• Dr Jean-Pierre Lepargneur:Mycoses et vaginoses les postbiotiques préférés aux probiotiques

Jean-Pierre Lepargneur

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 13/10/2022


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Les probiotiques vaginaux, interdits dans le traitement des mycoses et vaginoses bactériennes depuis fin 2021 par une directive européenne, devraient laisser la place à des postbiotiques, indique le Dr Jean-Pierre Lepargneur, biologiste médical, ex-directeur du laboratoire Cedibio (Toulouse).

 

TLM : Contracter une mycose ou une vaginose bactérienne semble une expérience quasi incontournable pour une femme...

Dr Jean-Pierre Lepargneur : Probable, mais certainement pas incontournable ! Ces infections sont en effet fréquentes, avec une prévalence européenne d’environ 10 % pour la vaginose et 66% pour la vaginite candidosique. Elles touchent essentiellement les femmes fertiles et actives sur le plan sexuel, épargnant généralement les jeunes filles prépubères et les femmes ménopausées. Si la candidose est un problème à forte dépendance hormonale, la vaginose résulte surtout d’une dysbiose vaginale ; dans les deux cas, il existe un terrain génétique et immunitaire défavorable.

 

TLM : Comment s’explique la survenue de ces infections sur le plan microbiologique ?

Dr Jean-Pierre Lepargneur : Un microbiote vaginal équilibré est essentiellement composé de lactobacilles et de quelques bifidobactéries, qui forment un biofilm protecteur à la surface de l’épithélium vaginal. Cette protection est complétée par une panoplie sophistiquée de mécanismes : production d’acide lactique pour maintenir un pH entre 3,8 et 4,5 conférant un environnement très inhospitalier à bon nombre de germes, production de peroxyde d’hydrogène antiseptique, production de bactériocines (protéines antimicrobiennes) et de biosurfactants... Dans la vaginose bactérienne, ce microbiote sain est remplacé qualitativement et quantitativement par une flore anaérobie associée à Gardnerella vaginalis qui forme un biofilm doté d’une forte activité cytotoxique. Et dans la mycose, c’est la levure Candida —le plus souvent albicans— qui prolifère.

 

TLM : Pourquoi certaines femmes sont-elles plus sujettes que d’autres à ces infections génitales ?

Dr Jean-Pierre Lepargneur : Une prédisposition génétique dont on ignore la nature exacte, un dérèglement hormonal, comme lors d’une grossesse, certains comportements sexuels (multiplication des partenaires, relations homosexuelles), certaines pratiques inappropriées (utilisation de produits de toilette intime trop agressifs, douches vaginales)... Mais le principal facteur de dysbiose du microbiote vaginal reste la prise d’antibiotiques. Ceux-ci détruisent non seulement les bactéries pathogènes contre lesquelles ils ont été prescrits, mais aussi les lactobacilles du tractus génital, provoquant un déséquilibre majeur du microbiote vaginal. Fumer et prendre des traitements hormonaux perturbent également la flore et peuvent expliquer un surrisque infectieux.

 

TLM : Pourrions-nous rappeler le tableau clinique de ces infections et les complications auxquelles elles exposent...

Dr Jean-Pierre Lepargneur : La vaginose bactérienne se manifeste par une odeur dite « de poisson pourri » très caractéristique qui la distingue des autres infections vaginales, ainsi que par des leucorrhées blanches-grisâtres et un pH supérieur à 4,5. Aucune douleur, inflammation ou rougeur ne permet d’alerter les femmes qui en sont victimes. Cette infection peut, par conséquent, passer inaperçue et expose alors à diverses complications : prématurité et avortement spontané en cas de grossesse, augmentation du risque de contracter des maladies sexuellement transmissibles (infections à gonorrhées, chlamydioses, infections par le VIH et le papillomavirus...) La mycose, en revanche, est fortement symptomatique, provoquant un érythème, un prurit, des brûlures et des pertes importantes. Une femme peut difficilement l’ignorer, ce qui lui permet d’être rapidement prise en charge ; de fait, on ignore les complications éventuelles de la mycose en l’absence de traitement...

 

TLM : Comment pose-t-on le diagnostic de ces infections ?

Dr Jean-Pierre Lepargneur : La plupart du temps, l’examen clinique et l’interrogatoire de la patiente suffisent. Certains cas plus compliqués associant plusieurs infections vaginales (vaginose associée à une infection à gonocoques ou à une chlamydiose par exemple), nécessitent l’examen microscopique d’un frottis vaginal afin de déterminer le score de Nugent. C’est actuellement le « gold standard » du diagnostic de la vaginose. Je déconseille en revanche les autotests qui indiquent seulement la présence d’une candidose mais pas celle d’une infection associée, et qui peuvent ainsi retarder la prise en charge des patientes.

 

TLM : Quels sont les traitements recommandés ?

Dr Jean-Pierre Lepargneur : Le traitement standard de la vaginose reste l’antibiothérapie —la clindamycine aux États-Unis, le métronidazole en France— prescrit per os pendant trois jours (traitement flash), sept jours ou sept jours assortie d’un rappel 15 jours après. C’est un traitement relativement efficace sur le plan symptomatique mais il n’empêche pas les récidives, dont le taux s’élève à plus de 50% dans les six mois. Jusqu’à peu, on prescrivait des probiotiques en complément mais, depuis mai 2021, une recommandation européenne interdit le recours à ces produits en raison du risque d’infections associé à l’introduction de bactéries vivantes. Pas question, pour autant, d’écarter cette approche qui vise à rééquilibrer le microbiote vaginal ; les probiotiques devraient donc être remplacés par des postbiotiques qui correspondent à des probiotiques inactivés sous l’effet de la chaleur (tyndallisation, pasteurisation). Les premiers postbiotiques devraient arriver très prochainement sur le marché. La prescription de prébiotiques reste également intéressante car certains de ces sucres (oligosaccharides) favorisent la croissance des lactobacilles au détriment de Gardnerella et de Candida albicans.

L’application d’estrogènes locaux dans la vaginose a, par ailleurs, sa place chez les femmes qui en présentent un taux très bas dont on sait qu’il est associé à un déséquilibre du microbiote vaginal.

Le traitement de la mycose repose, quant à lui, sur l’administration d’antifongiques (azolés). S’ils entraînent eux aussi une dysbiose vaginale, ces médicaments ne détruisent cependant pas les lactobacilles. Là encore, la prise de postbiotiques semble pertinente puisque, selon une étude, elle diminue de façon importante les récidives. La solution préconisée par ses auteurs est donc de faire suivre le traitement antifongique par la prise de postbiotiques et de renouveler leur prise à chaque cycle après les règles pour prévenir les rechutes.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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