• Dr Marc Bellaïche : Traitements curatifs contre les régurgitations du nourrisson

Marc Bellaïche

Discipline : Pédiatrie

Date : 13/10/2022


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Les laits épaissis sont la seule réponse aux régurgitations du nourrisson, un phénomène mécanique parfaitement normal qui, dans la grande majorité des cas, ne présente aucun caractère de gravité, assure le Dr Marc Bellaïche, gastro-pédiatre à l’hôpital Robert Debré (Paris).

 

TLM : Est-ce normal qu’un bébé régurgite ?

Dr Marc Bellaïche : Oui, dans la mesure où la régurgitation est un phénomène mécanique qui s’explique par l’inadéquation entre la capacité de contenance et de distension de l’estomac du nourrisson et l’importance de l’alimentation lactée qui lui est proposée. La capacité gastrique d’un bébé d’une semaine équivaut à celle d’un abricot ; à un mois, elle correspond à celle d’un œuf —soit entre 60 et 80 ml. Or, les quantités de lait dont il a besoin à cet âge-là sont de 130 à 150 ml/kg/jour. Rapportées à un adulte, cela correspond à 6 à 7 kilos de victuailles par jour ! Rien d’étonnant à ce que les bébés régurgitent ! Les régurgitations ne résultent donc pas d’un problème d’hypotonie ou d’incontinence du sphincter inférieur de l’œsophage : celui-ci fonctionne très bien, il est simplement dépassé par la pression qui s’exerce dans l’estomac.

 

TLM : Quelle différence entre les régurgitations, les vomissements et les reflux gastro-œsophagiens ?

Dr Marc Bellaïche : Comme nous venons de le dire, les régurgitations sont un phénomène mécanique qui se traduit par la remontée passive du surplus de lait qui déborde de l’estomac. Le vomissement, quant à lui, est un phénomène actif de contraction abdominale qui s’accompagne d’efforts et qui est souvent précédé de nausées. Le reflux gastro-œsophagien est encore différent : c’est un phénomène chronique qui s’estompe lentement avec le temps et qui fait partie des troubles fonctionnels intestinaux du nourrisson. Les bébés qui en souffrent ont tendance à tousser et à s’arrêter fréquemment de boire à cause de l’irritation laryngée et des sensations de brûlures induites par les remontées acides. Le terme RGO devrait, par conséquent, être réservé à la maladie du reflux. Il est malheureusement souvent employé à tort pour désigner de simples régurgitations ; ce qui inquiète inutilement les parents, qui ont tendance à réclamer plus d’examens et de médicaments pour leur enfant.

 

TLM : Parmi les bébés qui régurgitent, peut-on distinguer différents profils ?

Dr Marc Bellaïche : Environ un tiers d’entre eux sont ce que les Anglais nomment des « happy spitters – que l’on pourrait traduire par des « régurgitateurs joyeux ». Ceux-là ne souffrent pas et grossissent bien. Entre 10 et 15% sont des « bébés roteurs » : ce sont des bébés qui ont tendance à forcer sur le sein maternel ou la tétine du biberon en buvant, ils avalent donc beaucoup d’air ce qui a pour effet de remplir artificiellement leur estomac. Résultat, ils régurgitent systématiquement tout en émettant des rots, mais leur croissance reste tout à fait satisfaisante. Enfin, il y a les bébés inconfortables, dont les régurgitations, parfois acides, gênent l’alimentation et chez lesquels coexistent fréquemment d’autres troubles fonctionnels intestinaux comme la colique ou la constipation, susceptibles d’entraver la croissance. Ces bébés, qui représentent entre 52 et 57% des nourrissons qui régurgitent, nécessitent une prise en charge globale.

 

TLM : En quoi consiste cette prise en charge globale ?

Dr Marc Bellaïche : Elle est exclusivement d’ordre hygiéno-diététique. Pour les bébés au sein, chez qui les régurgitations sont un peu moins fréquentes, seule la réassurance maternelle est de rigueur ; les mamans sont donc invitées à poursuivre l’allaitement maternel. Pour les bébés qui prennent le biberon, la Société européenne de gastro-pédiatrie recommande les formules de lait infantile épaissies à l’amidon de riz, de maïs ou à la farine de caroube, selon la tolérance de l’enfant. Ces produits réduisent considérablement la fréquence des régurgitations. Ils ont reçu l’aval des autorités sanitaires dans la prise en charge des régurgitations du nourrisson après que leur efficacité a obtenu un niveau de preuve de grade A —ce qui est assez rare en pédiatrie. A noter que la constipation peut majorer les régurgitations ; auquel cas la prise en charge sera complétée par des solutions qui favorisent le transit comme les laits 100% lactose ou contenant des fibres ; on pourra monter d’un cran avec une cure de probiotiques pendant 21 jours (type lactobacillus reuteri protectis, le seul qui a fait ses preuves) ; en dernier recours, la solution médicamenteuse avec les molécules lactitol ou lactulose.

 

TLM : Les régurgitations peuvent-elles être dues à une allergie au lait de vache ? Dans ce cas, que conseiller ?

Dr Marc Bellaïche : Des hydrolysats de lait poussé à base de lait de vache ou de lait de riz. Quand les régurgitations sont dues au phénomène allergique, cela suffit à les faire cesser. Si elles persistent, les pédiatres recommandent d’épaissir le lait hydrolysé.

 

TLM : Existe-t-il des alternatives médicamenteuses pour le traitement des régurgitations ?

Dr Marc Bellaïche : Il n’en existe pas chez le bébé de moins de cinq mois. Chez les nourrissons un peu plus âgés, aucun médicament n’a montré un rapport avantages/risques favorable, certains ont même été retirés du marché en raison d’effets indésirables supérieurs aux bénéfices apportés. Les seuls médicaments qui présentent un intérêt potentiel sont les antisécrétoires, des inhibiteurs de la pompe à protons indiqués dans le traitement du reflux gastro-œsophagien. Leur intérêt est toutefois limité aux régurgitations qui entraînent des remontées acides ; leur prescription est, dans ce cas, largement répandue parmi les pédiatres, même en l’absence d’autorisation de mise sur le marché chez les enfants de moins d’un an...

 

TLM : Quels symptômes doivent alerter les parents et les conduire à consulter ?

Dr Marc Bellaïche : Dès lors que les régurgitations se compliquent. Un bébé qui tousse, signe d’irritations laryngées, qui s’arrête de manger au milieu de ses biberons et qui grossit mal doit être examiné sans attendre. Il arrive parfois que le reflux soit si important qu’il obstrue l’arbre respiratoire et digestif et provoque un malaise de l’enfant ; il s’agit dans ce cas d’une urgence absolue.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier & Elvis Journo

«La Société française de pédiatrie recommande les formules de lait infantile épaissies à l’amidon de riz, de maïs ou à la farine de caroube, qui réduisent la fréquence des régurgitations… »

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