• Dr Joseph Monsonego : Infections par le virus HPV et vaccination

Joseph Monsonego

Discipline : Infectiologie

Date : 17/01/2023


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Les cancers du col de l’utérus sont les seuls cancers HPV-induits à disposer de deux moyens de prévention, avec la vaccination et le dépistage. En cela ils diffèrent des autres cancers HPV-induits pour lesquels il n’existe pas de dépistage, le seul moyen de prévention étant donc la vaccination HPV.

Explications du Dr Joseph Monsonego, directeur de l’Institut du Col (Paris), qui se demande s’il ne serait pas judicieux de s’orienter vers une obligation vaccinale contre le virus HPV (human papillomavirus).

 

TLM : Quelle est la prévalence de l’infection à papillomavirus en France ?

Dr Joseph Monsonego : Il faut distinguer la prévalence de l’infection à papillomavirus et la prévalence des maladies induites par l’HPV, c’est-à-dire des lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l’utérus, et des autres cancers associés. En France, la prévalence de l’infection à HPV est de 12% chez les femmes de plus de 30 ans, 25 à 30% chez les moins de trente ans et 30 à 40% chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes au niveau anal, contre 5% environ des hétérosexuels. La prévalence de l’infection par le HPV au niveau de la sphère oropharyngée est cinq à six fois plus importante chez les hommes que chez les femmes. Cette différence explique probablement que les deux tiers des cancers oropharyngés concernent l’homme et un tiers la femme.

En réalité, seulement 10% des infections à HPV persistent au-delà de cinq, huit ou dix ans : 90% de ces infections vont être éliminées spontanément. Dans cette histoire naturelle, il y a une forte exposition à ces virus et une forte élimination. Une partie infime de ces infections persistantes vont évoluer vers un pré-cancer, puis vers un cancer. Les virus interfèrent alors avec les produits des gènes du cycle cellulaire et induisent ainsi des anomalies morphologiques d’abord précancéreuses que l’on peut dépister et traiter pour éviter l’évolution vers un cancer, en particulier sur le col utérin, la vulve et l’anus.

 

TLM : Quels sont les cancers induits par le HPV ?

Dr Joseph Monsonego : Les virus HPV sont responsables des cancers du col de l’utérus et de la vulve chez la femme, des cancers du pénis chez l’homme et des cancers de la région anale et de l’oropharynx dansles deux sexes. Le col de l’utérus est le site le plus vulnérable à l’HPV : 100% des cancers du col sont liés à une infection par HPV.

Pour les autres cancers, la responsabilité de l’HPV est de 50% pour celui du pénis, de 80% pour celui de l’anus et de30 à 70% pour celui de l’oropharynx.

En France, il y a 3 000 nouveaux cas de cancer du col par an, 1700 nouveaux cas de cancer de l’oropharynx et 1600 nouveaux cas de cancer de l’anus.

Quinze papillomavirus dit à risque ont un tropisme génital, sept d’entre eux sont en cause dans 90% des pré-cancers et des cancers du col de l’utérus. En particulier, les génotypes HPV 16 et 18 sont responsables de 70% de ces cancers. Dans ceux de l’anus, le 16 est en cause dans 85% des cancers liés à l’HPV et dans 90% des cancers oropharyngés liés à l’HPV.

 

TLM : Quelles stratégies mettre en place pour lutter contre les cancers HPV ?

Dr Joseph Monsonego : Il existe deux moyens de lutter contre les cancers du col de l’utérus. Le dépistage permet de détecter les lésions précancéreuses et de les traiter, ce qui évite l’évolution vers un cancer. La vaccination, quant à elle, permet d’agir en amont. Elle induit la production d’anticorps neutralisants contre les HPV contenus dans le vaccin. Ces anticorps vont se retrouver dans la circulation, transsuder à la surface du col de l’utérus et constituer un film qui va faire barrière aux virus, le neutraliser et l’empêcher de rentrer dans la cellule. Il existe un vaccin bivalent (contre les types 16 et 18) et maintenant, depuis trois ans, un vaccin contre neuf types d’HPV. Ces vaccins ont déjà fait la preuve de leur efficacité quasi absolue pour protéger notamment des lésions précancéreuses liées aux types viraux du vaccin. Les études d’impact à notre disposition portent en général sur les vaccins quadrivalents.

Lors des essais cliniques, on a pu observer une protection de 100% contre l’apparition des lésions précancéreuses liées aux HPV de type 16 et 18 et, de surcroît, la disparition des condylomes acuminés. Les données d’impact sur le cancer mettent déjà en évidence une protection remarquable contre le cancer du col de l’utérus dans la population vaccinée par rapport à celle non vaccinée. Une étude suédoise a mis en évidence, chez les jeunes filles vaccinées avant 17 ans, une protection contre le cancer du col de l’utérus de 88%. Pour celles vaccinées entre 17 et 30 ans, la protection est de 53 %. Des méta-analyses confirment de manière claire et robuste l’efficacité du vaccin contre les cancers invasifs du col de l’utérus.

 

TLM : La vaccination permet-elle aussi de réduire le risque de cancer invasif de l’oropharynx et de l’anus ?

Dr Joseph Monsonego : Pour l’instant, nous ne disposons pas de données concernant le cancer de l’anus. Mais certaines études montrent, avec le vaccin, une protection vis-à-vis des lésions précancéreuses de l’anus liés à l’HPV de l’ordre de 90%. Cette protection devrait se traduire par une diminution des cancers invasifs de l’anus.

Concernant la prévention du cancer de l’oropharynx par le vaccin, nous n’avons pas encore de données, car l’histoire naturelle de ce cancer est plus tardive, le pic de cette maladie intervenant à 55 ans. Et nous ne disposons pas d’éléments pour connaître la durée d’exposition au virus avant l’apparition du cancer.

Comme pour le col, on peut anticiper que la neutralisation des HPV associés par la vaccination induise une protection majeure de ces cancers.

 

TLM : Qui doit se faire vacciner aujourd’hui ?

Dr Joseph Monsonego : En France, le vaccin est recommandé pour toutes les jeunes filles et les jeunes garçons de 11 à 19 ans. Pour les jeunes filles de 11 à 14 ans, une vaccination à deux doses est suffisante. Pour celles de 14 à 19 ans, trois doses sont nécessaires, à zéro, deux et six mois. Pour les garçons, le même schéma est recommandé. Chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes la vaccination de rattrapage va jusqu’à 26 ans. La vaccination des garçons permet de réduire le risque de condylomes acuminés, de lésions précancéreuses et cancéreuses de l’anus, du pénis et sans doute de l’oropharynx. Par ailleurs elle limite la transmission à un autre garçon ou à une fille.

 

TLM : Pourquoi la couverture vaccinale est-elle insuffisante en France ?

Dr Joseph Monsonego : La couverture vaccinale chez les filles est de l’ordre de 35% de la population cible ; pour les garçons, elle se situe à moins de 15%. C’est totalement insuffisant. Chez certains de nos voisins européens, la couverture vaccinale atteint 80%. Peut-être faudrait-il aller vers une forme d’obligation vaccinale… Ou développer des programmes de vaccination en milieu scolaire. Ou encore faire passer l’âge de la vaccination à neuf ans pour que le pédiatre, qui voit régulièrement les enfants, puisse effectuer ce vaccin. Soulignons que, pour simplifier l’accès au vaccin et améliorer la couverture vaccinale, les pharmaciens ont aujourd’hui le droit d’administrer le vaccin HPV aux populations cibles et pourront bientôt le prescrire.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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