• Dr PIOT : FA : Place des AOD chez le patient fragile

Olivier PIOT

Discipline : Cardiologie

Date : 11/07/2022


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Aujourd’hui les AOD constituent l’anticoagulant de prédilection dans le traitement de la fibrillation atriale (FA), y compris chez le patient fragile. Mais il faudra tout particulièrement surveiller l’apparition de saignements et la fonction rénale pour lui adapter la dose administrée. Interview du Dr Olivier Piot, rythmologue au Centre cardiologique du Nord à Saint-Denis.

 

TLM : En termes épidémiologiques que représente la FA ?

Dr Olivier Piot : La FA, le plus fréquent des troubles du rythme soutenu, touche environ un million de personnes en France, avec un doublement attendu pour 2050. Elle est fortement liée à l’âge : moins de 1% des moins de 50 ans, alors qu’au dessus de 80 ans c’est plus de 5 %. Si elle est plus fréquente chez l’homme, elle est plus sévère chez la femme en termes de risque thrombo-embolique en présence d’autres facteurs de risque thrombo-emboliques tels que l’âge, l’HTA. Ajoutons que des comorbidités de plus en plus fréquentes comme l’HTA, le diabète, l’insuffisance cardiaque, la maladie coronaire mais aussi l’insuffisance rénale, l’obésité et l’apnée du sommeil qui sont traitables contribuent à la survenue et à la gravité de la FA.

 

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TLM : Peut-on rappeler les principales conséquences d’une FA non traitée ?

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Dr Olivier Piot : Le médecin peut être alerté en premier lieu par son retentissement fonctionnel —palpitations, dyspnée d’effort qui peut évoluer jusqu’à l’insuffisance cardiaque. Et puis il y a la complication gravissime que constitue l’accident vasculaire cérébral (AVC) puisque la FA favorise la formation de thrombus dans l’oreillette gauche et surtout dans l’auricule gauche. L’AVC peut survenir chez un patient jusque-là totalement asymptomatique avec une FA dite silencieuse. La FA est aussi liée à la survenue de troubles cognitifs. Il faut ajouter que les patients atteints d’une FA sont souvent âgés et polypathologiques avec éventuellement une insuffisance rénale, un diabète, etc. Ce qui implique que lorsqu’un patient atteint d’une FA se présente devant le cardiologue, il devra faire l’objet d’une prise en charge globale, en concertation avec le médecin traitant et les spécialistes des différents organes atteints.

 

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TLM : Quel est le profil du patient fragile dans le champ de la FA ?

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Dr Olivier Piot : Il s’agit de patients âgés —au dessus de 80 ans— avec des comorbidités comme une insuffisance rénale avancée et/ou une insuffisance cardiaque avec dysfonction ventriculaire gauche systolique sévère. La sédentarité, les difficultés de déplacement orientent vers la fragilité comme la définissent les gériatres. Quand l’ordonnance d’un patient comporte de nombreux traitements, c’est souvent qu’il y a des comorbidités —en première approche c’est le moyen très simple de savoir si l’on a affaire à un patient fragile.

 

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TLM : Quels sont les grands axes de la prise en charge de la FA ?

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Dr Olivier Piot : Le traitement s’articule en trois niveaux. Le premier a pour objectif de prévenir l’AVC : il a été démontré, il y a déjà plusieurs dizaines d’années avec les antivitamines K (AVK), que les anticoagulants diminuent de 80% le risque d’AVC lié à la fibrillation atriale. Le deuxième consiste à contrôler les signes fonctionnels et éventuellement à prévenir ou à traiter l’insuffisance cardiaque associée. Le traitement vise ici à ralentir la fréquence cardiaque et/ou à réduire le trouble du rythme. Le troisième niveau concerne la prise en charge des comorbidités associées et des facteurs de risque cardiovasculaires, notamment une HTA mal équilibrée, mais aussi, par exemple, un syndrome d’apnée du sommeil (SAS). On sait, à ce propos, que l’on prévient mieux la récidive d’arythmie si l’on traite aussi le SAS.

 

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TLM : AOD ou AVK, lequel privilégier ?

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Dr Olivier Piot : Les études sur les AOD ont montré qu’ils ont au moins la même efficacité que les AVK. Mais ce sont les AOD qu’il faut plutôt choisir car ils sont dotés d’une meilleure stabilité en termes d’efficacité et d’effets, en outre leur fenêtre thérapeutique n’est pas aussi étroite que celle des AVK et, élément intéressant, ils entraînent moins d’hémorragies intracérébrales. La prescription est guidée par la fonction rénale qu’il faut connaître avant d’instituer le traitement.

 

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TLM : Comment surveiller le patient sous AOD ?

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Dr Olivier Piot : La surveillance est d’abord clinique. Il convient de vérifier que le patient prend son traitement régulièrement et aux horaires prescrits. Il faut aussi surveiller l’apparition de saignements inhabituels : ORL —gingivorragies, épistaxis, etc.— ou digestifs. Ces pathologies révélées par la mise en route du traitement anticoagulant devront naturellement être explorées. On surveillera également la fonction rénale pour adapter la dose de l’AOD.

Quand elle est normale il suffit de la mesurer une fois par an. Si elle est modérément altérée, deux fois par an et quand elle est vraiment altérée —clairance inférieure à 30 ml/mn— on contre-indiquera l’AOD ou on le prescrira à la faible dose, et dans ce cas il faut surveiller la clairance tous les trois mois, voire tous les mois.

 

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TLM : En cas de contre-indication au traitement par AOD ou d’aggravation de la fonction rénale, quelles sont les alternatives ?

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Dr Olivier Piot : Quand la clairance est inférieure à 15 ml/mn on ne peut proposer que le traitement par AVK. Quand elle se situe entre 15 et 30 ml/min, on peut poursuivre la faible dose de certains AOD avec une surveillance régulière de la fonction rénale. Mais s’il existe des hémorragies, notamment digestives, ORL, intracérébrales, etc., il faudra évaluer avec le spécialiste de l’organe qui a saigné si l’on peut mettre en place un traitement curatif de cette hémorragie. Par exemple, si le spécialiste estime que le traitement d’un ulcère digestif permet d’écarter le risque de récidive importante, on pourra reprendre le traitement anticoagulant. Si le risque hémorragique reste important on pourra proposer une fermeture percutanée de l’auricule gauche. Ce geste interventionnel consiste à poser une prothèse fermant l’auricule gauche, petite cavité appendue dans l’oreillette gauche, et qui est responsable d’environ 90 % des thrombus. Cette intervention permet donc d’empêcher que des thrombus se forment dans cette cavité. Comme on a souvent affaire à des patients très âgés il reviendra au gériatre de statuer si le patient est en mesure de tolérer cette opération. Outre la prévention du risque thrombo-embolique, la stratégie de la prise en charge de la FA passe par l’évaluation des facteurs de risque cardiovasculaires et des comorbidités, mais aussi par une estimation de l’atteinte du tissu atrial. Dans tous les cas, le traitement renforcé des comorbidités associées est essentiel. Si l’oreillette gauche est trop malade pour que l’on puisse prévenir la récidive, il faut s’en tenir à ralentir le rythme cardiaque sans tenter de le réduire. Si au contraire l’altération du tissu atrial n’est pas trop importante, on peut envisager de réduire le trouble du rythme en proposant une thérapeutique médicamenteuse ou interventionnelle (ablation de fibrillation atriale). L’objectif aujourd’hui est de caractériser la FA de façon personnalisée pour proposer au patient une prise en charge globale et la mieux adaptée à sa situation.

Propos recueillis

par Daniel Paré

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