• Dr KOWNATOR : Prendre en charge une hypercholestérolémie résistante

Serge KOWNATOR

Discipline : Cardiologie

Date : 11/04/2022


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Il arrive fréquemment que le patient refuse d’emblée le traitement par statine ou l’interrompe de lui-même à la première douleur musculaire, se désole le Dr Serge Kownator, cardiologue au Centre cardiologique et vasculaire « Cœur de Lorraine » à Thionville.

C’est pourquoi, explique-t-il, il est capital d’interroger le patient sur ses douleurs et le convaincre de poursuivre son traitement.

 

TLM : A partir de quand considére-ton une hypercholestérolémie comme résistante au traitement ?

Dr Serge Kownator : En préalable, il faut dire que la prise en charge de l’hypercholestérolémie commence par une détermination de l’objectif thérapeutique, et cet objectif est fixé en fonction du niveau de risque du patient. Si le risque est modéré, le taux de LDLcholestérol (LDL-c) devra être inférieur à 1 g/litre ; si le risque est élevé il sera inférieur à 0,7 g/l ; et si le risque est très haut, inférieur à 0,55 g/l. Une hypercholestérolémie est résistante quand on n’obtient pas les objectifs fixés. Et cela advient lorsqu’elle est au départ très sévère, ou lorsque le patient n’est pas observant ou qu’il est réticent, mais plus fréquemment la résistance vient du fait que l’on n’emploie pas les bonnes statines ou qu’on les prescrit à dose insuffisante.

 

TLM : Comment mettre en place une prise en charge efficace ?

Dr Serge Kownator : Pour traiter efficacement il faut connaître les possibilités des outils dont on dispose. Dans tous les cas il faut commencer par des mesures hygiéno-diététiques. Mais ces mesures ne réduisent le taux de LDL-c que de 20 %. L’adjonction d’une statine d’intensité modérée permet de gagner 30 %, chiffre qui monte à 50 % si c’est une statine de forte intensité —atorvastatine 40 à 80 mg, rosuvastatine 20 à 40 mg— qui est prescrite. Si l’objectif n’est toujours pas atteint, il faut alors recourir à l’association d’une statine de forte intensité et de l’ézétimibe, et là, on atteint 65 % de baisse. Et si c’est insuffisant, chez les patients à très haut risque éligibles, on pourra rajouter à cette association un inhibiteur de PCSK9, ce qui permet d’obtenir 85 % de baisse de LDL-c par rapport à la valeur initiale. Des données provenant d’études, notamment ODYSSEY Outcomes et FOURIER ainsi que celles issues d’études de randomisation mendélienne, montrent qu’il n’y a pas de surrisque à baisser considérablement le LDL-c, et que plus il est bas mieux c’est. J’évoquerais, pour être complet, le cas marginal et très rare des patients présentant une hypercholestérolémie familiale, homozygote ou hétérozygote, avec des chiffres très élevés (3vg/l en prévention primaire, 2vg/l en prévention secondaire). Ils relèvent du spécialiste de lipidologie et peuvent être éligibles à la LDLaphérèse 1.

 

TLM : Quelle surveillance mettre en place autour d’un patient sous statine ?

Dr Serge Kownator : Après l’initiation du traitement on pratique un bilan hépatique systématique puisque les statines peuvent être responsables assez rarement d’anomalies hépatiques. En cas de douleurs musculaires, effet indésirable des statines le plus souvent allégué, on dose les CPK en veillant à ce que le prélèvement ne soit pas effectué au lendemain d’un effort physique. Il faut faire, tout au long du traitement, un bilan régulier de l’anomalie lipidique. La modification du traitement, si elle est nécessaire, s’effectue par paliers de quatre à six semaines. Il faut se rappeler que le titrage des doses de statines, palier par pallier, s’accompagne d’une réduction théorique de 6 % du taux de LDL cholestérol.

 

TLM : L’hypercholestérolémie serait largement sous-traitée. Quelles en sont les raisons ?

Dr Serge Kownator : Des études montrent, en effet, que la moitié des patients coronariens ou à très haut risque reçoivent non pas la bonne statine à dose suffisante mais une statine d’intensité modérée ou pas à la bonne dose. Concernant les patients coronariens notamment, les dernières données épidémiologiques montrent que pour une cible de 0,55 g/l de LDL-c, seuls 20 % des patients sont à l’objectif ; et quand la cible est à 0,7 g/l, 30 % des patients seulement sont à l’objectif. Ces mauvais chiffres résultent en bonne partie de la réticence dont font preuve les patients, pour beaucoup d’entre eux trop sensibles aux campagnes médiatiques autour des statines. Les médecins qui essaient de donner le traitement adéquat se heurtent souvent à la résistance des patients, sans toujours réussir à la vaincre. A cet égard, des études ont démontré que cette classe de médicaments pâtit d’un effet nocebo 2 chez un patient sur deux. Souvent les patients refusent d’emblée le traitement ou l’arrêtent de leur propre initiative à la moindre douleur musculaire ou encore demandent au médecin de baisser la dose sans que la statine puisse être formellement incriminée. C’est pourquoi il est capital d’interroger le patient à propos de ses douleurs et de lui apporter des éléments d’information objectifs pour le convaincre de poursuivre son traitement.

Propos recueillis

par Daniel Paré

 

1. La LDL-aphérèse consiste à laver le sang de l’excès de cholestérol qui peut se déposer sur les artères, grâce à une technique simple, dont le principe est analogue à celui de la dialyse rénale.

2. L'effet nocebo est de nature psychologique. Des études ont montré que certains patients consommant des produits inertes qu'ils pensent être des médicaments actifs ressentent les effets indésirables de ces derniers.

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