• Dr Magali Lacroix-Triki : Le test Oncotype, pour éviter les chimiothérapies inutiles…

Magali Lacroix-Triki

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 17/01/2023


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Dans les tumeurs de grade 2 du cancer du sein (dites tumeurs intermédiaires), le test Oncotype DX permet de distinguer les patientes qui nécessitent une chimiothérapie adjuvante de celles qui n’en ont pas besoin.

« Evitant du même coup l’administration de chimiothérapies inutiles, sans perte de chance pour les patientes », ajoute le Dr Magali Lacroix-Triki, pathologiste à l’Institut Gustave-Roussy.

 

TLM : A quoi sert le test Oncotype DX ?

Dr Magali Lacroix-Triki : Ce test permet de mieux stratifier les patientes qui ont un cancer du sein au stade précoce, avec des récepteurs hormonaux positifs (RH+) et un marqueur HER2 négatif, pour identifier celles qui tireront vraiment bénéfice d’une chimiothérapie adjuvante. Les cancers du sein sont très hétérogènes. Pour les patientes souffrant d’une tumeur de grade 1, RH, avec une faible prolifération cellulaire, sans envahissement ganglionnaire et donc de très bon pronostic, la chirurgie, associée à la radiothérapie et l’hormonothérapie, sont les traitements de référence. Des études ont montré qu’il n’y avait aucun bénéfice de la chimiothérapie pour ces patientes, car le risque de métastases ultérieures est quasiment nul. A l’inverse, certaines malades présentent des tumeurs agressives, de grade 3 avec une prolifération cellulaire importante. Dans ce cas, après la chirurgie/radiothérapie, elles bénéficient sans aucun doute d’une chimiothérapie et d’une hormonothérapie pour réduire le risque de métastases ultérieures. Mais entre les patientes souffrant d’une tumeur de grade 1 et celles atteintes d’un cancer de grade 3, il y a une zone d’ombre : certaines femmes présentent des tumeurs de grade 2, dites intermédiaires.

Et les critères classiques ne permettent pas d’évaluer avec précision le risque de métastases à distance. Le test Oncotype DX est destiné à ces patientes atteintes d’une tumeur intermédiaire, pour distinguer celles qui ont besoin d’une chimiothérapie adjuvante de celles qui n’en ont pas besoin.

 

TLM : Comment fonctionne ce test ?

Dr Magali Lacroix-Triki : Ce test analyse l’expression de 21 gènes de la tumeur. Il s’agit de gènes impliqués dans la prolifération cellulaire et dans la voie des récepteurs aux œstrogènes, entre autres. L’expression de ces 21 gènes est mesurée et, au final, un algorithme permet d’obtenir un score RS allant de zéro à 100, évaluant le risque de récidive à distance. Lorsque le score d’une patiente est à zéro, le risque de métastases dans les 10 années suivantes est quasiment nul. Lorsque ce score est à 100, le risque est maximal. Entre ces deux extrêmes, des seuils ont été définis, grâce à des essais cliniques. Pour les femmes atteintes d’une tumeur de grade 2, de plus de 50 ans, déjà ménopausées, ayant un score au-dessous de 25, il n’est pas nécessaire de prescrire une chimiothérapie adjuvante. Pour celles de moins de 50 ans, non ménopausées, ce seuil a été fixé à 11. Au-dessus de ces deux scores, les patientes recevront une chimiothérapie.

 

TLM : En pratique, comment réaliser le test ?

Dr Magali Lacroix-Triki : Le prélèvement de la tumeur est envoyé aux Etats-Unis, dans un laboratoire en Californie, le seul habilité pour l’instant à pratiquer cet Oncotype. Les résultats sont obtenus 15 jours plus tard. Un laboratoire en Allemagne est en train d’être mis en place afin de réaliser cet examen, en particulier pour les patientes européennes.

 

TLM : Comment a-t-on démontré la fiabilité de ces tests ?

Dr Magali Lacroix-Triki : Ces tests ont été validés par des grands essais cliniques internationaux.

Le premier, et le plus ancien, TAILORx, a suivi pendant plus de dix ans plus de 10 000 femmes atteintes d’un cancer du sein, au stade précoce, sans envahissement ganglionnaire. Toutes ces patientes ont bénéficié d’un test Oncotype. En particulier, les femmes du groupe RS intermédiaire ont été randomisées par tirage au sort : la moitié ont bénéficié d’une chimiothérapie avec hormonothérapie, l’autre moitié n’ont reçu que l’hormonothérapie. Au bout de dix ans, il n’y a pas de différence en termes de risque de métastases à distance entre ces deux groupes de femmes avec un score RS intermédiaire.

L’autre essai, RxPONDER, dont les résultats ont été publiés en 2021, porte sur plus de 5 000 femmes atteintes de cancer du sein avec un envahissement de un à trois ganglions, suivies pendant six ans à ce jour. Même avec un à trois ganglions atteints, les mêmes scores définissent l’intérêt de la chimiothérapie.

Celle-ci n’est en effet pas utile pour toutes les femmes ménopausées présentant un score RS <25. Ces grands essais ont permis de valider le test Oncotype, avec le plus haut niveau de preuve. Aujourd’hui, toutes les sociétés savantes internationales recommandent l’utilisation de ces tests pour les femmes atteintes d’un cancer du sein précoce, de risque intermédiaire, afin d’orienter la prescription de la chimiothérapie.

 

TLM : Pourquoi est-il si important d’éviter la chimiothérapie ?

Dr Magali Lacroix-Triki : Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il faut éviter les chimiothérapies inutiles. D’abord, ces traitements ont des effets secondaires à court terme, fatigue, nausées, perte de cheveux, qui altèrent la qualité de vie, perturbent la vie professionnelle et personnelle, imposent des arrêts de travail. A long terme, le fait d’avoir eu une chimiothérapie augmente notamment le risque de leucémie et d’atteinte cardiovasculaire du fait de la toxicité cardiaque de certaines molécules.

Par ailleurs, la réduction du nombre de chimiothérapies a un impact économique. Une étude française réalisée par le Dr Roman Rouzier, chirurgien oncologue à Caen, et présentée récemment lors d’un congrès a permis de démontrer que l’utilisation de ces tests était intéressante aussi au plan économique. Ainsi, le test coûte environ 2 000 euros, alors que la chimiothérapie et les soins associés entraînent une dépense de plus de 15 000 euros par patiente. En plus des bénéfices en termes de qualité de vie, le rapport coût/efficacité de ces tests est très favorable.

 

TLM : Ces tests sont-ils pris en charge par l’Assurance maladie ?

Dr Magali Lacroix-Triki : Rien n’est à la charge des patientes. Pour l’instant, ces tests sont financés par le RIHN, un dispositif du ministère de la Santé permettant de financer les techniques innovantes. Mais il y a encore une inégalité d’accès à ces tests, selon les centres où l’on est pris en charge, car une part importante de financement reste à la charge des centres hospitaliers. Nous espérons disposer bientôt d’un financement pérenne pour ces tests qui permettent d’éviter des chimiothérapies inutiles, sans perte de chance pour les patientes.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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