Dr HUA : Infections bactériennes cutanées en médecine de ville
Discipline : Dermatologie
Date : 09/07/2020
INFECTIONS TRÈS COURANTES EN MÉDECINE DE VILLE, LES ABCÈS ET FURONCLES, L’IMPÉTIGO ET LA DERMO-HYPODERMITE BACTÉRIENNE NON NÉCROSANTE (DBHNN) N’EN NÉCESSITENT PAS MOINS UN DIAGNOSTIC ET UNE PRISE EN CHARGE PRÉCIS. LE DR CAMILLE HUA (PHOTO), DU SERVICE DE DERMATOLOGIE DU CHU HENRI MONDOR DE CRÉTEIL, FAIT LE POINT DES DERNIÈRES RECOMMANDATIONS HAS PARUES EN 2019*
TLM : Quelles sont les principales infections bactériennes cutanées observées en médecine de ville?
Dr Camille Hua : Les plus courantes sont les abcès, les furoncles, l’impétigo et la dermo-hypodermite bactérienne non nécrosante (DBHNN), anciennement appelée érysipèle. Il n’existe pas de données épidémiologiques récentes sur ces pathologies hormis pour la DBHNN dont l’incidence se situe entre 10 et 100 cas pour 100 000 habitants. Les abcès, pour la plupart, les furoncles et l’impétigo sont la conséquence d’une infection par le staphylocoque doré, ce qui les distinguent de la DBHNN, majoritairement causée par le streptocoque b-hémolytique du groupe A.
TLM : Quelle démarche diagnostique, quels bilans devant ce type d’infection?
Dr Camille Hua : Ces affections, tant qu’elles ne sont pas compliquées, n’imposent pas de bilan particulier. Le diagnostic est essentiellement clinique. Le furoncle est une infection du follicule pilosébacée profonde et nécrosante. Il se manifeste par une papule ou un nodule très inflammatoire, douloureux. L’abcès se caractérise par un nodule inflammatoire douloureux, de consistance liquidienne. L’impétigo sera évoqué devant des lésions vésiculo-bulleuses, pustuleuses avec formation secondaire de croûtes méllicériques de topographie péri-orificielle. Il concerne surtout l’enfant mais peut compliquer certaines dermatoses prurigineuses de l’adulte (pédiculose, gale, eczéma). La DBHNN se caractérise par sa survenue brutale avec un tableau clinique de « grosse jambe rouge » douloureuse unilatéral, associée à une fièvre et/ou des frissons.
Il conviendra de rechercher la porte d’entrée, le plus souvent un intertrigo inter-orteils. Le prélèvement bactériologique par écouvillon des lésions est indiqué : dans les formes compliquées d’impétigo (ecthyma, atteinte >2% de la surface corporelle, > 6 lésions ou présence de signes généraux), pour les furoncles compliqués (anthrax : agglomérat de furoncle, furonculose, abcédation secondaire ou dermo-hypodermite péri-lésionnelle) et dans les abcès.
TLM: Quels sont les caractères de gravité de ces infections ?
Dr Camille Hua : Pour la DBHNN, il existe une liste de critères devant conduire à l’hospitalisation : obésité morbide (IMC >40), signes de gravité locaux (nécrose, zones livédoïdes, crépitations sous-cutanées, hypoesthésie, douleur intense/disproportionnée) ou généraux (sepsis), sujets âgés polypathologiques, risque de décompensation de comorbidité et enfants < 1 an. Les principales complications sont les récidives à distance (30% de cas), l’abcédation secondaire, et les décompensations de comorbidités. Devant la présence de signes de gravité locaux ou généraux il faut suspecter une forme nécrosante (fasciite nécrosante) et adresser le patient en urgence dans un centre hospitalier spécialisé pour une prise en charge médico-chirurgicale.
TLM : Et leurs modalités de prise en charge ?
Dr Camille Hua : L’abcès nécessite un traitement chirurgical et médical. L’incision permettra le drainage du pus et sera associée à une antibiothérapie par voie orale pendant 5 jours (clindamycine 600 mg en 3 ou 4 prises ou pristinamycine 1 g en 3 prises). Le furoncle non compliqué ne constitue pas une indication à l’antibiothérapie locale ni générale. Une incision pour libérer le bourbillon peut s’avérer nécessaire. Le traitement repose uniquement sur des mesures d’hygiène (lavage doux biquotidien à l’eau et au savon) avec protection de la lésion par un pansement. En cas de formes compliquées de furoncles, une antibiothérapie par voie orale, selon les mêmes modalités que pour l’abcès, est recommandée. En cas de furonculose (répétition de furoncles pendant plusieurs mois), une décontamination des gîtes staphylococciques par le spécialiste est à envisager (nez, gorge, anus, périnée). Pour l’impétigo, le traitement repose sur des mesures d’hygiène avec lavage biquotidien à l’eau et au
savon des zones infectées et les lésions devront, si possible, être protégées par un pansement. Si elles ne peuvent l’être, l’éviction de la collectivité sera recommandée trois jours après le début du traitement en raison de la contagiosité. Les formes non graves et peu étendues seront traitées par antibiothérapie locale par mupirocine 2 à 3 fois/j pendant 5 jours. Les formes étendues le seront par voie générale pendant sept jours (pristinamycine chez l’adulte et amoxicilline/acide clavulanique chez l’enfant). Pour la DBHNN, on préconise le repos au lit avec surélévation du membre inférieur puis le port de bas de contention pendant au minimum un mois pour limiter le lymphœdème séquellaire, qui constitue un facteur majeur de récidive. Le traitement est systémique, par amoxicilline à la dose de 50 mg/kg/j (maximum 6g/j per os) pendant 7 jours ; l’adaptation au poids étant essentielle pour la réussite du traitement. En cas d’allergie aux b-lactamines, on privilégiera la pristinamycine ou la clindamycine. Le patient sera réévalué à 48-72h pour s’assurer de la bonne évolution clinique (apyrexie, diminution des signes inflammatoires locaux). Il faut enfin traiter la porte d’entrée systématiquement pour éviter les récidives et, s’il s’agit d’une plaie, vérifier la mise à jour de la vaccination antitétanique.
TLM : Sur quels messages insisteriez-vous concernant ces pathologies ?
Dr Camille Hua : La première chose à rappeler est la contre-indication formelle des AINS, que ce soit par voie topique ou générale, dans ces infections cutanées bactériennes (alerte ANSM mai 2020). La seconde tient à l’association d’une antibiothérapie locale au traitement par voie générale. Elle est inutile au plan individuel et néfaste au plan collectif, en favorisant l’émergence de souches résistantes. Ces messages, issus des dernières recommandations de la HAS datant de 2019, sont régulièrement repris lors des formations proposées aux généralistes sur ces infections extrêmement courantes. Enfin, les durées d’antibiothérapies, lorsqu’elles sont justifiées dans ces infections bactériennes, ont été raccourcies et doivent être respectées.
Propos recueillis par Laurent Tiphaine
*www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-03/fiche_de_synthese_infections_cutanees_mel.pdf