• Dr Michallet : Des avancées dans le traitement de la leucémie lymphoïde chronique

Anne-Sophie Michallet

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 23/10/2023


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La prise en charge des patients atteints de leucémie lymphoïde chronique (LLC) a connu des avancées depuis cinq ans : ambulatoire, thérapies ciblées… D’autres progrès sont attendus à l’issue des 9es Journées du FILO (French Innovative Leukemia Organization), selon le Dr Anne-Sophie Michallet, hématologue au Centre Léon-Bérard à Lyon.

 

TLM : Les patients diagnostiqués d’une leucémie lymphoïde chronique connaissent-ils cette maladie ?

Dr Anne-Sophie Michallet : Oui, lors de la première consultation, l’hématologue utilise le terme de cancer du sang. Les cellules qui circulent sont des lymphocytes B matures toutes identiques correspondant à un clone B mature. A la différence d’une hémopathie aiguë, la LLC est un syndrome lymphoprolifératif chronique correspondant à une maladie indolente en dormance pendant plusieurs années. Cette maladie peut ne pas se réveiller ou rester indolente pendant des dizaines d’années.

Parce que les cellules touchées circulent dans tout l’organisme, beaucoup pensent qu’il s’agit d’un cancer métastatique. Ce qui est faux, bien sûr, ce terme n’est d’ailleurs pas adapté à une hémopathie maligne. Et, à la différence d’une leucémie lymphoïde aiguë (LLA) qui touche des cellules sanguines très immatures et qui évolue très vite, la LLC correspond à un syndrome lymphoprolifératif chronique d’un clone lymphoïde B mature. C’est donc une maladie indolente qui peut rester en sommeil pendant des années et même ne jamais se manifester, ou se réveiller au bout d’une dizaine ou d’une quinzaine d’années et évoluer lentement. L’annonce de cette maladie demande donc de faire preuve de pédagogie à l’égard des patients.

 

TLM : Quelles sont les personnes à risque ?

Dr Anne-Sophie Michallet : On recense plus de 4500 nouveaux cas par an : la moitié ont plus de 70 ans et la majorité sont des hommes.

La survenue de la LLC est probablement multifactorielle et souvent liée à la senescence du système immunitaire. Sa prévalence augmente d’ailleurs parallèlement à l’espérance de vie. L’exposition professionnelle à des substances toxiques, notamment dans les milieux viticole et agricole, est pointée du doigt mais les données ne sont pas suffisamment robustes pour l’affirmer ; on suspecte également des facteurs environnementaux responsables d’un stress immunitaire. Pour l’heure, aucun facteur de susceptibilité génétique n’a été identifié. De nombreuses anomalies cytogénétiques et mutations somatiques sont connues mais elles n’ont pas de valeur diagnostique, mais par contre pronostique.

 

TLM : Quels symptômes peuvent alerter ?

Dr Anne-Sophie Michallet : La plupart du temps, la LLC est découverte de manière fortuite, à l’occasion d’une simple prise de sang qui met en évidence une hyperlymphocytose isolée. Parfois, la maladie est néanmoins révélée par des adénopathies ou par les symptômes d’une insuffisance médullaire (fatigabilité excessive, asthénie, anorexie, amaigrissement anormal…).

 

TLM : Comment pose-t-on le diagnostic de cette hémopathie maligne ?

Dr Anne-Sophie Michallet : Via une prise de sang spécifique : un immunophénotypage sur du sang par cytométrie de flux. Réalisé dans des centres experts, à l’hôpital et dans quelques laboratoires d’analyses biologiques, cet examen permet de confirmer la clonalité des cellules B en circulation et de calculer le score de Matutes qui établit le diagnostic de LLC s’il est égal à 4 ou 5.

Aucun autre examen n’est nécessaire — ni myélogramme ni biopsie de la moelle osseuse ou des ganglions. On utilise ensuite la stadification de Binet pour définir le stade de la maladie, respectivement en stade A (hyperlymphocytose isolée), en stade B ou C à traiter.

Cette classification comprend trois stades : le stade A, qui se caractérise par une hyperlymphocytose isolée, correspond à une LLC indolente — une simple surveillance suffit ; les stades B et C reflètent en revanche une forme active de la maladie, associant à l’hyperlymphocytose un envahissement ganglionnaire, dans le premier cas, et une insuffisance médullaire et un envahissement ganglionnaire dans le second. Un traitement s’impose.

 

TLM : La prise en charge diffère donc d’un stade à l’autre…

Dr Anne-Sophie Michallet : Les patients souffrant d’une LLC de stade A n’ont pas besoin de traitement mais d’une surveillance régulière comprenant un examen clinique à trois, six ou douze mois, associé à une numération de la formule sanguine régulièrement. Si la lymphocytose augmente ou si des ganglions évoluent, la surveillance devra être plus rapprochée. Exposés à un risque infectieux majeur, ces patients doivent impérativement être informés de l’importance des mesures de prévention, en particulier la vaccination (grippe, Covid-19, pneumocoque, Haemophilus influenzae).

La stratégie thérapeutique pour les patients aux stades B ou C vise à soulager les symptômes et à induire des rémissions durables afin de prolonger leur survie. Jusqu’à présent, le traitement reposait sur l’immunochimiothérapie associant des médicaments de chimiothérapie (per os ou en perfusion), à des anticorps monoclonaux (en perfusion). Mais l’avènement des thérapies ciblées sur les lymphocytes B, en particulier l’inhibiteur oral de la tyrosine kinase de Bruton (iBtk) et les inhibiteurs de BCL-2, a modifié largement la prise en charge de ces patients qui repose sur l’utilisation de ces médicaments soit en monothérapie sous la forme d’un tt continu soit en combinaison sur une durée fixe de tt. Le FILO recommande leur utilisation en monothérapie per os tant que la maladie ne progresse pas et qu’ils sont bien tolérés. L’avenir réside probablement dans leur association entre eux ou avec d’autres anticancéreux.

 

TLM : Quels seraient les avantages de ces nouvelles stratégies thérapeutiques ?

Dr Anne-Sophie Michallet : La prise des thérapies ciblées par voie orale, en ambulatoire, améliore considérablement la qualité de vie des patients, mais elle nécessite une éducation thérapeutique en raison des profils de toxicité très différents (essentiellement extra-hématologiques) de ces médicaments : il faut donc apprendre aux patients à repérer leurs effets indésirables (hypertension artérielle, palpitation, maux de tête, bleus...), afin qu’ils les signalent à l’équipe soignante ou au médecin généraliste. Ce dernier peut également tout à fait assurer le suivi des patients atteints d’un LLC de stade A.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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