Dr Marc-David Benjoar : Reconstruction mammaire, mastectomie : Les techniques évoluent
Discipline : Oncologie, Dépistage
Date : 23/10/2023
« La reconstruction mammaire immédiate et autologue après une mastectomie doit être favorisée, quitte à demander un deuxième avis dans un centre expert », conseille le Dr Marc-David Benjoar, chirurgien-plasticien à l’Institut français du sein (Paris).
TLM : Quelles sont les dernières techniques utilisées dans le cadre de la reconstruction mammaire ?
Dr Marc-David Benjoar : Le lipofilling et le lambeau libre. Ces techniques permettent des reconstructions autologues, c’est-à-dire avec les propres tissus de la patiente. Le lipofilling est une méthode par injection de graisse.
Une liposuccion est réalisée au niveau du ventre, des cuisses, des hanches. La graisse retirée suit ensuite une procédure de purification puis est réinjectée pour reconstruire le sein. Ces différentes phases ont lieu au cours de la même opération. Mais l’opération doit être répétée de trois à cinq fois.
La méthode du lambeau libre consiste à prélever la peau et la graisse comme un organe et à les transplanter pour reconstruire directement le sein. Nous utilisons principalement deux types de lambeaux libres principaux : le DIEP (Deep Inferior Epigastric Perforator) issu de l’abdomen inférieur et le lambeau PAP (Profunda Artery Perforator) issu du dessous de la fesse. Ces évolutions ont permis de ne pas employer d’implants mammaires et de reconstruire le sein de façon souple et naturelle. Nous utilisons parfois également du lambeau pédiculé fasciocutané thoracodorsal (TDAP) car cela peut laisser des séquelles au niveau de l’épaule.
TLM : Après une mastectomie faut-il conseiller la reconstruction mammaire immédiate ou différée ?
Dr Marc-David Benjoar : Nous favorisons aujourd’hui la reconstruction mammaire immédiate pour la plupart des patientes, alors qu’avant elle était limitée aux précancers ou à des cancers très peu agressifs. Depuis cinq ans, nous suivons des protocoles thérapeutiques permettant de proposer une reconstruction mammaire immédiate à toutes les patientes subissant une mastectomie. Pour ne pas irradier une reconstruction, le protocole classique des cancers agressifs était la séquence suivante : chimiothérapie, puis retrait du sein, suivi de la radiothérapie. La reconstruction était réalisée un an après la fin des rayons. Aujourd’hui, la séquence inversée consiste à effectuer la chimiothérapie, puis les rayons sur le sein, suivis de son retrait et de la reconstruction finale immédiate (qui n’est donc pas irradiée).
TLM : Une bio-prothèse résorbable imprimée en 3D est actuellement en cours d’essais cliniques. Est-ce une avancée ?
Dr Marc-David Benjoar : C’est intéressant car la difficulté avec le lipofilling c’est qu’il ne peut se faire en reconstruction immédiate. La patiente doit accepter de rester à plat pendant au minimum trois mois, le temps que le vide laissé par la mastectomie soit cicatrisé. L’idée de cette membrane biorésorbable est d’occuper l’espace de façon temporaire et de pouvoir injecter de la graisse assez rapidement une fois que le corps a colonisé la bio-prothèse.
TLM : Quelles sont les nouvelles techniques de mastectomie ?
Dr Marc-David Benjoar : La mastectomie classique enlève la peau autour de l’aréole et laisse une grande cicatrice horizontale. Dans certaines indications nous réalisons aujourd’hui des mastectomie avec conservation de l’aréole qui préserve toute l’enveloppe cutanée du sein, seule la glande mammaire est retirée. On décale les cicatrices soit sous le sein, mais cela reste encore visible, soit dans l’aisselle. Pour cette dernière nous utilisons un robot chirurgical.
Nous pratiquons cette méthode depuis quatre ans à la clinique de l’Alma. Sans technique robotique, découper le bord interne du sein en passant par l’aisselle est compliqué car les instruments ne sont pas adaptés. Le robot permet d’anguler ces instruments afin de bien séparer la peau de la glande mammaire.
TLM : Au niveau de la chirurgie plastique, quelles sont les nouveautés ?
Dr Marc-David Benjoar : La chirurgie est soit sans prothèse, soit avec prothèse. Nous favorisons le « sans prothèse ». L’utilisation des implants rugueux en forme de seins anatomiques a été interdite par l’ANSM en raison de leurs liens avec une forme de cancer rare nommée « lymphome anaplasique à grandes cellules associé à un implant mammaire » (LAGC-AIM).
Aujourd’hui, seuls les implants lisses et ronds sont employés. Une autre évolution est de placer l’implant devant le muscle pectoral et non derrière le buste (en raison des douleurs provoquées et des problèmes de déformation du sein).
TLM : Comment favoriser une récupération rapide ?
Dr Marc-David Benjoar : Les protocoles anesthésiques sont de plus en plus légers. Des blocs loco-régionaux permettent de limiter l’usage de morphiniques pendant l’opération.
TLM : Comment des médecins peuvent-ils se former à ces nouvelles technologies ?
Dr Marc-David Benjoar : La formation à la technique des lambeaux libres est réservée aux chirurgiens plasticiens qui se spécialisent en microchirurgie. Cette méthode très complexe (l’opération dure en moyenne cinq heures) nécessite des centres experts. Cela pose un problème d’accès aux soins. Le lipofilling s’est ainsi développé car cette technique est plus simple mais elle démultiplie les opérations. Les patientes subissent trois à cinq opérations.
L’avantage de la reconstruction mammaire immédiate par lambeau est de tout traiter en un même temps. Les patientes reprennent une activité professionnelle très rapidement à l’inverse des solutions différées en plusieurs étapes qui les désocialisent.
Quelles sont les perspectives ?
La prise en charge du cancer du sein évolue énormément, notamment avec les thérapies ciblées qui sont proposées aux patientes HER2+ et maintenant aux patients « triple négatifs ». De plus en plus de patientes ont des réponses extrêmement satisfaisantes lors d’une chimiothérapie ou d’une immunothérapie néo-adjuvante. Le nombre de mastectomies a légèrement diminué.
Aujourd’hui, l’une des indications fréquentes de mastectomie est la récidive tardive d’un traitement conservateur (10 ou 15 ans plus tard).Dans ces cas, les techniques par lambeau prennent toute leur place. En effet, poser une prothèse mammaire sur un terrain irradié est une opération comportant énormément de complications et nous préférons l’éviter dans ces cas.
Propos recueillis
par Alexandra Cudsi ■