• Dr Constance Le Goux : Traitement de la cystite aiguë chez la femme enceinte

Constance Le Goux

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 08/10/2024


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En cas de colonisation bactérienne urinaire chez la femme enceinte, il convient de privilégier les molécules ayant le spectre le plus étroit possible, le moindre impact sur le microbiote intestinal et la meilleure tolérance maternelle, préconise le Dr Constance Le Goux, chirurgienne urologue à Neuilly-sur-Seine.

 

TLM : Quelle est la fréquence des infections urinaires pendant la grossesse ?

Dr Constance Le Goux : Il existe peu de données épidémiologiques concernant les infections urinaires chez la femme enceinte en particulier. Cependant, pendant la grossesse, toute infection urinaire est par définition considérée comme à risque de complications, avec un risque d’évolution vers une pyélonéphrite, assortie de conséquences néfastes à la fois pour la mère et pour l’enfant. L’Association française d’urologie a élaboré un certain nombre de recommandations de bonnes pratiques en 2018 concernant la prise en charge des infections urinaires au cours de la grossesse.

 

TLM : Connaît-on les facteurs favorisants de ces infections pendant la grossesse ?

Dr Constance Le Goux : Certaines modifications anatomiques sont des facteurs favorisant pour ces infections, notamment la compression directe de la vessie par l’utérus gravide. De manière générale, l’immunodépression physiologique de la grossesse est un facteur qui favorise le développement de bactéries dans la vessie et le haut appareil urinaire. Par ailleurs, les antécédents d’infection urinaire hors grossesse, les rapports sexuels fréquents pendant la grossesse, seraient également des facteurs de risque.

 

TLM : Quelles conséquences de ces infections pour la mère et l’enfant ?

Dr Constance Le Goux : Selon plusieurs études, entre 20 et 40 % des colonisations urinaires gravidiques se compliqueraient d’une pyélonéphrite aiguë, contrairement aux infections urinaires hors grossesse. Il a été démontré que chez la femme enceinte, le traitement systématique des colonisations urinaires gravidiques réduit le risque d’évolution vers une pyélonéphrite. En revanche, les liens entre la colonisation bactérienne urinaire pendant la grossesse et la prématurité sont controversés, tout comme l’association avec un faible poids de naissance du bébé.

 

TLM : Quelles sont les recommandations quant à la surveillance de ce risque chez la femme enceinte ?

Dr Constance Le Goux : Les sociétés savantes recommandent d’effectuer chaque mois, chez toutes les femmes enceintes, dès le quatrième mois de grossesse, un test par bandelette urinaire pour rechercher les leucocytes et les nitrites, traduisant le cas échéant la présence d’une colonisation bactérienne. Si le test par bandelette urinaire est positif, un ECBU, examen de référence, sera systématiquement effectué pour confirmer le diagnostic et faire un antibiogramme. Chez les femmes à haut risque d’infection, c’est-à-dire celles souffrant d’une uropathie organique ou fonctionnelle, d’un diabète ou d’antécédents de cystique aiguë récidivante, un ECBU est recommandé dès la première consultation et systématiquement tous les mois dès le quatrième mois de grossesse. Par ailleurs, tout symptôme d’infection urinaire, pollakiurie, brûlures mictionnelles, hématurie, doivent faire rapidement l’objet d’un ECBU.

 

TLM : Faut-il traiter systématiquement les colonisations bactériennes urinaires, même en l’absence de symptômes ?

Dr Constance Le Goux : Également dénommées bactériuries asymptomatiques, les colonisations urinaires correspondent à la présence de micro-organismes dans les urines, sans manifestation clinique. Il y a un consensus dans toutes les recommandations nationales et internationnales pour traiter systématiquement les colonisations urinaires pendant la grossesse. Le risque de pyélonéphrite élevé chez la femme enceinte justifie ce traitement. Et bien sûr, a fortiori, toute infection urinaire pendant la grossesse doit être traitée.

Des données récentes montrent néanmoins que l’on pourrait s’en tenir à un dépistage unique en début de grossesse, diminuer les durées de traitement et ne pas recontrôler l’ECBU après traitement.

 

TLM : Quel traitement faut-il mettre en place en cas de colonisation bactérienne urinaire ?

Dr Constance Le Goux : Il s’agit d’un traitement d’emblée adapté aux résultats d’un antibiogramme. Il convient de privilégier les molécules ayant le spectre le plus étroit possible, le moindre impact sur le microbiote intestinal et la meilleure tolérance maternelle. Il est possible de prescrire en première intention de l’amoxicilline, en deuxième intention du pivmécillinam, en troisième intention l’association fosfomycine/trométamol, en quatrième intention le triméthoprime qui doit être évité les deux premiers mois de la grossesse. La durée de traitement recommandée est une dose unique pour la fosfomycine et de sept jours pour les autres médicaments. Un ECBU 8 à 10 jours après l’arrêt du traitement est recommandé, suivi d’un ECBU mensuel jusqu’à l’accouchement. Des données récentes montrent cependant que l’on pourrait ne pas recontrôler l’ECBU après traitement.

 

TLM : Faut-il un traitement spécifique pour les infections urinaires symptomatiques ?

Dr Constance Le Goux : Un traitement antibiotique probabiliste doit être débuté sans attendre les résultats de l’antibiogramme au regard du risque de pyélonéphrite.

Les critères de choix sont les mêmes : faible risque de résistance, efficacité démontrée, excellent profil de tolérance maternel et fœtal. Le traitement de première intention recommandé est la fosfomycine à dose unique. Le pivmécillinam est proposé en deuxième intention. En troisième intention peuvent se discuter nitrofurantoïne, céfixime ou ciprofloxacine, seule fluoroquinolone est indiquée au cours de la grossesse du fait d’une pharmacovigilance rassurante. L’antibiothérapie doit être réévaluée dès que possible selon l’antibiogramme et l’évolution clinique.

Lorsqu’un changement est nécessaire, la hiérarchie est la même que pour la colonisation gravidique : amoxicilline en première intention, pivmécillinam ou fosfomycine en deuxième intention, selon ce qui a été pris préalablement ; triméthoprime en troisième intention (à éviter les deux premiers mois de grossesse), amoxicilline-acide clavulanique….

 

TLM : Quel est le traitement recommandé pour les infections urinaires pendant l’allaitement ?

Dr Constance Le Goux : Selon le Centre de référence des agents tératogènes (CRAT), en fonction des résultats de l’ECBU, il est possible de prescrire pendant l’allaitement de l’amoxicilline, du pivmecillinam, de la fosfomycine, de la triméthoprime.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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