• Dr François Payot: Un hydrolysat poussé de protéines contre les allergies au lait de vache

François Payot

Discipline : Pédiatrie

Date : 13/10/2022


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« Attention, face à des symptômes digestifs chroniques chez le nourrisson, pensez à l’APLV (l’allergie aux protéines de lait de vache) et prescrivez un hydrolysat de protéines », conseille fortement le Dr François Payot, pneumologue pédiatrique et allergologue à Lyon, qui a participé à une étude en vie réelle dans ce domaine.

 

TLM : Vous venez de terminer une étude sur l’allergie aux protéines de lait de vache (APLV) chez le nourrisson. Pourquoi vous être intéressé à cette forme d’allergie ?

Dr François Payot : Parce que c’est l’allergie la plus fréquente à cet âge-là. On estime qu’elle touche à divers niveaux 3 à 4 % des enfants de moins de six ans (pour une prévalence totale des allergies évaluée à 6 à 8 % dans cette classe d’âge). En France les chiffres les plus récents proviennent d’une étude de cohorte publiée en 2021 qui conclut que 3,3% des jeunes enfants sont concernés.

 

TLM : Est-ce un phénomène stable ?

Dr François Payot : L’APLV aurait plutôt tendance à augmenter. Dans les faits il existe deux formes d’APLV. La forme classique, IgE médiée, est caractérisée par la présence d’anticorps (immunoglobulines) ; elle se manifeste par des signes faciles à identifier, qui surviennent dans les minutes suivant l’ingestion du biberon : urticaire, douleurs digestives, voire crise d’asthme ou choc anaphylactique. L’APLV IgE médiée apparaît chez le nouveau-né ou chez le nourrisson allaité au moment de son sevrage (dès le premier ou le second biberon). Cette forme d’APLV a une évolution naturellement favorable avec 50 à 70 % de guérison avant trois ans. L’autre forme (non IgE médiée) est plus difficile à diagnostiquer. Elle se manifeste par des signes peu spécifiques, surtout digestifs, susceptibles d’être confondus avec d’autres pathologies. Elle semble en augmentation mais c’est peut-être un biais observationnel car on s’intéresse de plus en plus à ces allergies et on les détecte donc mieux. Dans l’APLV non IgE médiée, les troubles digestifs sont prépondérants, qu’il s’agisse de diarrhées, de selles glaireuses ou sanglantes, parfois de constipations… Ce sont aussi des bébés qui pleurent beaucoup, qui dorment mal. Comme ces troubles sont chroniques, ils entraînent parfois une cassure de la croissance.

 

TLM : Peut-on confondre ces allergies avec d’autres troubles ?

Dr François Payot : Avec les autres pathologies gastro-intestinales comme évoqué précédemment. En ce qui concerne l’intolérance au lactose, les formes génétiques précoces sont rares et elle survient plutôt après un épisode de diarrhée virale. La prise d’un lait de vache sans lactose résout le problème, ce qui n’est pas le cas de l’APLV.

 

TLM : Et les régurgitations, sont-elles un signe d’APLV ?

Dr François Payot : Bien sûr ! Nous y sommes d’ailleurs de plus en plus attentifs. Aujourd’hui quand on observe des régurgitations et des vomissements, surtout douloureux chez un nourrisson, avant de se précipiter sur des médicaments de type IPP, on se pose en premier lieu la question d’une potentielle APLV.

 

TLM : Quelles formes d’allergies sont retrouvées en pédiatrie de ville ?

Dr François Payot : Sans surprise, les formes IgE médiées qui sont plus « bruyantes » se retrouvent plus souvent dans les services d’urgence. A l’inverse les formes traînantes, chroniques, non IgE médiées sont souvent diagnostiquées et traitées en ville.

 

TLM : De quels outils dispose le pédiatre de ville pour diagnostiquer ces allergies ?

Dr François Payot : On manque cruellement d’outils. Autant les allergies IgE médiées peuvent être facilement confirmées par des prick tests (injections dans la peau de quantités infinitésimales d’allergène qui vont provoquer dans les 15 minutes une réaction inflammatoire locale si le bébé est allergique) ou par un bilan biologique (recherche d’IgE spécifiques dans le sang), autant pour la seconde forme d’APLV seule la clinique et l’interrogatoire des parents peuvent nous alerter.

Dans ce cas, on réalise un test d’évictionréintroduction (éviction complète du lait pendant trois à quatre semaines suivie d’une réintroduction) pour confirmer le diagnostic. En cas d’amélioration des signes le test de réintroduction est important pour confirmer le diagnostic et ne pas poursuivre un régime non justifié.

 

TLM : Vous avez réalisé une étude sur des nourrissons suivis par un pédiatre de ville. Quels en sont les enseignements ?

Dr François Payot : Il s’agit de l’étude PepSy du nom d’un hydrolysat de protéines de lactosérum enrichi en symbiotiques (pré et probiotiques). Nous avons suivi 114 enfants porteurs de troubles digestifs, pour lesquels le pédiatre avait posé un diagnostic d’APLV. L’étude a démarré en 2021 et les dernières inclusions se sont faites à l’été 2022. Les parents se sont vu proposer de mettre leur bébé sous PEPTI-SYNEO. L’évolution de l’enfant était suivie sur un mois, par des questionnaire et des mesures anthropométriques (taille et poids). Des résultats partiels montrent une amélioration dans plus de 90% des cas. Les résultats définitifs seront publiés au printemps.

 

TLM : En quoi ce résultat est-il innovant ?

Dr François Payot : Tout d’abord cet hydrolysat extensif, enrichi en pré et probiotiques, a été très efficace sur les symptômes (les enfants ont repris une croissance normale) et sur la qualité de vie des parents. C’était un résultat attendu mais en même temps il était intéressant de le confirmer car très peu d’études ont été faites sur ces laits enrichis en pré et probiotiques. Ensuite l’étude a permis de montrer ce qu’était l’APLV dans la vraie vie, avec notamment une prépondérance des formes non IgE médiées associant des symptômes digestifs, des régurgitations, des pleurs, des troubles du sommeil… Elle nous permettra également de modifier notre pratique : nous avions coutume de dire aux parents : « Prenez l’hydrolysat et en quelques jours ça ira mieux… ». L’étude montre que le ressenti des parents situe plutôt la résolution des symptômes dans un délai d’environ sept jours. Mieux vaut prévenir les parents en amont pour qu’ils maintiennent l’essai de l’éviction. Enfin cette étude vise également à sensibiliser les pédiatres et leur dire « Attention, face à des symptômes digestifs chroniques, pensez à l’APLV et prescrivez un hydrolysat de protéines ». Ce premier travail est par ailleurs le prélude d’une autre étude beaucoup plus ambitieuse menée au niveau national sur plusieurs milliers de nourrissons à la fois en ville et à l’hôpital. Elle démarrera courant 2023 et vise à créer un véritable observatoire de l’APLV.

Propos recueillis

par Cendrine Barruyer-Latimier & Elvis Journo

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