• Dr. LAMIREAU : L’allaitement pâtit d’un manque de formation des professionnels de santé

Delphine LAMIREAU

Discipline : Pédiatrie

Date : 01/02/2021


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TLM : Quels sont les avantages de l’allaitement maternel ?
Dr Delphine Lamireau :
L’allaitement est la continuité naturelle de la grossesse et plus précisément du placenta qui nourrissait le fœtus en continu. Le lait maternel contient tout ce dont un nouveau-né a besoin pour bien grandir et affronter la vie extra-utérine : des macronutriments bien sûr (lipides, protides, glucides), mais aussi des facteurs bionutritifs, des vitamines et des minéraux qui vont optimiser sa croissance, ainsi que des immunoglobulines, des anticorps et des protéines immunomodulatrices — en particulier la lactoferrine et le lysozyme —, qui vont le protéger contre les micro-organismes de son nouvel environnement. À long terme, c’est un facteur de prévention indéniable contre bon nombre d’affections. Les bénéfices pour la mère sont également nombreux : donner le sein à son enfant permet un retour plus rapide à son poids de forme, limite les saignements grâce à une rétractation plus rapide de l’utérus, et réduit les risques de cancer du sein et de l’ovaire.

L’aspiration à plus de naturalité autour de la naissance se traduit-elle par une hausse de l’allaitement maternel ?
u Pour le moment, nous n’avons rien observé de tel. Le taux reste stable et stagne à 70/80 % à la sortie de la maternité, pour tomber à 40 % à 1 mois et 30 % à 3 mois. Bien loin des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui préconise un allaitement maternel jusqu’à l’âge de 2 ans — de façon exclusive jusqu’à 6 mois.

Les contre-indications expliquent-elles à elles seules ces chiffres ?
u Assurément non. La galactosémie congénitale, certains traitements médicamenteux, les psychoses puerpérales, le sida et l’infection par le VIH sont les principales contre-indications à l’allaitement maternel ; or elles sont assez rares dans les pays développés comme la France. Il s’agit plutôt d’un problème culturel : malgré une volonté affirmée des autorités de santé de favoriser l’allaitement maternel, rien n’est mis en place pour y parvenir. Contrairement à une idée reçue, l’allaitement maternel n’est pas seulement inné, il est aussi acquis. Beaucoup de femmes éprouvent des difficultés à donner le sein mais n’osent pas le dire et/ou ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide. Les professionnels de santé n’ont pas reçu de formation pour leur apporter le soutien et l’accompagnement dont elles ont besoin. Même les sages-femmes ne sont pas suffisamment formées ! En outre, les médecins manquent souvent de temps, et une consultation en lactation ne se fait pas en un quart d’heure. À cela s’ajoute la reprise du travail précoce, lorsque l’enfant n’est âgé que de deux mois et demi à peine.

À quelles difficultés les mères allaitantes peuvent-elles être confrontées ?
u L’engorgement est une des difficultés rencontrée par ces femmes. Il survient souvent au 3e jour après l’accouchement avec la montée de lait, mais peut arriver à tout moment au cours de l’allaitement. Mal pris en charge, il peut évoluer vers une mastite. Pour prévenir ces risques, les femmes ne doivent pas hésiter à s’aider entre autres d’un tire-lait pour vider le sein douloureux. Le tire-lait peut littéralement sauver un allaitement ! On le conseille aussi à celles dont le conjoint souhaite donner le biberon, ou à celles qui aspirent à retrouver une vie sociale ou reprendre le travail sans mettre un terme à leur allaitement, et également pour relancer une lactation insuffisante.

Comment apprend-on à une femme à « bien » allaiter ?
uAvant tout, on lui apprend à être à l’écoute de son bébé et à lui donner le sein dès qu’il le réclame. On lui apprend aussi à reconnaître les signes de faim de son enfant (pleurs, mouvements de bouche, de mains...), et ceux qui indiquent qu’il est rassasié. On lui montre également comment bien positionner son nouveau-né afin qu’il prenne bien le sein et que tous deux soient confortablement installés. Et pour celles qui s’inquiètent de ne pas avoir assez de lait, on leur suggère en plus des autres signes de « bon transfert de lait », de peser leur bébé une fois par semaine pour s’assurer que, objectivement, l’allaitement se passe bien. Autant de conseils qui devraient être donnés systématiquement avant la naissance, lors des séances de préparation à l’accouchement notamment. Malheureusement, c’est encore loin d’être le cas.

Vers qui les femmes peuvent-elles se tourner pour obtenir ces conseils ?
uElles ne doivent pas hésiter à faire appel à des consultantes en lactation, qui ont reçu une formation spécifique. Il existe aussi une plateforme, Vanilla Milk*, qui, en plus d’informer et d’accompagner les femmes dans leur allaitement, géolocalise de telles spécialistes. Les médecins, quant à eux, doivent reconnaître leurs limites et dire qu’ils ne savent pas, plutôt que de délivrer de fausses informations, terriblement préjudiciables pour la poursuite de l’allaitement. Conseiller à une mère d’arrêter d’allaiter parce qu’elle est sous antibiotiques, par exemple, ou justifier ses difficultés à donner le sein par son manque de lait, non seulement culpabilise à tort les femmes, mais peut faire malheureusement engendrer un sevrage contre son gré alors qu’il y a d’autres alternatives possibles.

Propos recueillis par Jeanne Labrune  

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