• Dr Louisette Bloise : Les dispositifs capables de freiner la myopie encore peu prescrits

Louisette Bloise

Discipline : Ophtalmologie

Date : 23/10/2023


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Ralentir l’évolution de la myopie dès l’enfance pour prévenir ses complications à l’âge adulte, telles sont les promesses des dispositifs de freination. Encore limitée, leur prescription mériterait d’être développée, estime le Dr Louisette Bloise, ophtalmologiste à Saint-Laurent-du-Var, présidente de la SFOALC (Société française des ophtalmologistes adaptateurs de lentilles de contact) et coordinatrice de l’ouvrage « Les avancées en contactologie »*.

 

TLM : L’incidence de la myopie est en hausse partout dans le monde. Qu’en est-il en France ? Et comment l’explique-t-on ?

Dr Louisette Bloise : La France n’est pas épargnée par cette hausse : selon une étude épidémiologique menée en 2016 par le CHU de Poitiers, 20% des jeunes de 0 à 18 ans sont myopes. La principale raison est purement environnementale, elle est liée à la surexposition des enfants aux écrans, parfois dès le plus jeune âge, dans une pièce souvent peu éclairée. Et, en parallèle, à la baisse des activités à l’extérieur avec comme conséquence un manque d’exposition à la lumière du soleil dont on sait pourtant qu’elle participe à la prévention de la myopie. C’est un peu la double peine : non seulement les enfants s’exposent à un facteur de risque mais ils se soustraient à un facteur protecteur. La lecture de livres peut avoir les mêmes conséquences dans la mesure où elle sollicite également la vision de près, mais rares sont les jeunes qui s’enferment dans le noir pour lire pendant des heures !

 

TLM : Quels sont les conseils à donner aux parents ?

Dr Louisette Bloise : Idéalement, interdire les écrans avant l’âge de trois ans et, passé cet âge, limiter la durée d’exposition à une heure quotidienne, 30 minutes le matin, 30 minutes l’après-midi. S’assurer que les enfants soient à bonne distance du support (>30 centimètres) et que la pièce soit suffisamment éclairée. Surtout, les inciter à jouer à l’extérieur au moins deux heures par jour.

 

TLM : Quels sont les signes qui doivent alerter ?

Dr Louisette Bloise : Un enfant se plaint rarement de mal voir. Le fait qu’il se rapproche systématiquement de son livre ou des écrans est un signal. Attention aux situations de myopie unilatérale : lorsqu’un seul œil est touché, le cerveau compense et donne l’illusion que l’enfant voit bien. Enfin, un enfant avec des antécédents familiaux de myopie a un risque accru d’être lui-même myope : avoir un parent myope triple ce risque, avoir ses deux parents myopes le multiplie par 6 ou 7.

 

TLM : Quelles recommandations en termes de dépistage ?

Dr Louisette Bloise : Il doit être proposé dès que l’enfant est capable de regarder des images et de répondre à des questions, en général entre trois et six ans.

Faute de médecin scolaire, la grande majorité des écoles ne proposent plus d’examen de l’acuité visuelle ; c’est donc aux pédiatres et aux médecins généralistes de prendre le relais. L’examen consiste à contrôler la vision de chaque œil, individuellement, à l’aide d’une échelle d’acuité visuelle. En cas de doute, si l’enfant est trop jeune ou pas coopératif, il faut l’orienter vers un ophtalmologiste qui procèdera à une skiascopie : cette technique de réfraction objective permet de rechercher et d’évaluer une amétropie d’un œil sans que la participation du patient soit nécessaire.

Les enfants ayant un grand pouvoir d’accommodation susceptible de fausser l’examen, on inhibe cette capacité à l’aide d’un collyre trois quarts heure avant.

 

TLM : Pourquoi est-ce si important de dépister la myopie de façon précoce ?

Dr Louisette Bloise : Parce que l’œil continuant à s’allonger, la myopie risque de s’aggraver avec l’âge et d’entraîner des complications à l’âge adulte : décollement de la rétine, dégénérescence maculaire myopique, cataracte ou glaucome plus précoces.

 

TLM : Mais les appareillages qui existent sont purement « symptomatiques », ils ne visent pas à guérir la myopie…

Dr Louisette Bloise : Il existe depuis plusieurs années des solutions pour freiner la progression de la myopie. La première est médicamenteuse, il s’agit d’un collyre à base d’atropine qui, en dilatant la pupille, augmente la quantité de lumière arrivant dans l’œil et ralentit l’évolution de la myopie. Autres solutions, les systèmes de freination qui visent à ramener tous les rayons lumineux au centre de la rétine : les plus anciens sont les lentilles d’orthokératologie, des dispositifs rigides capables de remodeler la cornée.

L’enfant les porte la nuit et les retire le matin. Les études ont montré qu’elles freinaient d’environ 60 % l’évolution de la myopie. Ces lentilles sont généralement très appréciées des patients car elles leur permettent de se passer de lunettes ou de lentilles pendant la journée. Sur le même principe, les opticiens proposent également depuis quelques années des lunettes de freination avec des verres à la géométrie particulière ainsi que des lentilles souples spéciales, portées le jour et retirées le soir.

 

TLM : Qui peut bénéficier de ces dispositifs ?

Dr Louisette Bloise : Tous les enfants atteints d’une myopie allant jusqu’à -4 voire -7 dioptries, selon les dispositifs fabriqués par les laboratoires. Les lunettes de freination peuvent être prescrites à tout âge et doivent l’être le plus tôt possible pour empêcher l’évolution de la myopie. Les lentilles rigides peuvent être proposées dès l’âge de 7-8 ans, les souples plutôt vers 10 ans. Le choix du dispositif doit être discuté avec le patient et ses parents, et tenir compte de différents paramètres : l’envie et la motivation de l’enfant, ses activités extrascolaires (les lentilles souples sont déconseillées en milieu aquatique), l’importance de sa myopie, l’existence d’autres troubles de la réfraction, etc. En outre, chaque solution a ses inconvénients : l’instillation quotidienne d’un collyre ou le port de lentilles peuvent rebuter les jeunes, tandis que le port de lentilles rigides nécessite une topographie, examen impossible sans la coopération du patient. La décision doit donc être prise au cas par cas.

 

TLM : En quoi consiste le suivi de ces jeunes patients ?

Dr Louisette Bloise : Il repose sur une consultation bisannuelle chez l’ophtalmologiste pour s’assurer que le dispositif est efficace et que la longueur de l’œil est stable. Si l’analyse de la réfraction est satisfaisante, l’enfant garde le même dispositif et sera revu six mois plus tard ; si l’examen montre une évolution, il pourra être complété par une biométrie de l’œil et le système sera adapté si besoin.

 

TLM : Pourquoi ces dispositifs sont-ils encore peu répandus ?

Dr Louisette Bloise : S’ils sont remboursés comme les alternatives classiques, le système de freination n’est pas pris en charge. Ce surcoût peut sans doute expliquer pourquoi sa prescription ou son acceptation par les patients restent limitées.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

* Ouvrage collectif coordonné par le Dr Louisette Bloise. Editions Med-Line.

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