• Dr MAHEU : Approches thérapeutiques de la gonarthrose

Emmanuel MAHEU

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 11/04/2022


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S’il n’existe pas de traitement ciblé pour la gonarthrose, plusieurs options médicales existent en fonction de l’histoire du patient. Et même s’il n’y a pas de miracle à en attendre, la prise en charge est utile et peut améliorer les patients, explique le Dr Emmanuel Maheu, rhumatologue à Paris.

 

TLM : Les facteurs de risque amenant à une gonarthrose sont parfois évitables. Pouvez-vous les résumer ?

Dr Emmanuel Maheu : La prévalence et l’incidence de la gonarthrose augmente avec l’âge. L’héritabilité familiale (arthrose en général, gonarthrose en particulier) est évidente. Mais on peut intervenir sur le surpoids, facteur de risque majeur croissant avec l’épidémie mondiale d’obésité. Et prévenir les traumatismes : soit brutaux par entorse unique ou répétée (ski, football), soit par surcharge répétée du genou, surtout professionnelle. Le syndrome métabolique, de reconnaissance plus récente, n’a pas seulement une action mécanique (surpoids/obésité) mais un effet métabolique (association diabète, hypertension, obésité abdominale, hyperlipidémie) probablement via des médiateurs biologiques (sucres, adipokines). D’où une inflammation à bas bruit altérant les articulations avec comme conséquence la gonarthrose ou son aggravation, un peu comme l’athérome pour les artères.

 

TLM : Comment limiter l’aggravation de la gonarthrose ?

Dr Emmanuel Maheu : Malheureusement nous n’avons pas de traitement ciblé permettant de ralentir ou d’interrompre l’évolution structurale et biologique de l’arthrose.

Nos traitements sont symptomatiques.

En premier ligne se placent l’activité physique (6 000 pas/jour au minimum), la physiothérapie, et surtout la perte de poids. Car il y a une relation directe entre chaque kilo excédentaire et l’aggravation symptomatique. Le contrôle du poids étant difficile à obtenir il faut fixer un objectif raisonnable : 8 à 10% de perte du poids initial réduit de 30 à 40% la douleur et la gêne fonctionnelle. Cela suffit à contrôler les symptômes et peut-être à ralentir l’évolution... Cela dit, un patient douloureux n’aura pas l’activité physique recommandée. Donc les antalgiques sont indispensables en distinguant les poussées inflammatoires avec épanchement et les douleurs chroniques. En poussée il faut réduire l’activité et mettre le genou en décharge (canne, béquille) ; et généralement ponctionner l’épanchement pour réduire la distension articulaire et les médiateurs de l’inflammation locale qui entretiennent la poussée. En général, on injecte dans le même temps un corticoïde pour limiter ou éviter la reproduction de l’épanchement et soulager la douleur.

 

TLM : Y a-t-il des inconvénients à répéter des infiltrations corticoïdes ?

Dr Emmanuel Maheu : On n’a pas observé de détérioration indiscutable des structures articulaires ou péri-articulaires par répétition de ces infiltrations. Cette pratique peut être régulière, notamment chez le patient âgé chez qui les AINS sont contre-indiqués et qui ne veulent ou ne peuvent pas bénéficier d’une prothèse totale de genou. Les ponctions avec infiltrations corticoïdes se pratiquent aussi chez les patients obèses qui ne souhaitent pas de prothèse articulaire ou parce que celle-ci est problématique en raison du surpoids : le chirurgien orthopédiste souhaite que le patient maigrisse un peu d’abord.

 

TLM : Quels antalgiques utiliser pour une activité physique minimale ?

Dr Emmanuel Maheu : Nous ne sommes pas assez riches en médicaments pour nous passer de quoi que ce soit. Je module les molécules en fonction des comorbidités du patient, lequel ne nous a pas attendus pour prendre du paracétamol.

Mais celui-ci est peu efficace contre les douleurs de la gonarthrose (résultats à la limite de la significativité). Ce qui n’empêche pas qu’individuellement certains patients soient soulagés par sa prise. On peut recourir aux opioïdes, bien que iatrogènes surtout chez la personne âgée. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont utilisables en phase inflammatoire ou en poussée douloureuse, mais en respectant leurs nombreuses contre-indications : troubles rénaux, cardiovasculaires (traitement anticoagulant), diabétiques... Et toujours garder le principe de la plus petite dose pour la période la plus courte. Les aides antalgiques non médicamenteuses ont leur place : canne, béquille, genouillère de stabilisation, semelles orthopédiques (genu varum ou valgum). L’électrostimulation transcutanée (TENS) a aussi montré son efficacité.

 

TLM : À quels types d’infiltration recourez-vous hors les corticoïdes ?

Dr Emmanuel Maheu : L’acide hyaluronique est plutôt réservé aux gonarthroses avec douleur chronique et genou sans épanchement. La première étape est donc de contrôler ou réduire l’épanchement avec une ponction/infiltration corticoïde. Puis on peut instaurer une cure d’acide hyaluronique en mono-injection ou multi-injections (série de trois injections à une ou deux semaines d’écart, pour ma part). Cela dépend aussi du choix et de l’agenda des patients. Pour les patients les plus éloignés géographiquement ou de passage, une mono-injection peut être préférable, choix qui n’est pas lié à l’efficacité intrinsèque du produit. Je recommande l’usage d’acide hyaluronique à mes patients lorsque la gonarthrose est quotidiennement gênante, même sans douleur envahissante, en fonction de l’invalidité ressentie.

Mais je précise au patient que cela ne reconstitue pas leur articulation. C’est un traitement symptomatique efficace, dont il n’est pas prouvé qu’il ralentit l’évolution de la maladie, même si c’est peut-être le cas. Sa répétition se justifie si les précédentes injections ont eu de bons résultats, lorsque les symptômes réapparaissent. On peut répéter les injections tant qu’elles sont efficaces, sans limite. Mais je ne partage pas l’attitude qui consiste à réinjecter systématiquement le genou du patient tous les ans. Je préfère la tri-injection parce qu’elle induit probablement une production d’acide hyaluronique endogène à chaque infiltration, mais on n’a pas démontré d’efficacité supplémentaire indiscutable.

L’acide hyaluronique n’est pas un simple lubrifiant mécanique puisqu’il disparaît de l’articulation en quelques jours alors que son effet dure plusieurs mois. Il a donc une action pharmacologique, contrairement à sa classification réglementaire. On peut aussi injecter du PRP (plasma riche en plaquettes) comme alternative à l’acide hyaluronique, ou quand celui-ci a échoué. Mais son efficacité semble moindre dans la gonarthrose.

Propos recueillis

par le Dr Sophie Duméry

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