• Dr Guillaume Pouessel : Anaphylaxie en milieu scolaire mode d’emploi

Guillaume Pouessel

Discipline : Allergologie

Date : 18/04/2023


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Dans le cadre du Projet d’accueil individualisé (PAI), le législateur a prévu la possibilité qu’une injection d’urgence d’adrénaline puisse être pratiquée par tout membre du personnel scolaire en charge de l’enfant souffrant d’anaphylaxie. Les explications du Dr Guillaume Pouessel, pédiatre allergologue au CHU de Lille, CH de Roubaix.

 

TLM : La fréquence des anaphylaxies graves a-t-elle augmenté ces dernières années ?

Dr Guillaume Pouessel : Si, concernant l’allergie en général, nous manquons de données au plan national, nous savons qu’il y a de plus en plus de cas d’anaphylaxie chez les jeunes enfants, et de plus en plus d’anaphylaxie sévère notamment alimentaire. En Europe, la prévalence de l’allergie alimentaire chez les enfants est estimée entre 6 et 8%. Les réactions d’anaphylaxie sévères sont de plus en plus fréquentes dans tous les pays industrialisés, survenant en milieu scolaire dans 10 à 20 % des cas. En France, le Réseau d’allergovigilance (RAV), réseau francophone de 350 allergologues, a recensé, entre 2005 et 2017, 105 cas d’anaphylaxie alimentaire en milieu scolaire, dont quatre décès, sachant que ces données ne sont pas exhaustives. Les allergènes en cause étaient principalement l’arachide, le lait de chèvre/brebis, le soja, le kiwi, mais aussi une multitude d’autres aliments.

 

TLM : Quels signes doivent faire envisager une anaphylaxie sévère d’origine alimentaire ?

Dr Guillaume Pouessel : Il s’agit d’une urgence définie sur des signes cliniques précis d’apparition rapide, qui peuvent être respiratoires, cutanés, digestifs, neurologiques ou vasculaires. Il peut s’agir de troubles respiratoires, avec gêne laryngée, bronchospasme, toux ; de troubles cutanés, avec urticaire ou érythème ou encore angio-œdème des muqueuses ; de crampes abdominales brutales ; ou encore d’une diminution de la tension artérielle, de syncope, d’hypotonie. Chez les bébés, cette anaphylaxie peut se manifester par une perte de tonus, des lipothymies, une perte de connaissance, des pleurs inhabituels. Tous ces signes ne surviennent pas en même temps, mais l’association de deux d’entre eux doit faire évoquer ce diagnostic, par exemple des troubles respiratoires associés à des signes cutanés. Chez des patients ayant une allergie connue, par exemple à l’arachide, l’apparition d’un seul signe, comme un bronchospasme, suffit à évoquer le diagnostic.

 

TLM : Quels sont les allergènes le plus souvent impliqués dans cette anaphylaxie ?

Dr Guillaume Pouessel : De manière générale, les anaphylaxies d’origine alimentaire sont plus fréquentes chez les enfants, celles liées aux médicaments et aux hyménoptères touchent plus volontiers les adolescents et les adultes. La réaction anaphylactique survient en moyenne de quelques minutes à quelques heures après l’ingestion de l’aliment allergisant.

 

TLM : Comment évaluer la gravité de cette réaction anaphylactique ?

Dr Guillaume Pouessel : Il peut s’agit d’une réaction allergique relativement banale ou d’un choc pouvant aller jusqu’au décès. Quatre grades de gravité ont été définis par la World Allergy Organisation. Le grade 1, c’est une réaction légère, avec des symptômes cutanés (érythème, urticaire, œdème) ; le grade 2 une atteinte modérée avec tachycardie, toux, dyspnée… ; le grade 3 se caractérise par une tachycardie ou une bradycardie, un bronchospasme, un collapsus cardiovasculaire ; enfin, le grade 4, c’est l’arrêt cardio-respiratoire. L’injection d’adrénaline doit être pratiquée dès l’apparition des symptômes et à partir du grade 2.

 

TLM : Comment le projet d’accueil individualisé (PAI) permet-il de prendre en charge les enfants souffrant d’anaphylaxie en milieu scolaire ?

Dr Guillaume Pouessel : L’accueil en crèche, à l’école, en centre aéré ou autre, d’enfants présentant une allergie alimentaire nécessite la mise en place d’un projet d’accueil individualisé (PAI). Ce PAI a pour objectif d’identifier les enfants à risque, d’empêcher pour ces enfants l’exposition à l’allergène en cause et vise aussi à mettre à disposition du personnel scolaire, préalablement formé, une trousse d’urgence avec des auto-injecteurs d’adrénaline. Dans le cadre du PAI, un document très précis doit être rempli à la demande de la famille par le médecin allergologue, qui définit la nature de l’allergie, sa gravité et la conduite à tenir. Ce document est transmis au médecin de l’Education nationale et au directeur de l’établissement où l’enfant est scolarisé, qu’il s’agisse de la crèche, de l’école maternelle ou primaire, du collège ou du lycée. Les professeurs en charge de l’enfant détiennent aussi une copie de ce document, ainsi qu’une fiche sur la conduite à tenir en cas de manifestations d’allergie, dont la description est très précise.

 

TLM : Concrètement, comment doit agir le personnel ?

Dr Guillaume Pouessel : Lorsque les symptômes tels que définis dans le document du PAI se produisent chez un enfant, le personnel doit utiliser la trousse d’urgence que l’enfant porte sur lui ou qui est conserveé par le personnel scolaire. Il s’agit d’un auto-injecteur d’adrénaline à injecter en intramusculaire, au milieu de la cuisse. Cette injection peut être pratiquée par l’infirmière, le professeur, un membre de l’administration ou l’enfant lui-même, selon les cas. L’injection peut être réalisée en urgence par tout membre du personnel qui entoure l’enfant. Le législateur a prévu cette possibilité. Cet auto-injecteur d’adrénaline est extrêmement simple à utiliser. Il existe plusieurs dosages adaptés au poids et à l’âge de l’enfant. Notons qu’il n’y a aucune contre-indication et que les éventuels effets secondaires (tremblements, maux de tête…) sont mineurs et transitoires. Les effets bénéfiques du traitement apparaissent très vite, en quelques minutes. Cette injection fait régresser les symptômes dans plus de 90 % des cas. Une deuxième injection est éventuellement nécessaire 5 à 10 minutes après la première si les symptômes persistent.

 

TLM : Combien d’enfants bénéficient-ils de projet d’accueil personnalisé pour une anaphylaxie ?

Dr Guillaume Pouessel : Sur l’ensemble de la France, 50 000 enfants bénéficient d’un PAI pour un problème d’allergie. Nous travaillons actuellement avec nos collègues de l’Education nationale pour mettre en place une enquête nationale et évaluer le dispositif. Dans le cadre des PAI, notre groupe de travail « Allergie en milieu scolaire » de la Société française d’allergologie effectue en permanence un travail de formation du personnel scolaire, infirmières, instituteurs, professeurs, personnel de restauration… Mais, globalement, nous savons que des progrès sont encore possibles.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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