• Dr GATINEL : Tous myopes demain ? Sauf si...

Damien GATINEL

Discipline : Ophtalmologie

Date : 11/07/2022


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La prévalence de la myopie ne cesse d’augmenter dans les pays industrialisés.

Pour éviter des complications à l’âge adulte, il convient de dépister et de traiter la myopie le plus tôt possible chez l’enfant. Les conseils du Dr Damien Gatinel, ophtalmologiste à l’hôpital Fondation Rothschild à Paris, pour assurer la meilleure prise en charge des patients myopes.

 

TLM : Serons-nous tous myopes demain ?

Dr Damien Gatinel : Ce qui est certain c’est que la prévalence de la myopie a considérablement augmenté ces dernières années... et qu’elle continue de le faire. En France, plus de quatre personnes sur dix sont myopes. La myopie concerne 20 % des enfants de 0 à 18 ans. En Corée du Sud, c’est toute une génération qui est myope puisque 95 % des jeunes de 18 ans souffrent de cette pathologie. Si les courbes actuelles de l’incidence de la myopie ne s’infléchissent pas, près de la moitié de la population mondiale souffrira de myopie en 2050 contre 23% en 2000.

La myopie constitue un défi de santé publique qui requiert la vigilance des professionnels de santé et du monde de l’optique.

 

TLM : Comment peut-on expliquer l’augmentation de la prévalence de la myopie ?

Dr Damien Gatinel : La myopie s’explique par de nombreux facteurs. Les facteurs génétiques ont une part de responsabilité, mais, aujourd’hui, le vrai changement est comportemental. Les enfants ne passent plus assez de temps dehors : lorsqu’ils rentrent de l’école, ils jouent sur des écrans et sollicitent trop leur vision de près. Il faut favoriser la lumière du jour en passant au moins trente minutes par jour dehors (idéalement entre une heure et deux heures), maintenir une distance de trente centimètres a minima avec les écrans ou les livres. Il y a d’ailleurs assez peu de myopes chez les grands sportifs qui ont débuté tôt leur entraînement et passé du temps en extérieur sans forte sollicitation de la vision de près. Pour réduire la myopie, c’est tout un changement civilisationnel qui devrait être mis en œuvre, mais l’histoire ne va pas en ce sens. Alors, dans le contexte actuel, il importe de dépister la myopie le plus tôt possible pour pouvoir la traiter précocement.

 

TLM : Quels enseignements apporte l’étude dirigée par le Pr Nicolas Leveziel sur l’appréhension de la myopie et son évolution* ?

Dr Damien Gatinel : L’étude épidémiologique réalisée en partenariat avec le CHU de Poitiers et KRYS GROUP, qui a permis de suivre plus de 100 000 enfants sur plusieurs années, prouve que l’âge constitue un facteur déterminant dans la progression de la myopie chez l’enfant. Freiner la myopie permet d’éviter aux enfants des difficultés d’apprentissage, voire un décrochage scolaire, mais aussi des complications à l’âge adulte comme les maculopathies, cataractes, glaucomes, décollements de la rétine ou néovaisseaux rétiniens pouvant déboucher sur une cécité.

 

TLM : Quel est le rôle des médecins généralistes et des pédiatres ?

Dr Damien Gatinel : Les médecins généralistes et les pédiatres constituent le premier maillon de la chaîne. Ils peuvent réaliser des tests d’acuité visuelle sur les enfants, dès six mois. Il leur revient d’interroger les parents sur les comportements de l’enfant : plisse-t-il les yeux ? Évoque-t-il des difficultés à regarder le tableau ?

Le strabisme constitue également un signe d’alerte. C’est surtout vers six ans, lorsque les enfants rentrent au CP, que le diagnostic est posé. En cas de doute ou lorsqu’au moins un des parents est myope, l’enfant doit consulter un ophtalmologiste qui réalise un examen permettant d’obtenir des mesures objectives. L’idéal est de réaliser un bilan chaque année, pourtant certains enfants ne consultent jamais d’ophtalmologiste.

 

TLM : Une fois le diagnostic de la myopie posé, quels sont les traitements ?

Dr Damien Gatinel : Le traitement de la myopie a été révolutionné ces dernières années grâce à l’action conjuguée des industriels et des professionnels de santé. Malheureusement, ces avancées ne sont pas encore assez connues, ce qui explique qu’elles ne sont pas systématiquement prescrites aux enfants. La formation médicale continue joue un rôle essentiel, en permettant aux professionnels de santé de se tenir informés des recommandations et des techniques. Chaque dioptrie gagnée constitue une avancée au niveau de la qualité de vie des enfants. Il existe quatre familles de traitement. Sélectionnées en fonction de l’âge de l’enfant, du mode de vie et des attentes de la famille, elles peuvent être combinées entre elles.

Les lentilles souples favorisent la défocalisation myopique grâce à leur forme spécifiquement étudiée. Depuis 2020, les opticiens proposent aussi des verres frénateurs de myopie comme ceux d’Essilor ou d’Hoya permettant aux rayons périphériques d’arriver en avant de la rétine. L’œil ne s’allonge donc pas, ce qui corrige la défocalisation périphérique hypermétrope. Il est aussi possible de ne rien porter en journée et de s’équiper, durant la nuit, de lentilles d’orthokératologie, des lentilles rigides qui contribuent à remodeler la cornée pendant le sommeil. Ces innovations étant récentes, nous ne disposons pas de beaucoup de recul, mais elles ont donné des résultats significatifs lorsqu’elles ont été testées chez les animaux, principalement des poulets et des singes. Enfin, les ophtalmologistes prescrivent aussi de l’atropine en collyre, à raison d’une goutte par jour, mais il semble que celle-ci perde son efficacité lors de l’arrêt de l’administration. Il existe donc des traitements différents qui permettent de freiner la myopie et de préserver les yeux des enfants. Il serait dommage de s’en priver par méconnaissance

Propos recueillis

par Solène Penhoat

* Tricard D, et al. “Progression of Myopia in children and teenagers : a national wide longitudinal study”, British J of Opthalmology. Published Online First : 12 March 2021. doi : 10.1136/bjophtalmol-2020-318256

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