Dr MASTROIANNI : Améliorer la tolérance des chimiothérapies cytotoxiques
Discipline : Oncologie, Dépistage
Date : 10/10/2021
Les effets secondaires d’une chimiothérapie peuvent être préjudiciables à la prise en charge et à l’observance du traitement. D’où l’importance de la mise en place de traitements prophylactiques et des soins de support, estime le Dr Bénédicte Mastroianni, médecin spécialiste des Centres de lutte contre le cancer, Soins de support et Oncologie thoracique au Centre Léon Bérard (Lyon).
TLM : En fait-on assez pour prendre en charge les principaux effets indésirables de la chimiothérapie cytotoxique ?
Dr Bénédicte Mastroianni : Je commencerais par aborder les effets émétisants, le plus souvent redoutés par les patients, des protocoles de chimiothérapie utilisés par exemple dans le cancer du poumon. Nausées et/ou vomissements sont à l’origine d’une altération notable de la qualité de vie et suscitent une appréhension à débuter et/ou parfois à poursuivre le traitement. Pour prévenir ces effets, la stratégie de prévention primaire est de loin la plus efficace. Or force est de constater que près de la moitié des patients sont sous-traités par rapport aux recommandations nationales et internationales alors que nous disposons d’un panel de médicaments qui contrôlent jusqu’à 95 % des troubles digestifs. Le type de traitement préventif est évidemment adapté au potentiel émétogène du protocole, mais aussi, et cela est plus récent, à l’existence ou non de facteurs de risque individuels (sexe féminin, antécédent de nausées ou de vomissements gravidiques...)
TLM : Vous parliez de recommandations pour une meilleure prise en charge des effets indésirables...
Dr Bénédicte Mastroianni : Outre les recommandations internationales de l’ASCO (Société américaine d’oncologie clinique) et de la MASCC (association mondiale pour les soins de support), nous avons élaboré un référentiel régional sur les soins de support en oncologie thoracique que j’ai le privilège de coordonner. Nous recommandons, en cas de traitement hautement émétisant — ou de traitement moyennement émétisant mais associé à des facteurs de risque individuels, cf ci-dessus — une quadrithérapie antiémétique, associant l’aprepitant à une molécule de la famille des sétrons, des corticoïdes et l’olanzapine. Cette quadrithérapie est recommandée dans les chimiothérapies hautement émétisantes utilisées fréquemment en première ligne pour traiter le cancer du poumon. Pour simplifier la prise en charge et améliorer l’observance, il est possible de prescrire un produit qui a l’avantage d’associer les deux premières classes thérapeutiques — le nétupitant et le palonosétron. Le comprimé est donné une heure avant la chimiothérapie.
TLM : Quels conseils donner aux patients ?
Dr Bénédicte Mastroianni : Outre de suivre rigoureusement leur traitement, nous leur recommandons de manger lentement, peu épicé, d’attendre un certain laps de temps entre le dîner et le coucher, d’éviter les alimentations trop grasses...
TLM : Que faire pour éviter la perte des cheveux, à savoir l’alopécie ?
Dr Bénédicte Mastroianni : Nombreuses sont les personnes touchées par une alopécie après des chimiothérapies à base de sels de platine ou de taxanes. Les patients, et surtout les femmes, redoutent cet effet secondaire car il remet en question le schéma et l’intégrité corporels. Le seul recours à notre disposition est de proposer des casques réfrigérés, lesquels sont difficiles à supporter et n’évitent pas totalement l’alopécie, au bout du deuxième cycle de chimiothérapie. D’où l’importance de l’anticipation, à savoir de prescrire aux patients une prothèse capillaire et de les orienter, en amont, vers les spécialistes capillaires pour que tout soit prêt quand l’alopécie commence à apparaître. Si les femmes ont beaucoup plus de choix qu’auparavant (foulard, bandeau assorti de frange de cheveux, etc.), la plupart des hommes se bornent le plus souvent à porter la casquette. En outre, les chimiothérapies avec des taxanes abiment les ongles, ce qui est douloureux et inesthétique. Faire intervenir précocement et régulièrement les professionnels, socio-coiffeurs et socio-esthéticiennes, est extrêmement important et aide les patients à tolérer les effets secondaires.
TLM : Comment prendre en charge les effets hématologiques ?
Dr Bénédicte Mastroianni : Utiliser des médicaments en soins de support permet de limiter ou pallier les effets secondaires d’ordre hématologique du traitement — anémie, leucopénie et thrombopénie. En fonction du risque attendu ou non de neutropénie, des facteurs de croissance des globules blancs peuvent être prescrits ; dans le cas d’une anémie on pourra prescrire de l’érythropoïétine (EPO) et, en cas de carence en fer, rajouter des perfusions de fer. Une telle prise en charge améliore la qualité de vie et permet de mieux tolérer la chimiothérapie. Concernant les patients présentant des aphtes, nous conseillons d’alcaliniser la bouche au moyen de bains de bouche au bicarbonate. Par ailleurs, il convient de se montrer vigilant concernant l’hydratation du patient pendant et juste après certaines chimiothérapies pour éviter le risque d’insuffisance rénale.
TLM : Les patients sont-ils bien informés ?
Dr Bénédicte Mastroianni : Nous dispensons des ordonnances complètes assorties d’informations sur ce qui va se passer et la conduite à tenir. Mes maîtres mots : prévenir, informer, gérer en amont quelle que soit la nature des effets secondaires attendus et ne pas attendre que la complication soit installée.
TLM : Comment les soins de supports sont-ils mis en place ?
Dr Bénédicte Mastroianni : Un patient qui a des effets secondaires pendant une cure de chimiothérapie, et surtout si celle-ci est associée à une immunothérapie, doit contacter l’hôpital et le service traitant. Après une évaluation téléphonique, l’oncologue décidera soit d’hospitaliser directement le patient, soit de le faire venir aux urgences ou encore de lui recommander de contacter son médecin traitant. En outre, les infirmières de coordination ville-hôpital permettent de faire le lien entre la maison et l’établissement, d’échanger avec l’oncologue et de partager les informations avec le médecin généraliste. Les besoins en soins de support doivent être identifiés dès le début et tout au long du traitement avec un socle, comme défini par l’Inca : prise en charge psychologique, sociale, de la douleur et nutritionnelle. A laquelle, il faut rajouter l’activité physique adaptée et des médicaments pour prendre en charge les effets secondaires des chimiothérapies. Autant la prise en charge des patients atteints de cancer est très codifiée et suivie par les oncologues, autant le suivi des recommandations des soins de supports mériterait d’être amélioré.
Propos recueillis
par Christine Colmont ■