non pas militante. Nous devons rester sur des bénéfices scientifiquement prouvés et pas sur des allégations. Ainsi, nous pouvons soutenir que l’allaitement a montré un effet sur le développement psychomoteur des enfants prématurés nés avant 28 semaines, mais pas affirmer que cela est valable pour les enfants nés à terme car cela n’a pas été scientifiquement prouvé. Il faut aider les patientes en les informant et en leur donnant le choix. L’accompagnement à l’allaitement doit être basé sur l’écoute, le respect du choix de la patiente et la liberté accordée à celle-ci d’allaiter pendant la durée de son choix. Elle doit se sentir libre d’arrêter à sa guise. Une femme qui souhaite allaiter son bébé prématuré seulement sur une semaine doit être accompagnée sur une semaine.
Qu’est-ce que le label IHAB ?
Ce label est le fruit de la collaboration entre l’OMS et l’UNICEF pour développer l’allaitement dans les pays en voie de développement. Il repose sur un cahier des charges contenant 12 recommandations. Les résultats ayant été flagrants, l’idée a germé d’utiliser ce standard dans les pays développés. Le cahier des charges repose sur des bases physiologiques du bébé et de la maman (physiologie de la grossesse, de la naissance, de l’alimentation) et sur le couple bébé/parents. Il établit un standard propice à un discours harmonieux et cohérent de l’ensemble du personnel qui entoure le couple. Pour bénéficier de ce label, au moins 80% des effectifs de la maternité, personnel administratif comme soignant, doit recevoir au minimum 20 heures de formation. Le couple peut alors être entouré par des professionnels formés, bienveillants, soutenants, qui appliquent les bases physiologiques. Si l’on s’intéresse à l’allaitement de façon spécifique, cela signifie laisser le bébé pendant deux heures avec sa maman après l’accouchement en peau à peau sans interruption et en toute sécurité, puis soutenir les jeunes parents en leur laissant beaucoup d’autonomie Il a été montré que cela favorisait l’allaitement, ainsi que l’attachement et la relation maman-bébé.
Que proposent les maternités « Initiative Hôpital Ami des Bébés » pour accompagner l’allaitement ?
L’accompagnement à l’allaitement est structuré, standardisé. Il se fait en anténatal, en salle de naissance, et après la sortie des mamans de la maternité. L’information avant l’accouchement est fondamentale, plus productive que tout baser sur le post-partum, où les femmes sont moins réceptives. Nous leur proposons donc une matinée Info bébé avec une formation complète sur l’allaitement et ses bénéfices d’une durée de trois heures et demie (en visioconférence actuellement). Cette formation a été validée par un groupe de travail ; elle est dispensée par des puéricultrices. Ensuite, quand les femmes ont accouché, elles bénéficient d’un accompagnement en salle de naissance avec une mise au sein précoce, une expression manuelle afin de recueillir le colostrum, pour les femmes dont le bébé doit partir en réanimation ou en soins intensifs. L’accompagnement se fait aussi après la sortie de la maternité, en lien avec un réseau de sages-femmes formées à la lactation et d’associations, et une consultation lactation.
La maternité Jeanne de Flandres du CHU de Lille possède ce label depuis 2015. Quels sont ses résultats en matière d’allaitement ?
Les chiffres de 2020 sont nettement supérieurs à ceux de la moyenne nationale. 75% des 5 500 femmes qui ont accouché ont initié l’allaitement maternel (contre environ 60%) ; 71% quittent la maternité en allaitant. Une enquête menée sur 250 patientes montre que 71% des femmes allaitent toujours au bout de 30 jours, dont 60% de façon exclusive. Au bout de trois mois, 48% des femmes pratiquent un allaitement exclusif, soit quasiment une femme sur deux. La moyenne nationale est de 39 % à trois mois, dont 10% d’allaitement exclusif.
Comment former les médecins généralistes à l’allaitement ?
L’allaitement ne fait pas partie de la formation universitaire des médecins généralistes. Or, ils sont confrontés aux questions de leurs patientes, le plus souvent « Ai-je assez de lait pour mon bébé ? ». Dans le bassin lillois, nous avons travaillé sur un quiz allaitement pour les médecins généralistes, réalisé à partir de questions de patientes avec des réponses de professionnels formés. Ce QCM vidéo comprend quatre modules de questions et permet l’auto-évaluation des médecins généralistes. Nous l’avons testé sur un panel de médecins généralistes et nous avons constaté que leur niveau de connaissances avait bien progressé. Les médecins généralistes étant de plus en plus souvent des femmes, celles-ci s’intéressent à l’allaitement, se forment souvent par des initiatives personnelles (diplômes d’université d’allaitement, articles médicaux, congrès, soirées FMC...). Elles nous appellent à la maternité pour renseigner leurs patientes. Je pense que les généralistes vont pouvoir accompagner de plus en plus leurs patientes qui allaitent.
Propos recueillis par Apolline Giraudet ■