• Dr David Malka : Comment prévenir la thrombose chez les patients cancéreux

Dr David Malka : Comment prévenir la thrombose chez les patients cancéreux
David Malka

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 10/04/2024


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Le fait d’avoir un cancer multiplie par 10 le risque de thrombose, relève le Dr David Malka, chef du département d’Oncologie médicale de l’Institut mutualiste Montsouris, Paris, justifiant généralement une thromboprophylaxie.

 

TLM : L’association maladie thromboembolique veineuse et cancer est-elle vraiment de plus en plus fréquente ?

Dr David Malka : C’est une association fréquente, connue depuis longtemps et décrite pour la première fois par le docteur Trousseau. Cette association est due au fait que le cancer en soi entraîne un état d’hypercoagulabilité : les cellules cancéreuses activeraient des molécules pro-coagulantes, activeraient les plaquettes et modifieraient l’endothélium. Ces modifications s’associent aux facteurs de risque de thromboembolie propres au patient, alitement, prédisposition génétique…Certains cancers sont plus thrombogènes que d’autres, comme celui du pancréas. Ce risque de thrombose est plus élevé qu’il y a trois décennies. L’espérance de vie avec un cancer augmente et donc aussi la période pendant laquelle des thromboses peuvent survenir. Certains anticancéreux, notamment les médicaments antiangiogéniques, ont aussi une action thrombosante. Pour résumer, le fait d’avoir un cancer multiplie par 10 le risque de thrombose. Celle-ci témoigne d’une agressivité plus importante de la tumeur. La thrombose associée au cancer est la deuxième cause de décès en cas de cancer, après la tumeur en elle-même.

 

TLM : Quand faut-il mettre en place une prévention de la maladie thomboembolique chez un malade du cancer ?

Dr David Malka : Pour un malade atteint de cancer hospitalisé pour une raison ou une autre, y compris en dehors d’une chirurgie, la thromboprophylaxie est recommandée. Le cancer est considéré comme un facteur de risque suffisant pour déclencher la décision de prévention dans le cadre d’une hospitalisation. Les essais sur la prévention de la thrombose ne sont pas dédiés uniquement aux patients atteints de cancer. Mais leurs résultats ont été extrapolés à ces patients. Cette prévention doit également être envisagée chez les malades du cancer après une intervention chirurgicale. Le niveau du traitement anticoagulant, sa durée, dépendent dans ce cas du type de chirurgie et du risque thrombotique propre au patient.

 

TLM : Comment mettre en place une prévention dans ce contexte ?

Dr David Malka : Le traitement de choix dans ce cadre, ce sont les héparines de bas poids moléculaire (HBPM). Les anticoagulants oraux directs (AOD) ne sont pas recommandés dans cette indication spécifique. Si lors de la sortie, le patient garde des facteurs de risque spécifiques, alitement, métastases, chimiothérapies, la thromboprophylaxie continuera. Des essais ont montré, chez des patients traités par chimiothérapie, que la prévention avec des HBPM diminue le taux de thrombose veineuse d’un facteur 5 et le taux d’embolie pulmonaire d’un facteur 7.

Ces traitements multiplient par deux le risque hémorragique. Le rapport bénéfice/risque, sauf exception, reste favorable dans ce contexte.

 

TLM : Faut-il préconiser une prévention pour les patients atteints de cancer non hospitalisés ?

Dr David Malka : Prenons le cas du cancer du pancréas d’un patient traité en ambulatoire.

Faut-il mettre en place une thromboprophylaxie ? Il s’agit d’un cancer réputé fortement thrombogène. Il y a eu des essais randomisés évaluant l’impact des HBPM sur la prévention des thromboses veineuses chez les patients atteints de cancer du pancréas traités par chimiothérapie. Les résultats confirment que cette prévention réduit fortement le risque de phlébite et d’embolie pulmonaire. Sur le plan vasculaire, l’objectif est atteint. En revanche, cette prévention ne modifie pas la mortalité globale. Faut-il alors prescrire ce traitement qui ne modifie pas le pronostic ? La réponse n’est pas simple. En réduisant ce risque thromboembolique, cependant, on évite des accidents mortels et une altération de la qualité de vie. Par ailleurs, les trois premiers mois suivant l’instauration d’une chimiothérapie représentent la période la plus à risque de thromboembolie. Faut-il couvrir seulement cette période ? Des scores d’évaluation du risque de thrombose chez les malades atteints de cancer ont été mis au point, comme le score KHORANA. Ces scores ne sont pas parfaits car non extrapolables à tous les cancers, mais utiles. Lorsque le score montre un risque supérieur à 10%, il est légitime de discuter la mise en place d’une prévention.

 

TLM : Et comment traiter les phlébites ou les embolies chez les patients atteints de cancer ?

Dr David Malka : Qu’il s’agisse d’un patient atteint de cancer présentant une phlébite ou une embolie pulmonaire symptomatique ou que celle-ci soit de découverte fortuite, le traitement recommandé dans toutes les situations, ce sont les HBPM, sauf en cas de risque hémorragique important, d’insuffisance rénale sévère ou d’allergie à ces médicaments. On peut éventuellement utiliser les anticoagulants oraux directs. Mais les HBPM sont le traitement de choix, en particulier lorsque le patient est à risque d’hémorragie, comme c’est le cas pour les tumeurs endoluminales, digestives (notamment œsophage, estomac) ou urothéliales, à risque plus élevé de saignements.

 

TLM : Quels sont les risques d’interactions médicamenteuses avec ces classes de médicaments ?

Dr David Malka : Les anticoagulants oraux directs sont principalement métabolisés par la voie du cytochrome CYP3A4 et de la glycoprotéine (P-gp). Leur biodisponibilité peut être impactée par les inhibiteurs ou les inducteurs de CYP3A4 ou de P-gp. Divers médicaments, antiarythmiques, statines, inhibiteurs calciques… et plusieurs antitumoraux, impactent ces voies et modifient donc la biodisponibilité de ces anticoagulants. Ces interactions contribuent à des risques de sur ou sous-dosage de ces anticoagulants, avec un risque respectif d’hémorragie ou d’inefficacité. Il n’y a pas d’interaction similaire avec les HBPM.

 

TLM : Quand faut-il interrompre le traitement anticoagulant chez un patient atteint de cancer, après une phlébite ou une embolie pulmonaire ?

Dr David Malka : En pratique le traitement anticoagulant doit durer tant que le cancer est actif. Lorsque l’imagerie ne montre plus de lésion et que le patient n’a plus de chimiothérapie, il est alors possible de l’arrêter (après la durée de traitement requise).

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

Le Dr David Malka déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie, Amgen, AstraZeneca, Bayer, BMS, Foundation Medicine, Incyte, Leo Pharma, Merck Serono, MSD, Pierre Fabre Oncologie, Roche, Sanofi, Servier, Taiho, Viatris.

AVEC LE SOUTIEN INSTITUTIONNEL DE LEO PHARMA

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