Dr Hugues Piloquet : Les folates, composants essentiels du lait maternel et infantile
Discipline : Pédiatrie
Date : 10/01/2024
Selon les recommandations européennes, la supplémentation en acide folique chez la future mère doit être initiée trois mois avant la conception, rappelle le Dr Hugues Piloquet, chef du service de Pédiatrie au CHU de Nantes.
En cas de carence en folates (vitamine B9), les risques de malformations chez le bébé sont avérés.
TLM : Quelles sont les conséquences d’une carence en folates ?
Dr Hugues Piloquet : L’acide folique est une vitamine hydrosoluble du groupe B.
L’acide folique (forme synthétique) est présent dans les aliments sous forme de folates (forme naturelle). Les folates sont des vitamines importantes dans la synthèse et la réparation de l’ADN, même si les situations de carence totale sont rares. En revanche, on sait aujourd’hui de manière incontestable que lorsqu’une femme enceinte est carencée en folates depuis la conception, le bébé a un risque accru de naître avec une anomalie du tube neural (ATN), spina bifida ou autres malformations cérébrales (période cruciale entre la troisième et la quatrième semaine de gestation). En pratique, l’apport systématique d’acide folique aux femmes enceintes, quand il est initié avant la conception, prévient efficacement le risque d’ATN. Aujourd’hui, selon les recommandations internationales, la supplémentation en acide folique doit être débutée trois mois avant la conception, à la dose de 400 à 600 microgrammes par jour.
Mais, en réalité, ce qui est essentiel c’est de commencer la supplémentation avant même la conception et de la poursuivre pendant tout le premier trimestre de gestation. Les recommandations concernant cette supplémentation au deuxième et au troisième trimestre de la grossesse varient selon les pays. Grâce au battage médiatique sur ce sujet, beaucoup de femmes savent cependant qu’il est recommandé de prendre de l’acide folique dès qu’elles souhaitent être enceintes.
TLM : L’acide folique ou vitamine B9 et les folates sont-ils similaires ?
Dr Hugues Piloquet : Ces substances sont apparentées mais leurs structures chimiques et leur origine sont différentes. L’acide folique est la forme synthétique stable et oxydée de la vitamine B9, les folates alimentaires représentent un pool de molécules naturelles, hydrosolubles réduites et instables (polyglutamates).
L’acide folique a longtemps été préféré en nutrition humaine.
TLM : Pourquoi est-il si important de s’assurer ensuite que le bébé et le nourrisson ne soient pas carencés en folates ?
Dr Hugues Piloquet : Les folates sont impliqués dans tous les processus cellulaires de l’organisme. Ils jouent un rôle important au niveau de la méthylation de l’ADN et de l’ARN. En cas de carence, toutes les cellules sont impactées. L’acide folique intervient dans tous les mécanismes épigénomiques. La carence en folates est également associée à une anémie typiquement normocytaire. Les symptômes d’une carence en folates chez le nourrisson et l’enfant ne sont cependant pas évidents à identifier. Faire ce diagnostic n’est pas simple non plus. Le dosage des folates dans le sang correspond aux apports récents en folates. Une prise de sang, à un moment donné, ne reflète qu’une vision instantanée de l’imprégnation en folates. Le dosage des folates intra-érythrocytaires (dans les globules rouges) est une meilleure représentation des réserves en folates et des apports à plus long terme. Ce dosage réservé à la recherche clinique n’est pas disponible en pratique médicale courante. Les particularités du dosage des folates sanguins expliquent probablement les difficultés de diagnostic de carence. Du fait de l’importance du rôle de l’acide folique dans les fonctions cellulaires de l’organisme, il est important que les enfants reçoivent de l’acide folique dès la naissance.
TLM : Les folates passent-ils dans le lait maternel pendant l’allaitement ?
Dr Hugues Piloquet : Après l’accouchement, le passage des folates dans le lait maternel est très sécurisé. L’allaitement maternel est une source sûre de folates pour les bébés. En cas de carence maternelle, il peut y avoir des conséquences pour le bébé. A ce titre, la majorité des nouveau-nés prématurés sont supplémentés en acide folique pendant plusieurs mois. La diversification alimentaire permet aussi d’augmenter les apports en folates (légumes feuilles, légumineuses, viande rouge).
TLM : Les laits infantiles sont-ils supplémentés en acide folique ?
Dr Hugues Piloquet : Il existe des recommandations internationales et européennes pour supplémenter les laits infantiles en acide folique. La règlementation est appliquée par les industriels de formules infantiles. Mais ce qui a changé récemment, c’est que l’on a compris que pour que l’acide folique soit physiologiquement actif, il doit passer par une phase de modification (réduction et méthylation). L’acide folique est facile à ajouter dans le lait infantile. Mais ce n’est pas une forme active. C’est sa transformation par une phase de méthylation qui le rendra actif. Depuis quelques années, la Commission européenne a autorisé l’utilisation de formes bioactives de folates (dérivés 5 MTHF-Ca, et 5 MTHF-glucosamine, méthyl-folate) Aujourd’hui, certains laits infantiles contiennent du méthyl-folate, une des formes actives de l’acide folique.
Beaucoup de recherches ont été effectuées par les industriels spécialisés dans l’alimentation infantile pour aboutir notamment à l’adjonction de folates actifs dans le lait infantile. Il a fallu des années avant de trouver des dérivés méthylés de l’acide folique plus stables et plus sécurisés. Aujourd’hui sont disponibles sur le marché des laits supplémentés en méthyl-folates qui garantissent l’apport en dérivés folates physiologiquement actifs. Des études réalisées par des fabricants ont mesuré le taux intra-érythrocytaire de folate chez des bébés nourris avec ces laits infantiles et le taux sanguin de folate. Ils ont montré que le taux intra-érythrocytaire de folate était plus élevé que le taux sanguin. Ce qui traduit la bonne biodisponibilité du méthyl-folate dans l’organisme des enfants.
TLM : Cette adjonction de méthyl-folate est-elle à même de rapprocher encore plus le lait infantile du lait maternel ?
Dr Hugues Piloquet : L’allaitement maternel est optimal, car il contient de nombreuses molécules actives et des cellules qu’il n’y a pas dans le lait infantile. Mais toutes les femmes ne peuvent ou ne veulent pas allaiter. Environ 65 % des mamans allaitent à la sortie de la clinique ou de la maternité. En France, ce taux chute de moitié après un mois d’allaitement. De nombreux bébés sont alors nourris avec des laits infantiles qui doivent assurer les besoins spécifiques des nourrissons. L’utilisation de dérivés folates biodisponibles contribue à l’amélioration des formules infantiles. La recherche scientifique ne cesse de découvrir de nouveaux composants riches et complexes du lait maternel et de tenter de les inclure dans les laits infantiles.
Propos recueillis
par le Dr Clara Berguig ■