• Dr Julien Bertolino : HTA : Les nouvelles recommandations

Julien Bertolino

Discipline : Cardiologie

Date : 23/10/2023


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La Société européenne d’Hypertension artérielle (ESH) a publié en août dernier de nouvelles recommandations pour le diagnostic et la prise en charge de l’hypertension artérielle (HTA). Décryptage avec le Dr Julien Bertolino, spécialiste en Médecine vasculaire à l’hôpital de la Timone (Marseille).

 

TLM : De nouvelles recommandations concernant l’HTA ont été émises. A qui en revient l’initiative ?

Dr Julien Bertolino : C’est la Société européenne d’Hypertension artérielle (ESH) qui, pour la première fois, ne s’est pas associée à la Société européenne de Cardiologie (ESC). Ces recommandations ont été approuvées par la Société internationale d’Hypertension (ISH) et la Société européenne de Néphrologie (ERA). Elles ont été présentées en juin dernier, au 32e congrès annuel de l’ESH, et publiées en août dansla revue spécialisée Journal of Hypertension.

Les dernières dataient de 2018.

 

TLM : Quelles sont les nouveautés en matière de diagnostic ?

Dr Julien Bertolino : Les normes tensionnelles définissant l’HTA restent les mêmes, à savoir une systolique ≥ à 140mmHg et/ou une diastolique ≥ à 90mmHg. La classification des grades d’hypertension est inchangée également.

Si le dépistage de l’HTA se fait toujours via la mesure de consultation, ces recommandations soulignent la nécessité, dans la mesure du possible, de confirmer le diagnostic par une mesure ambulatoire : automesure ou mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA), avec des normes tensionnelles différentes. De même, on ne se base plus sur la mesure de consultation pour adapter le traitement. Une des nouveautés est la précision de bien utiliser, médecins et patients, un appareil de mesure validé avec une liste de ces appareils via le site stridebp.org. En revanche les dispositifs « cuffless », autrement dit « sans brassard » sont déconseillés. Après le diagnostic, il est important de réaliser un bilan minimal pour évaluer le retentissement de l’HTA, ainsi que le risque cardiovasculaire global. Ce bilan comprend a minima une hémoglobine, un bilan lipidique complet, un dosage de la glycémie à jeun, de l’HbA1c, de la kaliémie natrémie calcémie, de la créatinémie, un rapport albuminurie/protéinurie et un ECG. Les indications du bilan de l’HTA secondaire ont été élargies : une HTA de grade 2 ou 3 précoce (<40 ans), ou une HTA chez l’enfant ou l’adolescent, peu importe son âge, un point d’appel clinique ou biologique (une kaliémie basse par exemple), une HTA résistante vraie, une HTA sévère (grade 3) ou une urgence hypertensive (HTA sévère avec une atteinte viscérale : AVC, infarctus du myocarde, dissection, HTA maligne, etc.), une atteinte disproportionnée des organes cibles par rapport à la durée ou la sévérité de l’HTA (se traduisant, par exemple, par une insuffisance rénale [IR] ou une hypertrophie ventriculaire gauche), et enfin lorsque la pression artérielle dépasse 160/110mmHg chez une femme enceinte.

 

TLM : Quelles sont les causes possibles d’HTA secondaire ?

Dr Julien Bertolino : Il s’agit de maladies hormonales telles que l’hyperaldostéronisme primaire liée à une sécrétion inappropriée d’aldostérone par un nodule surrénalien ou une hyperplasie bilatérale des surrénales ; un phéochromocytome ou un paragangliome qui sécrètent en excès des catécholamines ; un hypercorticisme avec sécrétion en trop grande quantité de cortisol. Il s’agit également de pathologies rénales, parenchymateuses ou rénovasculaires comme une sténose des artères rénales d’origine athéromateuse (notamment chez les personnes âgées avec des facteurs de risque cardiovasculaire) ou secondaire à une dysplasie fibromusculaire (maladie non inflammatoire et non athéromateuse de la paroi artérielle que l’on retrouve plutôt chez les femmes jeunes) ; du syndrome d’apnée-hypopnée obstructif du sommeil (SAHOS), à évoquer chez les patients obèses avec une HTA nocturne ; chez les patients plus jeunes la possibilité d’une coarctation de l’aorte.

