• Dr MOUTERDE : Appréhender les traitements de la constipation de l’enfant

Olivier MOUTERDE

Discipline : Pédiatrie

Date : 10/01/2022


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Parfaitement codifiée, très efficace, la prise en charge de la constipation de l’enfant reste paradoxalement mal connue de certains professionnels de santé, regrette le Dr Olivier Mouterde, ex-responsable de l’unité d’Hépato-gastro-entérologie pédiatrique du CHU de Rouen.

 

TLM : Comment définit-on la constipation chez l’enfant ?

Dr Olivier Mouterde : Selon les critères de Rome IV, elle correspond à la présence, pendant au moins un mois, d’au moins deux des symptômes suivants : moins de deux défécations par semaine, un épisode ou plus d’incontinence fécale après l’acquisition de la propreté, une histoire de rétention volontaire, de grosses selles dures émises douloureusement, des fécalomes rectaux, des selles qui obstruent les toilettes. Cette définition pose deux types de problèmes : d’une part, elle ne s’applique pas bien au nourrisson ; d’autre part, elle porte sur une trop longue durée. On lui préfère donc celle, plus pragmatique, de l’émission de selles trop rares et trop dures pendant au moins 15 jours, et qui entraînent un inconfort.

 

TLM : Combien d’enfants sont concernés ?

Dr Olivier Mouterde : La prévalence serait de 14 % chez les plus de deux ans, et comprise entre 3 et 27 % chez les nourrissons.

 

TLM : Connaît-on les causes de ce trouble ?

Dr Olivier Mouterde : En dehors des constipations organiques, on peut dire que la grande cause de la constipation sévère chez l’enfant relève de l’éducation domestique et de l’Éducation nationale ! À deux ans, elle résulte d’une éducation à la propreté inadéquate — l’enfant se voit proposer le pot trop tôt et/ou avec trop d’insistance, il perçoit un dégoût des selles de la part de ses parents ; à trois, six et onze ans, elle est essentiellement liée au manque d’intimité et aux problèmes d’hygiène dans les établissements scolaires. Il ne faut pas non plus négliger les événements ponctuels comme les épisodes fébriles avec alitement, les longs trajets assis ou encore les fissures anales qui peuvent déclencher une attitude de rétention et provoquer une constipation durable.

 

TLM : Et chez le nourrisson ?

Dr Olivier Mouterde : Avant deux ans, il existe deux types de constipation fonctionnelle : celle au lait maternel, qui ne nécessite aucun traitement, et la « tendance à la constipation ». Dans ce cas, on observe souvent un terrain familial qui incite à une surveillance pendant l’enfance, afin de prévenir tout risque de constipation future. Les traitements sont inutiles mais on peut proposer des laits infantiles à base de caroube ou de lactose, alléguant une action sur le transit. Par ailleurs, comme c’est avant deux ans que se révèlent les constipations organiques, il ne faut pas écarter ces diagnostics et procéder à un examen complet du nourrisson à la recherche de signes de malformations du rachis (fossettes, touffes de poils, taches présentes sur le dos du bébé), d’anomalies de l’anus (fistules, sténose, antéposition), et de signes évocateurs de la maladie de Hirschsprung (débâcles à l’introduction d’un thermomètre).

 

TLM : Quelles peuvent être les complications en l’absence de traitement ?

Dr Olivier Mouterde : Le stade évolué de la constipation avec rétention se complique d’encoprésie par la présence de fécalomes : les parents amènent leur enfant en consultation parce qu’il a des fuites involontaires de selles molles, mais à l’interrogatoire on découvre qu’il émet, de façon intermittente, de grosses selles dures. Ce qui provoque des saignements, des fissures et donc des douleurs, incitant l’enfant à se retenir. C’est un véritable cercle vicieux, qui peut, en outre, favoriser les troubles urinaires (énurésie, infections urinaires). Il n’est malheureusement pas rare de voir des adolescents de 15 ans obligés de porter des couches en permanence pour une constipation sévère avec encoprésie mal prise en charge. On se heurte encore trop souvent à la méconnaissance de cette complication parmi les professionnels de santé.

 

TLM : Le diagnostic de la constipation est-il compliqué ?

Dr Olivier Mouterde : Non, il est au contraire très simple et ne nécessite aucun examen particulier ; l’interrogatoire des enfants, et de leurs parents s’ils ne sont pas en âge de bien s’exprimer, suffit la plupart du temps.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge ?

Dr Olivier Mouterde : Les conseils hygiéno-diététiques n’ont pas leur place dans le traitement de la constipation chez l’enfant. Les régimes enrichis en fibres ou les eaux très minéralisées, inadaptées à cette population, sont absolument contre-indiqués. À partir de six mois, le traitement repose sur le macrogol à raison de 0,4 g/kg, puis augmentation des doses jusqu’à l’émission quotidienne de selles molles. Les changements se font par palliers de quatre ou cinq jours, le temps d’en voir les effets. Une fois l’équilibre atteint, on poursuit le traitement aussi longtemps que l’enfant a été constipé. C’est un traitement très efficace, très bien toléré, et qui ne provoque aucune accoutumance. C’est important de rassurer les parents sur ce point car le traitement de la constipation peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années.

 

TLM : Que faire en cas de fécalome avec encoprésie ?

Dr Olivier Mouterde : Le traitement s’ordonne en trois étapes : vider, ramollir et rééduquer. Il débute par l’évacuation rectale, la « désimpaction ». Par voie haute, on recourt au macrogol, à la dose de 1,5 g/kg pendant trois à six jours ; il est alors impératif de prévenir les parents de l’augmentation temporaire des fuites fécales. Par voie basse, si l’enfant l’accepte, on prescrit des lavements au phosphate (Normacol), pris de préférence après le dîner, pendant trois à quatre jours. Le macrogol prend le relais pour éviter que les selles ne redeviennent compactes. Il est indispensable d’expliquer à l’enfant et à ses parents que l’apparition de fuites n’est jamais le reflet d’un surdosage en macrogol, et qu’elle ne doit donc pas entraîner une diminution des doses. La dernière partie du traitement, tout aussi essentielle, consiste à redonner à l’enfant l’habitude d’aller tous les jours à la selle, même — et surtout — s’il n’en ressent pas l’envie. La prescription de suppositoires effervescents (Eductyl® Enfants) pendant trois semaines, après le dîner, peut l’y aider.

 

TLM : Les récidives sont-elles fréquentes ?

Dr Olivier Mouterde : Oui malheureusement, et elles ne sont pas dues au traitement mais à son mauvais suivi. Beaucoup de parents l’interrompent trop tôt, c’est pourquoi il faut leur expliquer dans les détails son fonctionnement, ses effets et ses enjeux. Cela prend du temps, mais c’est essentiel pour la réussite du traitement.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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