• Dr DEVULDER : Le délai entre les coloscopies variable en fonction du risque individuel

Franck DEVULDER

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 11/04/2022


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Dans ses nouvelles recommandations, la communauté de la gastroentérologie estime que le délai entre deux coloscopies doit être adapté au niveau de risque de chaque patient, rapporte le Dr Franck Devulder, gastroentérologue hépatologue à la Polyclinique de Courlancy (Reims) et au Centre de consultation de Rethel (Ardennes), par ailleurs nouveau président de la CSMF.

 

TLM : Est-ce un excès de coloscopies qui a conduit la Société française d’endoscopie et le Conseil national professionnel d’hépato-gastro-entérologie (CNPHGE) à formuler ces nouvelles recommandations à peine un an après la publication des précédentes ?

Dr Franck Devulder : Non, au contraire, nous considérons que leur prescription est insuffisante dans les populations à risque élevé. Aujourd’hui, par crainte ou par manque d’informations, trop de personnes n’entreprennent aucune démarche diagnostique ou se contentent d’un test de dépistage alors que leur niveau de risque, notamment en raison d’antécédents personnels ou familiaux, devrait les inciter à réaliser directement une coloscopie.

 

TLM : Quel est, désormais, le délai préconisé entre deux coloscopies ?

Dr Franck Devulder : Tout dépend du niveau de risque du patient. Chez un patient qui présente un niveau de risque élevé, chez lequel la coloscopie a entraîné le retrait d’au moins cinq polypes ou d’un seul polype mais de grosse taille (≥10 mm), en dysplasie ou festonné, il reste de trois ans ; en revanche, il n’est plus systématiquement de cinq ans pour un patient à faible risque, chez qui la coloscopie a conduit à l’exérèse d’un ou deux petits adénomes (<10 mm) en dysplasie de bas grade. Dans ce cas, nous recommandons d’organiser, cinq ans après une première coloscopie, une consultation de prévention. Au cours de celle-ci, le gastroentérologue s’appuiera sur d’autres facteurs de risque (âge, mode de vie, poids...), pour proposer à son patient soit un nouvel examen, soit un simple test de dépistage de sang dans les selles par immunochimie (FIT).

 

TLM : Le nombre de coloscopies serait insuffisant mais vous préconisez d’allonger le délai entre deux coloscopies. N’est-ce pas paradoxal ?

Dr Franck Devulder : Non, car cela va dans le sens d’une prise en charge personnalisée, adaptée au niveau de risque de chacun. Nous recommandons à celles et ceux à qui l’on retire des polypes de très petite taille d’en parler à leur médecin et de laisser à leur gastroentérologue la décision de reporter la prochaine coloscopie à sept ou même dix ans, ou de les remettre dans le circuit de dépistage organisé.

 

TLM : Est-il pertinent de réaliser un FIT entre deux coloscopies ?

Dr Franck Devulder : Pour l’heure, ce n’est pas recommandé pour plusieurs raisons : un résultat négatif risque d’être faussement rassurant et d’amener le patient à retarder une coloscopie, même s’il présente des antécédents personnels et/ou familiaux qui devraient, au contraire, le conduire à être plus vigilant. En outre, comme tout test, le FIT n’est pas exempt de faux négatifs.

À l’inverse, un résultat positif à un test réalisé dans le cadre du dépistage organisé, un ou deux ans après une coloscopie normale, risque de l’inciter à refaire une coloscopie « car on ne sait jamais ». Ce n’est donc pas une démarche que nous préconisons.

 

TLM : Quels sont les critères de qualité d’une coloscopie ?

Dr Franck Devulder : Le principal critère de qualité est le taux de détection des polypes adénomateux, variable selon la population concernée : il est, par exemple, moins élevé chez les moins de 45 ans symptomatiques que chez les plus de 50 ans ayant un test FIT positif. Pour atteindre les taux de détection attendus, de nombreux critères interviennent : la qualité de la préparation colique, la formation du gastroentérologue, le temps de retrait (≥ 6 minutes en moyenne), la qualité de la résection, le temps alloué à la coloscopie (entre 30 et 45 minutes). La qualité de la consultation préalable, au cours de laquelle le patient est informé du déroulé de l’intervention, de ses tenants et aboutissants, de ses bénéfices et de ses risques, des alternatives possibles, etc., est également importante.

 

TLM : Qu’est-ce qu’une « bonne » préparation colique ?

Dr Franck Devulder : Le produit de préparation doit être buvable, efficace et ne présenter aucun danger. Fini les quatre litres de préparation à boire la veille de l’intervention ! Désormais, les préparations coliques sont présentées en petits volumes et leur prise doit être fractionnée pour avoir lieu au plus près de l’examen : la moitié doit être bue la veille, l’autre le matin même, entre trois et cinq heures avant la coloscopie. En cas de non-respect de ces consignes, il sera conseillé au patient de recommencer.

De nombreux gastroentérologues préconisent un prélavage par un traitement laxatif léger durant les trois jours qui précèdent l’examen, notamment chez les personnes constipées.

 

TLM : Quelle est la complication la plus redoutée de cet examen ?

Dr Franck Devulder : Grâce aux progrès techniques et à l’amélioration de l’apprentissage, la perforation du côlon est devenue extrêmement rare, avec moins d’1 cas pour 10 000 coloscopies. La véritable complication de la coloscopie est de passer à côté d’une lésion ou de ne pas faire une exérèse suffisamment large, et de voir évoluer un cancer.

 

TLM : Comment la crise de la Covid-19 a-t-elle impacté le dépistage du cancer colorectal ?

Dr Franck Devulder : Très durement. Chaque vague a entraîné le déclenchement d’un plan blanc, provoquant une déprogrammation des examens prévus. Résultat, nous avons cumulé un retard d’environ 140 000 coloscopies, que l’on peine à rattraper.

 

TLM : Est-ce dû à un manque de praticiens ?

Dr Franck Devulder : Non, pas pour le moment, mais la démographie médicale est un vrai sujet de préoccupation pour les années à venir : la moitié des gastroentérologues ont plus de 50 ans et un quart plus de 60 ans. Et la DREES n’attend pas une remontée de la démographie médicale avant 2026...

 

TLM : Le niveau de participation des Français au dépistage organisé du cancer colorectal est-il toujours aussi faible ?

Dr Franck Devulder : Oui, seuls 35 % des individus éligibles se font dépister ; or, cette politique de prévention du cancer colorectal —qui, rappelons-le, est le troisième cancer le plus fréquent et le deuxième le plus mortel, tous sexes confondus— ne peut être efficace que si au moins 45% y participent. Les médecins généralistes ont un rôle majeur et central à jouer, à eux de faire passer le message à leurs patients.

Propos recueillis

par Elvis Journo et Amélie Pelletier

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