Enfin, il ne faut pas oublier les causestoxiques, à rechercher cheztout patient, notamment la prise de pilule œstroprogestative chez la femme jeune, la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, la consommation de drogues, etc.

 

TLM : Les nouvelles recommandations modifient-elles le traitement ?

Dr Julien Bertolino : Les seuils tensionnels à cibler restent les mêmes, à savoir une cible de pression artérielle en consultation de moins de 130/80mmHg chez les patients de 18 à 64 ans, et de moins de 140/80mmHg pour ceux entre 64 et 79 ans, en essayant de diminuer à moins de 130/80 mmHg si cela est bien toléré. La nouveauté concerne les plus de 80 ans, pour qui les recommandations ont été clarifiées, avec une cible entre 140-150mmHg de systolique et 70- 80mmHg de diastolique. Si le traitement est bien toléré on peut viser une cible plus basse entre 130 et 139mmHg de systolique. En revanche, la société savante rappelle de ne pas descendre en-deçà de 120/70mmHg. L’algorithme décisionnel concernant le traitement médicamenteux est comparable à celui de 2018 avec la recommandation de débuter par une bithérapie combinée, sauf pour les patients âgés et ceux avec une HTA de grade 1 et un faible risque cardiovasculaire. L’ESH rajoute dans cet algorithme la proportion de patientssoustraitement dont la pression artérielle doit être contrôlée —60% de patients sont contrôlés avec une bithérapie à pleine dose— et recommande d’ajouter à la bithérapie une troisième molécule (diurétique thiazidique ou inhibiteur calcique en association avec un bloqueur du système rénine angiotensine) pour atteindre 90% de patients contrôlés —incitant ainsi les médecins à majorer le traitement. Une des nouveautés est l’entrée dans les recommandations des inhibiteurs du co-transporteur sodium glucose de type 2 (SGLT2) et des antagonistes non-stéroïdiens des récepteurs des minéralocorticoïdes (finérénone) en cas de maladie rénale chronique pour leurs effets cardio et néphroprotecteurs. Dans un chapitre consacré aux personnes atteintes d’un cancer, l’ESH déconseille de débuter un traitement anticancéreux en cas d’HTA de grade 3, d’éviter certains médicaments comme les inhibiteurs calciques bradycardisants en raison du risque d’interaction, de privilégier les IEC, les ARA2 ou les inhibiteurs calciques non bradycardisants chez les patients sous antiangiogéniques, et d’éviter les diurétiques thiazidiques en cas d’atteintes osseuses (risque d’hypercalcémie) ou d’utilisation de traitements allongeant le QT (risque d’hypokaliémie et de torsade de pointes).

 

TLM : Quoi de neuf concernant l’hypertension artérielle résistante ?

Dr Julien Bertolino : Rappelons que beaucoup de patients sont diagnostiqués résistants à tort et que cette forme ne concerne que 5 % des patients. Par conséquent, l’ESH conseille de procéder à une MAPA pour confirmer le diagnostic et de s’assurer de la bonne observance du traitement pour confirmer le diagnostic. La grande nouveauté est la possibilité de proposer à ces patients la dénervation rénale si le débit de filtration glomérulaire de son patient est ≥ à 40ml/min/m2. On rappelle qu’en France, ce traitement n’est remboursé qu’après une HTA résistante à une quadrithérapie comprenant la spironolactone, qui reste toujours la quatrième molécule à introduire en cas d’HTA résistante sauf en cas d’IR sévère.

Deuxième nouveauté concernant cette fois justement les patients avec une IR sévère (DFG < 30 ml/min/m2) pour qui il est recommandé de réaliser un double blocage pour diurétiques thiazidiques et diurétiques de l’anse.

 

TLM : Les recommandations en matière d’hygiène de vie restent-elles les mêmes ?

Dr Julien Bertolino : Oui, à la nuance près qu’il est désormais conseillé d’enrichir son alimentation en potassium pour baisser sa pression artérielle —sauf en cas d’IR sévère.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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