• Dr Isabelle Bossé : L’injection d’adrénaline traitement d’urgence du choc anaphylactique

Isabelle Bossé

Discipline : Allergologie

Date : 13/10/2022


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Le choc anaphylactique est la manifestation allergique la plus grave. 1% de ces chocs entraînent le décès. L’injection d’adrénaline est dans la grande majorité des cas le traitement à en urgence. Tour d’horizon des symptômes et de la prise en charge avec le Dr Isabelle Bossé, allergologue à La Rochelle, présidente du SYFAL (Syndicat français des allergologues).

 

TLM : Le choc anaphylactique est une urgence absolue. Comment le prendre en charge ?

Dr Isabelle Bossé : Le choc anaphylactique est une réaction d’hypersensibilité systémique, généralisée, grave, susceptible d’entraîner un arrêt cardiorespiratoire et donc le décès. Les symptômes sont extrêmement variés : respiratoires (asthme), cutanés (urticaire diffuse, œdème de Quincke...), digestifs (vomissements, maux de ventre), neurologiques (syncope…), cardiaques (palpitations, hypotension, arrêt cardiorespiratoire…). La prise en charge dépend du stade. Au premier stade, les symptômes sont mineurs et peuvent être calmés par une simple prise d’antihistaminiques. Dans les autres cas, le traitement clef, c’est l’adrénaline.

 

TLM : Si on injecte de l’adrénaline alors que la personne n’était pas en état de choc, est-ce grave ?

Dr Isabelle Bossé : Cela peut provoquer une tachycardie et une élévation transitoire de la tension mais ce n’est pas dramatique. Il existe des contre-indications à l’adrénaline, dans le cadre de certaines pathologies cardiaques sévères. Toutefois, même chez ces patients, si on est face à un choc au stade 3 ou 4, on injecte, car le rapport bénéfice/risque de l’adrénaline reste favorable ! Il en est de même pour les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées et fragiles. C’est d’ailleurs un message clef à transmettre : l’adrénaline n’est pas dangereuse ; mieux vaut une injection pour rien que voir décéder un patient parce qu’on a hésité à le traiter ou parce qu’on l’a traité trop tardivement.

 

TLM : Dans quel délai convient-il de réaliser cette injection ?

Dr Isabelle Bossé : Dès qu’on a la suspicion d’un choc, on réalise l’injection et ensuite seulement on appelle les secours. Trop souvent, on perd un temps précieux à appeler les secours. Dix minutes de perdues, c’est déjà long ! Et pendant ce temps le patient s’aggrave. La Société française de médecine d’urgence a édité en 2016 des recommandations qui vont dans ce sens.

 

TLM : Ces injections sont-elles faciles à réaliser ? Le médecin doit-il les expliquer au patient ?

Dr Isabelle Bossé : Il faut une petite éducation du patient (ou des proches), d’une part pour « oser » se servir du stylo (les gens ont souvent peur des piqûres, d’autre part pour faire l’injection dans les meilleures conditions. Quand je prescris un stylo à un patient, je prends le temps de lui expliquer le fonctionnement du dispositif. Je demande explicitement au patient d’acheter le stylo que je lui ai prescrit et pas un autre. En effet, chaque stylo a son mécanisme d’action ; si le patient s’est entraîné sur un modèle et que le pharmacien lui en livre un autre, il peut être perdu. Il existe quatre stylos injecteurs sur le marché. Tout est fait pour que l’injection soit la plus simple possible. On enlève le capuchon, on place le stylo à 90° sur la face latérale de la cuisse et, selon le modèle de stylo, on appuie sur le bouton ou on enfonce l’aiguille. Il faut ensuite attendre dix secondes avant de retirer le stylo, afin que le produit ait le temps de diffuser. C’est vraiment un geste que tout le monde peut réaliser.

 

TLM : Ces patients « à risque de choc anaphylactique », qui sont-ils ?

Dr Isabelle Bossé : Souvent ce sont des patients qui ont déjà fait une réaction allergique sévère. En général le choc anaphylactique inaugural (le premier) est d’intensité modérée. L’organisme arrive à mobiliser en urgence ses réserves d’adrénaline, de noradrénaline et de cortisol et à stopper seul la réaction.

Mais le choc suivant est beaucoup plus intense. Et là, si le patient n’a pas d’adrénaline à sa portée, il risque de ne pas s’en sortir. Parfois malheureusement, le choc anaphylactique inaugural est d’emblée sévère et le patient n’a pas été identifié au préalable comme sujet à risque. Heureusement ces cas sont rares.

 

TLM : Quels sont les allergènes les plus souvent en cause ?

Dr Isabelle Bossé : Chez l’enfant ce sont surtout des allergènes alimentaires en particulier le lait (vache, brebis, chèvre), la cacahuète, la noix de cajou, les crustacés…

Chez l’adulte, on retrouve des allergies alimentaires, des allergies au venin d’hyménoptères et des allergies aux médicaments. Il existe également des cofacteurs susceptibles d’augmenter les risques : stress, âge, alcool, pathologie sous-jacente, prise d’AINS… Les conditions extrêmes (grand froid, canicule), favorisent la survenue d’un choc. La grande fatigue aussi ; on observe ainsi des personnes qui, au sortir d’une contamination Covid, vont être victimes d’un choc anaphylactique après une piqûre de guêpe, alors qu’elles n’avaient jamais fait de réaction allergique grave auparavant.

 

TLM : Ces chocs surviennent-ils toujours chez des personnes qui se savent allergiques ?

Dr Isabelle Bossé : Le plus souvent oui, mais pas toujours. Pour les chocs au venin d’hyménoptère on retrouve ainsi des hommes de plus de 50 ans, qui n’ont pas un profil atopique. Les raisons de la survenue de chocs chez ces patients ne sont pas totalement élucidées.

 

TLM : Si une personne fait un choc en pleine rue sans avoir de stylo injecteur à sa portée, peut-elle en obtenir en urgence en pharmacie ?

Dr Isabelle Bossé : Le pharmacien est habilité à délivrer en urgence, sans ordonnance, certains produits comme la Ventoline en cas de crise d’asthme sévère ou un stylo injecteur en cas de choc.

 

TLM : Si, après une première injection, le choc ne se résorbe pas peut-on réaliser une seconde injection ?

Dr Isabelle Bossé : C’est même indiqué. D’ailleurs les stylos sont vendus par deux. Il existe trois dosages, 0,15 pour les enfants de moins de 15 kilos, 0,3 pour les jeunes entre 15 et 30 kilos, et 0,5 au-delà. Quand un patient pèse 90 kilos, deux doses peuvent être d’emblée nécessaires. Les patients doivent toujours avoir leur kit sur eux. Ces stylos sont renouvelés tous les ans.

 

TLM : Tous les patients allergiques devraient-ils avoir un kit sur eux ?

Dr Isabelle Bossé : Non, assurément. L’immense majorité des allergiques (aux acariens, aux pollens…) n’ont absolument aucune raison d’avoir un stylo sur eux.

Je prescris ces dispositifs uniquement aux personnes ayant déjà fait un choc ou à celles qui, sans avoir fait de choc, ont déjà eu une réaction allergique sévère.

Propos recueillis

par Cendrine Barruyer-Latimier

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