Dr PERETTI : Dénutrition infantile : la courbe de corpulence, un outil de dépistage
Discipline : Pédiatrie
Date : 22/06/2020
MÉDECINS GÉNÉRALISTES ET PÉDIATRES DOIVENT SURVEILLER LA COURBE DE CROISSANCE DE LEURS JEUNES PATIENTS À CHAQUE CONSULTATION, RAPPELLE LE DR NOËL PERETTI, PÉDIATRE, SPÉCIALISTE DE LA NUTRITION INFANTILE AU CHU DE LYON
Généralement associée aux pays en développement, la dénutrition infantile reste méconnue dans les pays industrialisés. En France, pourtant, les chiffres font froid dans le dos. « À l’hôpital, environ 20 % des enfants hospitalisés souffrent de dénutrition : 7 % de dénutrition aiguë, 13 % de dénutrition chronique », indique le Dr Noël Peretti. Il s’agit pour la plupart d’enfants atteints d’une maladie sévère, avec très souvent une défaillance organique. « Certaines spécialités sont en effet plus exposées que d’autres, comme la gastroentérologie, l’oncologie, la neurologie et toutes celles qui comprennent des insuffisances d’organes (cœur, foie, rein, poumon) », liste le pédiatre. Des données généralement peu connues des soignants. « Selon une enquête menée dans le cadre de la semaine de dépistage de la dénutrition infantile EPINUT, organisée chaque année depuis 2008, les professionnels de santé sous-estiment largement ces chiffres : ils pensent que la dénutrition infantile concerne deux fois moins d’enfants et que le dépistage est deux fois plus fréquent ».
L’IMC, une valeur-clé
L’enfant étant constamment en croissance, toute perte, stagnation ou prise insuffisante de poids doit alerter car elle l’expose à des risques accrus d’infections, de complications, voire de mortalité. « Une cassure pondérale —moins 5 % en 1 mois, moins 10 % en 6 mois— constitue un point d’appel, car elle sera systématiquement suivie d’une cassure staturale si elle n’est pas prise en charge », alerte le Dr Peretti. Pour s’assurer de la bonne croissance de l’enfant, les médecins disposent d’un outil simple : l’indice de masse corporelle (IMC). « L’enfant doit être pesé et mesuré à chaque consultation médicale, quel que soit son motif. L’IMC* doit ensuite être calculé et reporté sur la courbe de référence figurant dans le carnet de santé de l’enfant. Depuis 2018, le Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie (SFP) préconise de se référer à la courbe de corpulence de l’International Obesity Task Force (IOTF) pour les plus de 2 ans. Un IMC<18,5 IOTF indique une dénutrition ». Chez les moins de 5 ans, le mètre-ruban constitue un autre outil de mesure simple de la dénutrition infantile. « Pour cette population pédiatrique, le rapport périmètre brachial/périmètre crânien doit être supérieur à 0,3. Une valeur inférieure traduit une masse musculaire insuffisante et doit alerter sur une éventuelle dénutrition. »
A ces critères phénotypiques s’ajoutent des critères étiologiques : perte d’appétit depuis plus d’une semaine, troubles de l’absorption se manifestant par une diarrhée ou des ballonnements, et hypercatabolisme protéique avec ou sans symptôme inflammatoire.
Une re-nutrition très progressive
Voie orale, voie entérale (sonde nasogastrique) ou voie intraveineuse : il existe trois manières de prendre en charge la dénutrition infantile, selon son degré de sévérité. « Tant que le tube digestif est fonctionnel, on privilégiera une alimentation naturelle. L’objectif est d’enrichir les repas : pour un bébé, les biberons devront être plus concentrés ; pour les plus grands, on rajoutera des matières grasses (beurre, fromage râpé) ou du sucre peu sucrant (dextrine/maltose) à leurs plats. Pour les petits mangeurs, on fractionnera les repas avec une collation en milieu de matinée et une avant le coucher », détaille le Dr Peretti. Pour les cas les plus sévères, une hospitalisation est généralement indispensable. « Les parents doivent être prévenus que la re-nutrition prend plusieurs semaines car elle doit être très progressive. »
Et la recherche dans tout ça ? Certaines équipes s’intéressent au rôle du microbiote sur le contrôle du poids, et leurs découvertes pourraient, à terme, avoir un impact sur la prise en charge de la dénutrition. À Rouen par exemple, le Pr Pierre Déchelotte et ses collègues (Unité Inserm 1073 « Nutrition, inflammation et dysfonction de l’axe intestin-cerveau ») étudient l’effet anorexigène de la protéine ClpB, produite par la bactéries intestinale E. coli. Cause ou conséquence de ce trouble du comportement alimentaire qui touche 5 à 10 % de la population générale ? Sa présence en grandes quantités chez les souris anorexiques intrigue les chercheurs qui espèrent obtenir une réponse d’ici la fin de l’année, explique le chef du service de nutrition au CHU de Rouen.
■ Propos recueillis par Amélie Pelletier