• Dr Julien Cottet : Anaphylaxie : Dédiaboliser l’adrénaline

Julien Cottet

Discipline : Allergologie

Date : 17/01/2023


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A la lumière de la redéfinition des critères cliniques de l’anaphylaxie, le Dr Julien Cottet, dermatologue à Chartres, rappelle l’urgence de recourir à l’injection intramusculaire d’adrénaline dès le grade 2 (sur 4) et l’apparition des premiers symptômes.

 

TLM : Il existe désormais quatre grades de sévérité de l’anaphylaxie. À quoi correspondent-ils ?

Dr Julien Cottet : Récemment, le comité d’anaphylaxie de la World Allergy Organization (WAO) a proposé de revoir la définition et les critères cliniques de l’anaphylaxie en vue d’inclure des réactions plus légères et atypiques, classées du grade 1 au grade 4.

• Grade 1 : réaction légère qui se manifeste par l’apparition de symptômes cutanés (érythème, œdème et urticaire).

• Grade 2 : atteinte multiviscérale modérée, entraînant une hypotension, une tachycardie, une toux, une dyspnée, des signes digestifs (douleurs abdominales, nausées, vomissements, diarrhées), un malaise. Les signes cutanés ne sont pas toujours présents.

• Grade 3 : atteinte multiviscérale sévère qui provoque une hypotension, une tachycardie ou une bradycardie, un bronchospasme, un collapsus cardiovasculaire. Les signes cutanés sont généralement absents.

• Grade 4 : arrêt cardiorespiratoire — c’est ce que l’on désignait auparavant par le choc anaphylactique.

 

TLM : Le terme de « choc anaphylactique » n’est plus utilisé. Pourquoi ?

Dr Julien Cottet : Le terme anaphylaxie doit être préféré à « choc anaphylactique » car ce terme revêt une connotation délétère tant pour les patients que pour les médecins. En effet, dans l’imaginaire collectif, un « choc anaphylactique » est le seul niveau d’anaphylaxie qui nécessite d’être traité par l’administration intramusculaire d’adrénaline. Or, l’adrénaline doit être administrée dès le grade 2 ; seul le grade 1 se traite au moyen d’antihistaminiques. Il était, par conséquent, nécessaire de distinguer les différents degrés de sévérité afin que les patients bénéficient d’une prise en charge appropriée.

 

TLM : Une urticaire et un œdème ne sont donc pas des signes de gravité ?

Dr Julien Cottet : L’urticaire et l’œdème peuvent être impressionnants, mais ce sont des réactions dermatologiques, pas allergiques à proprement parler. S’ils ne sont pas associés à des signes internes, aucun de ces deux symptômes ne traduit un caractère de gravité, c’est même plutôt le contraire dans la mesure où ils ont tendance à être absents dans les anaphylaxies de grade plus élevé.

 

TLM : À quel âge l’anaphylaxie est-elle plus fréquente ?

Dr Julien Cottet : L’anaphylaxie n’est pas réservée aux enfants. On voit désormais des pics à 30-40 ans et même vers 50-60 ans. Lorsqu’elles sont d’origine alimentaire, les réactions sont causées par des allergènes différents de ceux de l’enfance, correspondant généralement aux habitudes alimentaires propres à chaque âge : plutôt les cacahuètes et les œufs chez l’enfant, les crustacés, le miel et les noix de cajou chez l’adulte.

 

TLM : Revenons au traitement de l’anaphylaxie. Sur quoi repose-t-il précisément ?

Dr Julien Cottet : Dans le grade 1, le traitement se limite à la prise d’un comprimé d’antihistaminique ; dans les grades 2, 3 et 4, il repose sur l’injection intramusculaire d’adrénaline au moyen d’un stylo auto-injectable.

Celle-ci doit être pratiquée immédiatement, dès l’apparition des premiers symptômes qui évoquent une chute de tension : tête qui tourne, envie de vomir, difficultés à respirer, à parler... On privilégie la face externe de la cuisse, même à travers un pantalon. En cas d’hésitation, on pique quand même ! Selon les recommandations françaises émises par la Société française de médecine d’urgence (SFMU), la Société française d’allergologie et l’Association Asthme & Allergie, chaque patient à risque d’anaphylaxie (allergie alimentaire associée à un asthme ou à une mauvaise observance thérapeutique) doit posséder deux stylos auto-injectables pour être sûr d’obtenir la bonne dose d’adrénaline. Ils existent en trois dosages : 150, 300 et 500 µg, selon le poids du patient. Le dernier dosage est réservé aux patients de plus de 55 kilos, autant dire la plupart des adultes concernés, mais ce dosage reste insuffisamment prescrit. Par ailleurs, les corticoïdes ne sont plus utilisés car trop lents à agir. Chez les asthmatiques, ils servent uniquement à prévenir le risque de réactions tardives, à rebond.

 

TLM : Aux États-Unis et en Angleterre, l’administration intramusculaire d’adrénaline se fait dès le grade 1. Pourquoi pas en France ?

Dr Julien Cottet : C’est sans doute lié au fait que le taux de prévalence des anaphylaxies y est plus élevé qu’en France. Telles qu’elles sont édictées, les recommandations françaises sont tout à fait satisfaisantes et les données épidémiologiques n’incitent pas à les réviser.

Pour autant, on constate tous les jours un problème de sensibilisation et de formation à la prise en charge de l’anaphylaxie qui pourrait se traduire par une hausse des décès. Dans les écoles par exemple, le personnel a très peur d’injecter de l’adrénaline à un enfant et rares sont ceux qui appliquent le Projet d’accueil individualisé (PAI). Or, mieux vaut injecter à tort de l’adrénaline à un enfant qui fait une anaphylaxie de grade 1 que ne pas administrer ce médicament à un enfant victime d’une anaphylaxie de grade 2. Aux Etats-Unis, il y a un stylo injecteur dans chaque classe... Il est indispensable que les pouvoirs publics français prennent conscience que l’allergie est une maladie grave, qui provoque plusieurs milliers de morts chaque année, et qu’elle est en pleine explosion : d’après l’Organisation mondiale de la santé, sa prévalence va doubler en 2050 pour atteindre 50 %. Or, la formation initiale des médecins est quasi inexistante, la formation médicale continue est principalement axée sur le diabète, les maladies cardiovasculaires et la télémédecine, et seuls 28 internes allergologues sont formés chaque année.

C’est dérisoire !

 

TLM : Comment accompagner les patients à risque ?

Dr Julien Cottet : Via l’éducation thérapeutique. À la fois pour leur apprendre à repérer les allergènes alimentaires, utiliser correctement la trousse d’urgence, bien manipuler l’adrénaline, se préparer aux situations de panique, savoir reconnaître les symptômes... Portée par une infirmière et une diététicienne, cette éducation thérapeutique doit être complétée par une prise en charge psychologique et pluridisciplinaire si l’anaphylaxie génère une anxiété.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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