• Dr Ester Artells : Concilier allaitement avec reprise du travail

Ester Artells

Discipline : Pédiatrie

Date : 10/01/2024


  • 454_photoParole_134PE_Artells.jpg

Si l’OMS recommande un allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois, en France le congé maternité se termine 10 semaines après la date présumée d’accouchement. Alors comment concilier allaitement avec travail ? Le point avec le Dr Ester Artells, consultante et formatrice chez Haricot en Provence.

 

TLM : Quels sont les avantages de l’allaitement maternel ?

Dr Ester Artells : Ses bénéfices sont présents dès son instauration, tant pour la mère que pour l’enfant. Une amélioration du système immunitaire et une diminution du risque d’asthme ont été observés chez les bébés allaités. Il y aussi une diminution du risque de diabète, d’obésité, d’allergies, de pathologies cardiaques et de survenue de cancer dans cette population. L’allaitement constitue donc un allié de taille en termes de prévention. Les avantages pour la mère allaitante sont aussi nombreux : diminution du risque de cancer du sein (jusqu’à moins 60 %) et des ovaires, prévention du risque d’ostéoporose, protection de dépression post-partum grâce à la production majeure d’ocytocine, etc. De plus, l’allaitement permet aux femmes de retrouver leur poids de forme plus rapidement. Enfin, les avantages économiques ne sont plus à démontrer.

 

TLM : Jusqu’à quel âge faut-il privilégier l’allaitement ?

Dr Ester Artells : L’OMS se base sur des données anthropologiques et recommande un allaitement exclusif pendant les six premiers mois de vie et sa poursuite en parallèle d’une diversification alimentaire jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Entre 6 et 12 mois, le lait doit cependant rester l’élément central de son alimentation. Mais il faut éviter de présenter ces recommandations comme une injonction et accompagner la mère dans son choix. On voit bien aussi que l’allaitement diffère aux quatre coins du monde et dépend des cultures. En tout état de cause, l’allaitement doit rester un plaisir pour la mère.

 

TLM : Quelles complications peuvent rencontrer les femmes allaitantes ?

Dr Ester Artells : Engorgement, crevasses et douleurs sont les principales complications auxquelles sont confrontées ces femmes. Mais un accompagnement bienveillant et adapté permet de réduire ces risques dans la très grande majorité des cas. Apprendre à la femme à être à l’écoute de son bébé, à reconnaître les signes de faim de son enfant (et ceux qui indiquent, au contraire, qu’il est rassasié), à bien positionner le nouveau-né pour une prise en bouche optimale… Autant de conseils qui devraient systématiquement être enseignés avant même la naissance, lors des séances de préparation à l’accouchement par exemple. C’est encore loin d’être le cas malheureusement.

 

TLM : Quels sont les principaux freins à la poursuite de l’allaitement ?

Dr Ester Artells : Un des principaux facteurs d’arrêt de l’allaitement maternel est le retour au travail qui entraîne non seulement la diminution de l’allaitement maternel exclusif, mais aussi le sevrage complet. La forte diminution du taux d’allaitement maternel avant les 2 mois de vie de l’enfant (uniquement 34,4 % des femmes allaitent exclusivement leur enfant à cet âge) coïncide avec la fin du congé maternité. Ceci est d’autant plus marqué dans les familles dont les conditions socio-économiques sont basses et moyennes alors que les femmes de condition plus favorisée peuvent se permettre des réductions journalières de leur temps de travail. La France fait partie des pires pays au monde sur ce point précis. D’autant plus que pour les femmes qui ont connu des difficultés, le délai de 10 semaines correspond le plus souvent au début de la mise en place d’un allaitement réussi.

 

TLM : Mais alors, quelles solutions pour ces femmes ?

Dr Ester Artells : Il existe plusieurs options en fonction du schéma socio-économique de la famille. A la fin du congé maternité, il est possible de demander une réduction journalière du temps de travail jusqu’aux 3 ans de l’enfant. Il s’agit du congé parental d’éducation. Par ailleurs, la loi française garantit aux salariées le droit de bénéficier de pauses pour allaiter, que ce soit la mise au sein (si une tierce personne peut emmener l’enfant sur le lieu de travail) ou l’utilisation d’un tire-lait. La femme allaitante a ici le droit à une heure de pause allaitement jusqu’à ce que son enfant soit âgé de 1 an.

 

TLM : Comment choisir son tire-lait ?

Dr Ester Artells : Avec l’évolution des technologies, l’offre de tire-lait s’est considérablement élargie ces dernières années et permet de répondre aux différents besoins des femmes. Plusieurs critères simples mais essentiels permettent de faire le bon choix. Parmi eux, on retrouve notamment le fait de privilégier un appareil agréable à utiliser ; s’assurer que la forme des téterelles est ergonomique et que leur taille est adaptée à la morphologie de la mère ; rechercher un modèle dont le fonctionnement est le plus proche de la manière dont le bébé tète le sein et considérer le prix de vente du tire-lait pour arbitrer entre achat et location. Si l’achat est une solution confortable pour choisir son appareil parmi une sélection plus large, la location est prise en charge par la Sécurité sociale.

 

TLM : Quel rôle pour le médecin généraliste ?

Dr Ester Artells : Il s’avère que certains médecins focalisent encore sur l’allaitement et délivrent de fausses informations fortement préjudiciables pour sa poursuite. Ce domaine pâtit d’un cruel manque de formation des professionnels de santé.

C’est la raison pour laquelle il me semble essentiel que les médecins généralistes s’intéressent plus au sujet et suivent les formations existantes. Conseiller à une mère d’arrêter d’allaiter parce qu’elle est fatiguée ou sous antibiotiques, par exemple, ou encore justifier ses difficultés à donner le sein par son manque de lait culpabilise à tort les femmes. Au point parfois d’entraîner un sevrage contre leur gré alors de que de nombreuses alternatives existent. Accompagner les jeunes mamans, les soutenir dans leur projet d’allaitement et s’intéresser à l’implication de leur entourage dans ce nouveau rôle est primordial aujourd’hui. Enfin, les femmes allaitantes peuvent aussi faire appel à des consultantes en lactation qui ont reçu une formation spécifique.

Propos recueillis

par Romy Dagorne

  • Scoop.it