• Dr PUGLIESE : VIH : les médecins généralistes peuvent initier la PrEP

Pascal PUGLIESE

Discipline : Infectiologie

Date : 10/10/2021


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On ne mettra pas fin à l’épidémie de sida sans l’aide des médecins généralistes, affirme le Dr Pascal Pugliese, médecin au CHU de Nice, et président de la Société française de lutte contre le Sida (SFLS) et du Comité régional de la lutte contre le VIH en PACA-Est (Corevih PACA-Est).

 

TLM : La pandémie de Covid-19 a-t-elle eu un impact sur la lutte contre le VIH ?

Dr Pascal Pugliese : Indéniablement. Même si les données mises à jour cet été ne sont que partielles, elles révèlent une baisse de 16 % du dépistage sur l’ensemble du territoire depuis mars 2019. L’Ile-de-France accuse une réduction de 36 % des nouveaux diagnostics VIH. Ce constat peut s’expliquer par une difficulté d’accès à l’offre de dépistage (laboratoires d’analyses médicales et centres de dépistage), mais aussi par un arrêt par les acteurs de prévention de « l’aller vers » les populations les plus exposées —Hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), travailleurs du sexe et personnes nées à l’étranger. On a également constaté une moindre prescription de la prophylaxie préexposition (PrEP), qui peut s’expliquer tout à la fois par des difficultés d’accès aux soins, par une baisse de l’activité sexuelle pendant les confinements mais peut-être aussi par une baisse de la prévention. On redoute en conséquence un retard au diagnostic faisant craindre une reprise de l’épidémie. En revanche, les patients vivant avec le VIH ont pu continuer à recevoir leur traitement. Si l’on veut respecter l’objectif de zéro nouvelle contamination d’ici 2030, nous allons donc devoir opérer un rattrapage à la fois du dépistage et de la prévention par la PrEP.

 

TLM : Comment comptez-vous vous y prendre ?

Dr Pascal Pugliese : Nous allons communiquer davantage sur ces stratégies de prévention diversifiée du VIH, qui associe donc un dépistage répété des personnes les plus vulnérables au VIH, la protection des rapports sexuels par l’usage du préservatif ou de la PrEP par les personnes les plus exposées, et un traitement précoce des personnes dès le diagnostic d’infection par le VIH.

 

TLM : Quelle est la place des médecins généralistes dans ce dispositif ?

Dr Pascal Pugliese : Elle est essentielle. Nous ne mettrons pas fin à l’épidémie de sida sans un partenariat fort et une coordination dans le parcours de prévention et de soins avec les médecins de premier recours. Les recommandations de dépistage doivent être rappelées et mises en œuvre et nous pouvons les aider à identifier parmi leurs patients les personnes les plus exposées, pouvant bénéficier d’un dépistage répété et d’une prophylaxie pré-exposition. Cette démarche est d’autant plus cruciale que depuis le 1er juin 2021, tous les médecins peuvent initier une PrEP. Pour les accompagner, les recommandations de prise en charge proposées par la HAS ont été simplifiées et nous avons développé une plateforme de e-learning, FormaPReP.org, accessible gratuitement et validante dans le cadre du DPC (Développement professionnel continu). Depuis sa mise en route, plus d’un millier de médecins se sont inscrits sur cette plateforme, ce qui est très satisfaisant compte tenu de la période où la priorité était plutôt la lutte contre le Covid-19.

 

TLM : Quelles autres actions comptez-vous développer pour impliquer davantage les médecins généralistes dans la lutte contre le VIH/sida ?

Dr Pascal Pugliese : Nous devons leur faire connaître les ressources en santé sexuelle présentes sur les territoires (centres de dépistage, associations communautaires, réseaux de soins en santé sexuelle, centres d’addictologie, etc.) afin qu’ils puissent utiliser ces offres et rejoindre ces réseaux s’ils le souhaitent. Nous misons aussi sur la mise en situation avec des consultations de prophylaxie pré-exposition où les médecins assistent et/ou réalisent ce type de consultation en présence de leurs pairs. Plus globalement, nous avons pour objectif de mettre aussi la santé sexuelle au cœur des préoccupations de santé publique : la stratégie nationale de santé sexuelle pour la période 2017-2030 est en cours de réévaluation, et la prochaine feuille de route devrait inclure de nombreux outils et décisions visant à davantage associer les soins primaires dans le champ de la santé sexuelle.

 

TLM : En matière de traitement, y a-t-il eu des avancées récemment ?

Dr Pascal Pugliese : Les traitements antirétroviraux actuellement recommandés en trithérapie sont efficaces, simples à prendre et bien tolérés. Des bithérapies antirétrovirales, réduisant le nombre de molécules et les effets secondaires et maintenant l’efficacité virologique représentent aussi un progrès notable. La prochaine avancée significative devrait être obtenue d’ici quelques semaines avec la mise sur le marché des premières générations de traitements injectables à longue durée d’action, associant deux molécules, cabotegravir et rilpivirine. Ces traitements ne nécessiteront que deux injections intramusculaires tous les deux mois, ce qui devrait convenir à des patients pour améliorer l’observance mais aussi la qualité de vie.

 

TLM : Ce traitement pourra-t-il être proposé à tous les patients ?

Dr Pascal Pugliese : Il sera proposé aux patients n’ayant pas de résistance à ces deux molécules. En outre, son administration nécessitera une organisation différente des soins : il n’est pas souhaitable que les patients, suivis généralement tous les six mois, reviennent à l’hôpital pour ces injections ; il faudra donc aussi organiser le parcours de soins avec les infirmiers libéraux.

 

TLM : D’autres pistes à l’étude qui suscitent l’espoir ?

Dr Pascal Pugliese : De nombreux autres traitements sont à l’étude, parmi lesquels des molé- cules pouvant être administrées via un implant sous-cutané, pour une durée d’action de six mois ou plus. Les progrès de la recherche reposent à la fois sur le développement de nouvelles molécules, mais aussi sur les dispositifs d’administration des médicaments. Les réflexions en cours consistent à savoir quelles combinaisons de traitements pourront être utilisées car une seule molécule ne pourra probablement pas, à elle seule, réduire durablement la réplication virale. Quant à la fabrication d’un vaccin efficace, le défi est encore loin d’être relevé. Nous avons essuyé plusieurs échecs, divers candidats sont encore à l’étude dont l’un repose sur la technique de l’ARNm : ce sont d’ailleurs probablement les travaux entrepris dans la recherche d’un vaccin contre le sida qui ont permis le développement rapide d’un vaccin contre le SARS-CoV-2 à l’origine du Covid-19. Les succès de la vaccination anti-Covid devraient, à leur tour, permettre d’avancer dans la recherche d’un vaccin contre l’infection par le VIH. In fine, c’est du gagnant-gagnant.

 

TLM : En attendant l’arrivée de ces nouveaux traitements, quelle est la stratégie thérapeutique ?

Dr Pascal Pugliese : Elle consiste à instaurer un traitement antirétroviral le plus précocement possible, dès le diagnostic. Cette approche de « Test & Treat » permet de diminuer rapidement la charge virale de la personne traitée. Celle-ci restaure ainsi son immunité et ne transmet plus le virus du fait d’une charge virale rendue indétectable. Le bénéfice est donc double, à la fois individuel et collectif.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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