• Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : Prendre en charge une neutropénie fébrile

Marie-Ange Mouret-Reynier

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 18/04/2023


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La neutropénie fébrile —l’un des effets indésirables des chimiothérapies cytotoxiques— est l’une des seules urgences oncologiques.

Elle peut concerner de 10 à 40% des patients ayant une tumeur solide, avec une mortalité potentielle d’environ 5%, indique le Dr Marie-Ange Mouret-Reynier, oncologue au Centre Jean-Perrin à Clermont-Ferrand.

 

TLM : Quels sont les effets indésirables provoqués par les chimiothérapies cytotoxiques ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : Ils sont variables selon les chimiothérapies. Certaines sont beaucoup plus hématotoxiques que d’autres et provoquent des neutropénies mais aussi des thrombopénies et des anémies. C’est notamment le cas des combinaisons : les doublets ou les triplets sont plus toxiques que les monothérapies. Ensuite, certaines molécules sont également plus hématotoxiques que d’autres. Les tumeurs solides nécessitent des doses intensités moindres alors que les chimiothérapies sont utilisées plus lourdement dans le cas des hémopathies malignes. La fréquence d’apparition des neutropénies, et notamment des neutropénies fébriles, est alors beaucoup plus élevée. Dans l’ensemble, le risque de neutropénie est de 10 à 90 % selon le type de chimiothérapie. Enfin, ces traitements induisent des effets secondaires digestifs (nausées et vomissements essentiellement), des mucites, des colites, des alopécies et d’autres toxicités, surtout neuropathies périphériques.

 

TLM : Quel est le suivi du patient sous chimiothérapie cytotoxique ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : L’oncologue effectue une NFS avant toute chimiothérapie afin de s’assurer d’une bonne restauration hématologique avant d’utiliser (ou de réutiliser) un traitement cytotoxique.

 

TLM : La sévérité des neutropénies varie-t-elle selon les patients ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : Une neutropénie fébrile à bas risque peut se compliquer et devenir à haut risque en fonction de l’état général du patient et selon d’autres critères de gravité. En cas de neutropénie fébrile (<500/mcL ou <0,5 × 109/L) associée à une fièvre, le score MASCC évalue le haut risque ou le bas risque en prenant en compte l’existence (ou l’absence) d’une hypotension, d’une bronchopneumopathie chronique obstructive (un facteur de risque important), d’une tumeur solide (entraînant moins de risque d’aggravation), d’une hémopathie, mais également si le patient est en ambulatoire ou hospitalisé et s’il est âgé de plus de 60 ans.

 

TLM : La neutropénie fébrile est-elle une urgence ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : C’est l’une des seules urgences oncologiques. De 10 à 40 % des patients traités pour une tumeur solide peuvent présenter une neutropénie fébrile au cours de leur parcours. La mortalité est de l’ordre de 5%, ce qui n’est pas négligeable.

 

TLM : Est-elle cliniquement documentée ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : Un examen clinique exhaustif doit rechercher le foyer infectieux le plus probable. Souvent, aucun germe n’est identifié. Les infections microbiologiques documentées représentent moins de 10% des cas. Ainsi, dans plus de 70 à 80% des cas, les épisodes fébriles sont d’origine inexpliquée. Le foyer infectieux n’est pas retrouvé et l’agent microbiologique en cause n’est pas identifié. Les prélèvements avec des hémocultures doivent toutefois être réalisés notamment en cas de haut risque. Les cocci à Gram positif (staphylocoque, entérocoque et streptocoques) sont responsables dans plus de 50% des infections.

 

TLM : Quelle est la prise en charge des neutropénies selon leur sévérité ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : Les neutropénies de faible grade (1, 2, 3), en l’absence de fièvre, nécessitent uniquement une surveillance. Il faut bien sûr en tenir compte pour les traitements ultérieurs mais elles n’impliquent pas de mesures spécifiques. Les neutropénies de grade 4 (< 0,5 × 109/L) présentent un risque de complications fébriles important et requièrent une vigilance spécifique devant le risque d’apparition d’une fièvre. Le patient doit effectuer des autoprises de sa température. Devant tout syndrome fébrile (présence d’une température > 38°C à 2 reprises ou ≥ 38,3°C lors d’une seule prise), l’oncologue ou le médecin traitant doit mettre en place très rapidement une antibiothérapie en cas de neutropénie profonde.

Une neutropénie fébrile à bas risque nécessite une antibiothérapie par voie orale (association amoxicilline/acide clavulanique + ciprofloxacine). À noter que les nouvelles recommandations préconisent uniquement l’association amoxicilline/acide clavulanique. Les patients peuvent être maintenus à domicile et doivent être réévalués. Si la fièvre n’a pas disparu dans les 48 heures, une hospitalisation est nécessaire. Pour les cas de neutropénie fébrile à haut risque, les patients sont hospitalisés, voire admis en milieu de soins continus ou de réanimation avec une antibiothérapie intraveineuse à large spectre (bêta-lactamine à large spectre).

 

TLM : Dans quels cas de figure prescrire et utiliser les facteurs de croissance hématopoïétiques ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : Ces facteurs de croissance stimulent la lignée blanche afin d’avoir très rapidement des précurseurs des polynucléaires neutrophiles. Ils sont en général utilisés en prophylaxie secondaire après un épisode de neutropénie fébrile. Ils peuvent être prescrits en prophylaxie primaire dans le cas de chimiothérapies connues pour comporter un risque de neutropénie fébrile >20%, ou compris entre 10 et 20% chez les patients qui ont des facteurs de risque individuels (âge >65 ans ou avec comorbidités : insuffisance cardiaque ou rénale). Ces injections sous-cutanées, réalisées par une infirmière à domicile, débutent en général le lendemain du traitement de chimiothérapie. Ils existent en monodose ou en formes fractionnées sur sept jours.

 

TLM : Comment s’inscrit le rôle du médecin généraliste dans le suivi du patient ?

Dr Marie-Ange Mouret-Reynier : Toutes les recommandations autour du risque de neutropénie fébrile et de la conduite à tenir devant toute hyperthermie sont transmises au patient par l’hôpital. Le médecin traitant est ainsi informé du protocole reçu par son patient et de son risque d’hématotoxicité. Il peut être sollicité par le patient en cas d’hyperthermie. Il doit alors vérifier la NFS et, en cas de neutropénie de grade 3 ou 4, mettre en place immédiatement une antibiothérapie adaptée.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

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