• Dr COLAS : Immunothérapie allergénique : Vers une médecine individualisée

Luc COLAS

Discipline : Allergologie

Date : 11/07/2022


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L’immunothérapie allergénique (ITA) est un traitement étiologique qui consiste à administrer, de manière progressive, des doses croissantes d’extraits allergéniques. EfficAspi, une étude rétrospective longitudinale française conduite par le laboratoire Stallergenes Greer, vient d’évaluer son efficacité sur la rhinite allergique et sur l’asthme. Le Dr Luc Colas, allergologue et immunologiste au CHU de Nantes, nous en livre les enseignements.

 

TLM : En quoi l’étude EfficAspi est-elle instructive quant aux bénéfices de l’immunothérapie allergénique ?

Dr Luc Colas : EfficAspi est la plus grande étude de vraie vie à partir des données de santé du système de soins français jamais réalisée dans le monde sur l’immunothérapie allergénique.

Jusqu’à présent, les études portaient sur des cohortes étrangères, sur des effectifs plus faibles ou un suivi plus court.

Sachant que l’immunothérapie dure trois à quatre ans et que les effets attendus se prolongent sur plusieurs années, il était compliqué d’extrapoler la pertinence de ce traitement au long cours.

Les résultats EfficAspi témoignent d’un effet réel de l’ITA sur la prévention de l’asthme chez les patients atteints de rhinite allergique ainsi que l’aggravation de l’asthme allergique, y compris pour les formes sévères. L’immunothérapie allergénique constitue donc bien un traitement complémentaire à l’arsenal thérapeutique dans la prise en charge du patient rhinitique ou asthmatique. Il faut toutefois garder en tête que les résultats d’EffiApsi se basent sur la consommation de médicament pour l’asthme ou la rhinite ou encore la mise en place d’ALD pour l’asthme sévère.

 

TLM : Comment décrire le mécanisme de la réaction immuno-inflammatoire ?

Dr Luc Colas : Un allergène fait partie de l’environnement, mais ne déclenche normalement pas de réponse pathologique. Tous les humains sont dotés d’une tolérance aux allergènes. Pour différentes raisons, à un moment de la vie d’un individu, des mécanismes immunologiques génèrent une rupture de cette tolérance, entraînant une inflammation dite de type 2. Une mémoire se crée alors contre cet allergène. Pour qu’un patient soit déclaré allergique, les symptômes et la mémoire à l’allergène doivent avoir une causalité directe. Dans le cadre d’une allergie respiratoire, l’allergène arrive au niveau des épithélia, par exemple les épithélia respiratoires, générant une réaction inflammatoire.

L’épithélium se met alors à sécréter des substances, les cytokines, des molécules de communication avec le système immunitaire, qui vont orienter/polariser vers cette fameuse inflammation de type 2 caractéristique des maladies allergiques. À ce moment-là s’activent des lymphocytes T et des lymphocytes B, des cellules qui vont reconnaître de manière spécifique l’allergène et devenir des cellules mémoires. Les lymphocytes T orchestreront la réponse inflammatoire lorsque le patient sera exposé. Les lymphocytes B créent cette fameuse immunoglobuline de type E, spécifique de l’allergène (forme de mémoire), qui se fixe sur les cellules telles que les mastocytes, les basophiles ou encore les éosinophiles. Une réexposition à l’allergène engendrera alors des syndromes très aigus par l’activation des mastocytes et les basophiles et des symptômes un peu plus chroniques par l’activation des éosinophiles.

 

TLM : Tous les patients allergiques sont-ils uniques dans leur réponse immuno-inflammatoire ?

Dr Luc Colas : Oui. Et c’est d’ailleurs là que résident l’intérêt et la complexité de l’allergologie. Prenez 100 patients allergiques : tous vont avoir des symptômes cliniques différents alors qu’ils présentent une rhinite allergique aux pollens par exemple. L’expression clinique, l’intensité des symptômes et la gravité des symptômes sont propres à chaque patient. Les mécanismes à l’œuvre sont en effet modulés par tout un tas de facteurs, comme la génétique et le fameux microbiote du patient, mais aussi l’environnement. La pollution, les microparticules, l’alimentation jouent aussi des rôles par rapport à la façon dont la réponse inflammatoire se met en œuvre et son intensité. Il est cependant possible de créer des groupes de patients dont la réponse immuno-inflammatoire est proche. L’objectif est d’alors d’identifier des mécanismes communs à ces groupes de patients qui pourraient être utilisés à des fins thérapeutiques, qu’elles soient médicamenteuses ou non médicamenteuses.

 

TLM : À profil immunologique unique prise en charge personnalisée donc...

Dr Luc Colas : C’est en effet l’objectif, à terme. La médecine dite de précision vise à identifier des caractéristiques phénotypiques, voire des mécanismes. Elle s’apparente à la médecine personnalisée, mais, à l’heure actuelle, nous ne sommes pas encore en capacité d’apporter une réponse vraiment spécifique pour chaque patient. L’allergologie constitue un peu une spécialité précurseure dans la médecine de précision. A l’heure actuelle, l’allergologie moléculaire nous permet de mieux comprendre le(s) allergène(s) en cause dans une allergie respiratoire pour un patient donné et ainsi adapté son ITA afin qu’elle soit le plus efficace possible. C’est un premier pas vers la médecine de précision. A l’avenir, grâce à l’avancée des connaissances en médecine personnalisée, l’objectif sera de pouvoir personnaliser la durée, les modalités d’administration aux différents mécanismes à l’œuvre chez un patient donné afin d’optimiser cette tolérance induite à l’allergène.

 

TLM : Quelle est l’efficacité de l’immunothérapie allergénique, par exemple dans le cas de la rhinite allergique ?

Dr Luc Colas : Tout dépend de ce qui génère la rhinite allergique. Si nous nous basons sur les allergènes les plus fréquents en Europe, à savoir les acariens et les pollens, l’efficacité est supérieure à 95%. Pour les moisissures, le pourcentage de réussite est d’environ 70 %. Des progrès ont été faits récemment dans les désensibilisations aux poils d’animaux. Tous les symptômes ne sont pas forcément supprimés, mais ils deviennent tolérables, voire minimes. Certains patients atteints de rhinite sévère ne peuvent pas aller travailler. Cette pathologie qui n’est pas mortelle engendre donc des impacts médico-économiques pour la société. La désensibilisation permet aux patients d’avoir une vie personnelle et professionnelle normale. Les retentissements sont également positifs sur l’humeur, le sommeil.

 

TLM : Quel est le rôle du généraliste dans le suivi des patients allergiques ?

Dr Luc Colas : Aujourd’hui, le médecin généraliste se contente le plus souvent d’adresser des patients à l’allergologue. Une fois la désensibilisation mise en place, c’est l’allergologue qui assure le suivi. Il serait intéressant d’impliquer plus les médecins généralistes intéressés à l’allergologie, d’autant que le nombre d’allergologues est faible au regard de la population allergique en France.

Notamment par l’utilisation de questionnaires standardisés simples et rapides pour évaluer l’efficacité de l’ITA chez le patient. En cas de bonne évolution des symptômes du patient, le renouvellement pourrait être assuré par le médecin généraliste, à l’issue d’une formation ciblée.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

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