• Dr Christophe Philippe : Vaccination méningococcique : Un taux encore insuffisant

Christophe Philippe

Discipline : Pédiatrie

Date : 23/10/2023


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Le taux de vaccination contre les infections invasives à méningocoque du sérogroupe B reste trop faible, alerte le Dr Christophe Philippe, pédiatre et pédopsychiatre au Centre Hospitalier de Plaisir (Yvelynes). Il appelle les professionnels de santé à proposer systématiquement ce vaccin aux parents de nouveau-nés, seul moyen de prévenir ces maladies potentiellement mortelles.

 

TLM : La Haute Autorité de santé a été saisie par la Direction générale de la santé pour évaluer la pertinence d’actualiser les recommandations relatives à la stratégie de vaccination contre les infections invasives à méningocoques (IIM) des sérogroupes ACWY et B, en particulier chez les nourrissons, les adolescents et/ou les jeunes adultes. En cause, la reprise de la circulation des méningocoques. L’avez-vous constaté sur le terrain ?

Dr Christophe Philippe : Avant la pandémie de Covid-19, l’incidence était d’environ 500 cas annuels, avec une nette prédominance des infections du groupe B. Pendant la pandémie et les confinements successifs, elle est tombée à 219 cas. Mais depuis le deuxième semestre 2021, on observe une remontée des cas, notamment de ceux liés aux sérogroupes W, Y et B ; pour le seul mois de décembre 2022, 84 cas ont été enregistrés ! Ce pic était en outre beaucoup plus précoce que celui observé habituellement, généralement entre janvier et mars. Il s’agissait essentiellement d’IIMB (53%), et pour la première fois les infections dues au sérogroupe Y étaient plus nombreuses que celles dues au sérogroupe W. C’est sans doute pourquoi les autorités sanitaires envisagent de revoir la stratégie vaccinale contre ces maladies.

 

TLM : Pouvez-vous nous rappeler les populations le plus à risque ?

Dr Christophe Philippe : Les IIM sont présentes à tout âge mais elles touchent principalement les très jeunes enfants et les adolescents et, dans une moindre mesure, les personnes âgées. Ainsi le premier pic survient chez les très jeunes enfants de moins d’un an, l’incidence y est 13 fois plus élevée que dans la population générale. Le deuxième pic entre 15 et 24 ans et, enfin, un troisième pic chez les personnes âgées. Les IIM de sérogroupe B constituent la majorité des cas chez les enfants et les adolescents. Les IIM-Y affectent plus volontiers les adultes que les enfants, en particulier les personnes âgées de 60 ans et plus mais, là encore, la pandémie a modifié le tableau avec un plus grand nombre d’infections chez les jeunes adultes de 15 à 24 ans et l’apparition de cas chez les jeunes enfants. Quant aux IIM-W, elles peuvent toucher toutes les classes d’âge.

 

TLM : Comment expliquez-vous cette hausse de l’incidence des IIM, en particulier chez les jeunes adultes ?

Dr Christophe Philippe : Pour le Pr Robert Cohen, pédiatre infectiologue au CHI de Créteil, on paye la « dette immunitaire » liée à la crise sanitaire —une théorie selon laquelle le confinement et les gestes barrières ont limité la circulation des virus et des bactéries, réduisant ainsi le développement d’une immunité muqueuse par diminution du portage de ces germes—, mais cette explication n’obtient pas un large consensus. D’autres évoquent une fragilisation de la muqueuse oropharyngée, conséquence de son agression par le SARS-CoV-2 et le virus grippal. On peut aussi très certainement pointer du doigt la reprise des interactions sociales, notamment chez les adolescents et jeunes adultes, ainsi que le taux de couverture vaccinale contre les IIM-B, qui reste insuffisant ches les nourrissons. Le vaccin est pourtant recommandé chez les enfants de moins de deux ans et pris en charge par l’Assurance maladie depuis mai 2022... Pendant longtemps, l’absence de recommandations de la part des autorités de santé et le non-remboursement du vaccin ont freiné cette vaccination. Les changements opérés l’année dernière devraient très certainement changer les choses mais on constate que cela prend du temps. Une enquête menée chez les bébés de huit mois montre que seuls 48,8 % d’entre eux ont reçu une première injection, un taux bien inférieur à nos espérances.

Pourtant, selon une autre enquête menée par un laboratoire pharmaceutique, 83% des parents sont favorables à cette vaccination. On est également loin du taux de vaccination contre l’IIM-C, qui n’est lui-même pas optimal : 88,8% des enfants ont reçu première dose à huit mois et 92,7% à 24 mois, alors que l’on devrait atteindre 95% selon les recommandations.

 

TLM : La vaccination contre les IIM est-elle le seul moyen de prévention contre ces infections ?

Dr Christophe Philippe : Oui, c’est le moyen le plus efficace, mais seul le vaccin méningococcique C est obligatoire avec une injection à l’âge de cinq mois et un rappel à l’âge de 12 mois. C’est pourquoi il est recommandé de proposer systématiquement le vaccin méningococcique B aux parents de nourrissons. En pratique, la première injection est conseillée à l’âge de trois mois, la seconde à cinq mois, et le rappel à 12 mois. Comme les rappels de ces deux vaccins coïncident avec ceux de deux autres vaccins, le médecin peut proposer de combiner le rappel contre l’IIM-B avec celui du ROR et de décaler celui contre l’IIM-C à 13 mois pour limiter le nombre d’injections à un an. Bien qu’il n’y ait pas de recommandations en ce sens, les autres enfants d’une fratrie peuvent également être vaccinés, conformément à l’AMM du vaccin.

Pour l’heure, les vaccins tétravalents conjugués ACYW sont recommandés uniquement pour les populations à risque (personnes souffrant d’un déficit immunitaire, cas contact...) ; mais, compte tenu de la hausse de l’incidence des infections liées à ces sérogroupes, la HAS devrait émettre de nouvelles recommandations très prochainement.

 

TLM : Quels sont les symptômes évocateurs ?

Dr Christophe Philippe : Il s’agit d’infections très difficiles à diagnostiquer. Les premiers symptômes sont ceux d’une grippe classique : fièvre, courbatures, perte d’appétit... Rien de très spécifique si ce n’est une mauvaise tolérance à la fièvre : l’enfant a un comportement anormal et inhabituel, et il répond moins bien au traitement antipyrétique. C’est pourquoi il est essentiel d’écouter les parents qui vous disent : « c’est pas comme d’habitude ». Avant un an, en cas de méningite, la raideur de nuque n’est pastoujours présente ; le symptôme qui doit alerter est, au contraire, une hypotonie musculaire. D’autres signes peuvent orienter le diagnostic comme des fontanelles bombées qui traduisent une élévation de la pression intracrânienne, une pâleur inhabituelle, des extrémités froides qui peuvent refléter un trouble hémodynamique survenant pendant la phase de septicémie de l’infection, ou encore des signes cutanés caractéristiques d’un purpura. Après quatre ans, les signes sont plus caractéristiques, avec notamment l’apparition d’une raideur nucale et d’une photophobie. Rappelons qussi que dans un tiers des cas d’IMM, le tableau clinique peut être celui d’une septicémie sans méningite. Au moindre doute, ne pas hésiter à envoyer l’enfant aux urgences.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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