• Dr. MOULIN : Hypercholestérolémie : les bons repères pour traiter

Philippe MOULIN

Discipline : Cardiologie

Date : 21/07/2020


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EN SEPTEMBRE, L’EUROPEAN SOCIETY OF CARDIOLOGY (ESC) ET L’EUROPEAN ATHEROSCLEROSIS SOCIETY (EAS) ONT PRÉSENTÉ LEURS NOUVELLES RECOMMANDATIONS SUR LA PRISE EN CHARGE DES DYSLIPIDÉMIES. LES NOUVELLES CIBLES DE CHOLESTÉROL LDL RETENUES POUR L’HYPER- CHOLESTÉROLÉMIE N’ONT PAS MANQUÉ DE SURPRENDRE. L’AVIS DU

PR PHILIPPE MOULIN (PHOTO), DIABÉTOLOGUE-ENDOCRINOLOGUE ET CHEF DE SERVICE AU CHU DE LYON

 

 

TLM : Quel est votre sentiment après la pu- blication des recommandations de l’ESC ?

Pr Philippe Moulin : Ces recommandations nous posent problème, à moi et à de nom- breux collègues. La diminution notable des valeurs cibles de LDL-cholestérol (LDL-c) à at- teindre en fonction du niveau de risque car- diovasculaire (CV) nous semble assez peu réa- liste. Ainsi, en prévention primaire, l’ESC pré- conise pour les patients à bas risque CV un LDL-c < 1,16 g/L. Ce qui reviendrait à traiter plus de 50 % des Français par statines, alors même qu’ils ne présentent pas de facteurs de risque ! Ces recommandations sont peut-être compréhensibles sur le plan statistique, parce qu’elles éviteraient un certain nombre d’évè- nements CV, mais elles exposent des sujets à faible risque à un traitement au long cours. De même, en prévention secondaire ou chez les patients à très haut risque CV —les patients coronariens très évolutifs par exemple—, l’ESC préconise un LDL-c en deçà de 0,55g/L. Si nous sommes d’accord pour intensifier la baisse du cholestérol chez ces patients, le bé- néfice d’une telle diminution a été modeste dans les essais cliniques d’intervention. Le pa- radoxe est qu’en France avec les périmètres actuels de remboursement, les malades à très haut risque gardant une importante hypercho- lestérolémie résiduelle sont laissés pour compte, et que la stratégie consistant à prôner des cibles très basses de LDLc pour l’ensemble de la prévention secondaire voire chez certains diabétiques en prévention primaire risque de

conforter les autorités de santé dans une atti- tude extrêmement restrictive. Depuis l’abro- gation des recommandations HAS nous nous retrouvons en France avec des difficultés pour enseigner de façon cohérente, les référentiels actuels devenant divergents.

 

TLM : En pratique, quelles valeurs cibles faudrait-il donc retenir en France ?

Pr Philippe Moulin : A mon sens, les recom- mandations publiées par la HAS en 2017 étaient tout à fait raisonnables, d’autant qu’elles s’appuient sur un consensus de trois sociétés savantes — la Société française d’en- docrinologie, la Société française d’athéros- clérose et la Société française de diabétolo- gie). Les valeurs cibles de LDL-c préconisées sont plus réalistes : u risque CV faible (SCORE <1 %) : LDL-c <1,9 g/L ; u risque modéré́ (1 SCORE <5 %): LDL-c <1,3 g/L ; urisque élevé́ (5 SCORE <10 %) : LDL-c <1,0 g/L ; u risque très élevé́ (SCORE 10 %) : LDL-c < 0,7 g/L.

Pour le généraliste, un point primordial : si le bilan lipidique révèle un LDL-c élevé, supérieur à 2g/L, il convient de rechercher systématique- ment une hypercholestérolémie familiale chez les apparentés. Car nous déplorons encore trop souvent, en France, des infarctus qui auraient pu être évités par un dépistage en cascade ef- fectué à temps conduisant à un traitement suf- fisamment précoce.

 

TLM : La stratégie thérapeutique de l’hy- percholestérolémie isolée a-t-elle évolué ?

Pr Philippe Moulin : Non, pas dans les gran- des lignes. La prise en charge en dehors du post syndrome coronarien aigu repose tou- jours, en premier lieu, sur la mise en place de règles hygiéno-diététiques et la correction d’autres facteurs de risque CV éventuels. En cas d’échec à trois mois, si la valeur cible de LDL-c n’est pas atteinte, on instaurera progres- sivement un traitement hypolipeḿ iant par sta- tines, jusqu’à la dose maximale tolérée afin d’atteindre l’objectif de LDL-c. Les statines res- tent donc le traitement de première ligne.Si l’objectif thérapeutique n’est pas atteint, l’ézé- timibe, sera utilisé a fortiori si des manifesta- tions d’intolérance musculaire apparaissent avec l’escalade des doses. Et si le résultat n’est

toujours pas là, surtout en prévention secon- daire ou chez les patients à très haut risque, on adressera au spécialiste puisque la question du recours aux anti PCSK9 peut se poser et égale- ment celle d’un dépistage familial effectif.

 

TLM : Que pensez-vous des nouvelles as- sociations statine/ézétimibe ?

Pr Philippe Moulin : Elles peuvent aider en matière d’observance, d’autant que ces pa- tients sont souvent polymédicamentés. Ce- pendant nous sommes confrontés actuelle- ment à de multiples ruptures de stock conduisant à rétablir ponctuellement des trai- tements dissociés.

 

 

TLM : Et si l’on hésite à instaurer un traite- ment médicamenteux, comment trancher ?

Pr Philippe Moulin : Lors du risque intermé- diaire, la recherche d’un athérome infracli- nique peut éclairer la décision en reclassant le malade dans une catégorie de risque diffé- rente. L’échographie des carotides apporte une prédiction des évènements CV au niveau cérébral : à ce titre l’existence de plaques athé- romateuses significatives dans les carotides est un indicateur plus pertinent que la mesure de l’épaisseur intima média carotide. Par contre, au niveau cardiaque, on préfèrera le score cal- cique coronarien, beaucoup plus performant. La réalisation d’un score calcique doit être ré- servée à la prévention primaire en situation de risque intermédiaire. Typiquement, lorsque l’on hésite à traiter un homme de 50 ans, avec un syndrome métabolique, une TA limite mais un LDL-c peu augmenté. Si le score calcique s’avère très positif, il faut mettre le malade sous statines : on est en présence d’un athé- rome calcifié infra-clinique. En revanche un score calcique nul dans le cadre d’une hyper- cholestérolémie polygénique d’intensité mo- dérée chez une femme n’ayant pas d’autres facteur de risque est un élément conduisant à pondérer une indication de statine. Curieusement les nouvelles recommanda- tions ESC/EAS ne confèrent qu’un niveau de recommandation IIb alors que la littérature a été convergente et abondante au cours des 5 dernières années.

 

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