• Dr KOCHMAN : Le lourd impact du stress pathologique à l’adolescence

Frédéric KOCHMAN

Discipline : Pédiatrie

Date : 11/07/2022


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Un stress pathologique entrave le développement cognitif, affectif et scolaire de l’enfant et de l’adolescent, alerte le Dr Frédéric Kochman, pédopsychiatre, chef du service de Pédopsychiatrie, à la clinique Lautréamont de Lille. Ses recommandations pour le prévenir et, le cas échéant, le prendre en charge.

 

TLM : Quels sont les symptômes d’un adolescent qui souffre de stress ?

Dr Frédéric Kochman : D’abord, il existe un stress normal physiologique, qui fait partie de la vie quotidienne des enfants, le stress avant une épreuve écrite, avant une compétition sportive... Le stress pathologique est totalement différent du « bon » stress. Il interfère clairement avec le fonctionnement quotidien, il perturbe la vie à la maison, il nuit à la scolarité. Toute la vie et toute la famille pourront être contaminées par ce stress. Un stress pathologique entrave le développement cognitif, affectif et scolaire.

 

TLM : Quelles sont les causes du stress chez les jeunes ?

Dr Frédéric Kochman : D’abord, le Covid a eu un impact majeur sur les jeunes. Je le vois tous les jours dans le service de pédopsychiatrie que je dirige. Nous avons, depuis deux ans, deux à trois fois plus de demandes de prise en charge pour des enfants et des adolescents qui vont très mal. Nous observons une augmentation de la phobie scolaire, des dépressions, des troubles anxieux, des troubles du comportement alimentaire chez des jeunes enfants, pré-adolescents et des adolescents. Si le jeune est recroquevillé sur lui-même, s’il est isolé, si les relations avec les autres sont altérées, à l’école, dans la famille, avec les amis, il faut rechercher des symptômes de troubles anxieux, comme la rumination, les TOC, les phobies ; des signes de dépression, comme la tristesse, les idées noires ou suicidaires, les atteintes auto-agressives. Il faut aussi déceler s’il présente des troubles somatiques, fréquents en cas de stress chez les jeunes, mal au ventre, mal à la tête, aux genoux, au dos. Chez les adolescents, il peut y avoir aussi des attaques de panique, des malaises, des pertes de connaissance, comme manifestations cliniques du stress. Il faut aussi rechercher un amaigrissement, des troubles du sommeil. Face à de tels symptômes, une prise en charge est nécessaire.

 

TLM : Pourquoi le Covid a-t-il eu un tel impact sur les jeunes ?

Dr Frédéric Kochman : Les conséquences sociétales du Covid ont eu un impact majeur sur eux du fait du manque de régularité scolaire, du confinement, des parents qui ne travaillent plus, du fait d’être coupé des copains, des grands-parents... Les enfants ont besoin de contact physique, de câlins, d’être serré dans les bras de leurs parents ou de leurs grands-parents... Une étude récente a mis en évidence le lien entre contact physique, câlins et ocytocine.

Quand on ne peut plus se toucher, l’ocytocine diminue. Les médias ont été très anxiogènes, les enfants ont entendu égrener tous les jours à la télévision le nombre de morts. Il faudra beaucoup de temps pour se remettre de cette crise.

Outre le Covid, les réseaux sociaux et les écrans ont changé le monde des jeunes, enfants et adolescents. Ils deviennent plus narcissiques, sont exposés et sensibles aux influenceurs. De surcroît, beaucoup sont en carence de sommeil, d’au moins une heure ou deux par jour. Ce manque de sommeil a un impact sur leur concentration, sur le stress. Par ailleurs leur alimentation est remplie de produits chimiques, de sucres, de graisses saturées, à l’origine d’une inflammation de bas grade. Cette alimentation entraîne des changements de la flore intestinale, du microbiote. Il existe des liens démontrés entre alimentation pro-inflammatoire et stress chronique.

 

TLM : Comment prendre en charge les adolescents souffrant de stress ?

Dr Frédéric Kochman : Il existe désormais une diversité extraordinaire de psychothérapies. Pour chaque jeune il est possible de proposer une psychothérapie adaptée, qu’il s’agisse de la méditation de pleine conscience, de l’EFT (Emotional Freedom Technique), de l’hypnose, de l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing)... Je les pratique quotidiennement avec les enfants. Ces techniques psychocorporelles, autour du corps, permettent au corps de venir à la rescousse de l’esprit. L’auto-apprentissage permet aussi de s’approprier de ces techniques. Il peut également les pratiquer en famille.

 

TLM : Et les médicaments ?

Dr Frédéric Kochman : Nous en sommes totalement revenus de l’usage des benzodiazépines chez les jeunes. Le risque de ces médicaments apparaît désormais supérieur aux bénéfices. En plus du risque de dépendance, le traitement par benzodiazépines fait perdre 30 % de la capacité de mémorisation. L’impact de ces médicaments est très important chez les plus jeunes comme chez les plus âgés. Il est illogique de donner à un élève ou à un étudiant un médicament qui lui fait perdre ses capacités mnésiques.

 

TLM : Existe-t-il des alternatives à ces benzodiazépines ?

Dr Frédéric Kochman : Plusieurs publications scientifiques ont démontré l’intérêt de substances actives issues de certaines plantes pour aider les enfants et les adolescents souffrant de stress. En particulier de certains médicaments à base de passiflore qui sont utilisés avec efficacité contre le stress. Cette plante, très étudiée dans ce contexte, possède une action benzodiazépine-like, sans les inconvénients et les risques des benzodiazépines. L’effet est transitoire, il n’y a pas de troubles de la mémoire ni de dépendance. D’autres plantes peuvent aussi être utilisées comme la valériane ou la mélisse.

 

TLM : Quels conseils donner aux parents pour protéger les enfants du stress ?

Dr Frédéric Kochman : Dès le plus jeune âge, ils doivent légiférer sur les écrans, sur le temps qu’ils y passent, sur le contenu et les interdire au moins deux heures avant le coucher. Ils doivent savoir ce que l’enfant fait sur les réseaux sociaux pour le protéger des prédateurs sexuels. Ils ne peuvent pas non plus dire à leurs enfants de limiter l’usage du téléphone et avoir, eux, toute la journée les yeux rivés sur le leur. Il faut aussi se soucier de leur alimentation, mettre en place des règles hygiéno-diététiques, manger des fruits, des légumes, utiliser des ingrédients comme le curcuma aux effets anti-inflammatoires ou des aliments fermentés comme la choucroute, avec un impact favorable sur le microbiote. Les parents doivent inciter leurs enfants à faire du sport, en faire avec eux, car l’exercice physique a un effet anti-inflammatoire, anxiolytique et anti-stress.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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