• Dr Christophe Hommel : Vaccination contre le HPV : les garçons aussi !

Christophe Hommel

Discipline : Infectiologie

Date : 06/07/2023


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Les papillomavirus touchent les deux sexes et la vaccination est tout aussi importante pour les hommes chez qui il n’y a pas de dépistage possible.

Le point de vue du Dr Christophe Hommel, médecin spécialiste en Vaccinologie et Médecine des voyages au CHRU de Strasbourg.

 

TLM : Combien de personnes —hommes et femmes— sont-elles concernées par l’infection HPV en France ?

Dr Christophe Hommel : La quasi-totalité des humains sont exposés, à un moment donné dans la vie, à l’un ou plusieurs des deux cents papillomavirus connus. Mais ils n’ont pastousle même pouvoir pathogène. Certains —HPV 6 et 11— sont responsables de verrues génitales, d’autres —principalement 16 et 18— de cancers, et d’autres sont inoffensifs. Chaque année en France, les verrues génitales touchent 100 000 personnes (50 000 dans chaque sexe). Ces lésions précoces —vers 20-24 ans— sont très contagieuses, de traitement très long et douloureux. On déplore 50 à 90% de récidives, et un retentissement fort sur la qualité de vie.

 

TLM : La vaccination contre le HPV est aussi recommandée pour les garçons. Sontils concernés autant que les filles par cette famille de virus ?

Dr Christophe Hommel : Oui, ces virus touchent les deux sexes.

Une fois infecté, l’organisme parvient majoritairement à éliminer les HPV : on parle de clairance naturelle du virus.

Mais dans le cas inverse, l’infection persiste et peut avoir de graves conséquences telles que l’apparition de cancers. Cette clairance naturelle existe plus chez les femmes que chez les hommes, même si le nombre de cancers liés au papillomavirusreste plus élevé chezlesfemmes que chezles hommes.

 

TLM : Quelques chiffres sur ces cancers ?

Dr Christophe Hommel : En France chaque année, 6300 nouveaux cas de cancers sont liés aux papillomavirus, dont 1700 chez les hommes. Chez les femmes, on dénombre 3000 cancers du col, 200 de la vulve et du vagin, 1100 de l’anus et 380 cancers ORL. Chez l’homme c’est 360 cancers de l’anus, 90 du pénis, mais surtout 1300 cancers des voies aérodigestives supérieures. Contrairement au cancer du col de l’utérus, où il existe un programme de dépistage secondaire (frottis ou test HPV selon l’âge) pour les femmes, pour tous les autres cancers, et donc pour ceux survenant chez les hommes, aucun dépistage n’est possible. Chez l’homme on diagnostique toujours des lésions au stade de cancer et jamais de lésion précancéreuse. Le pronostic peut être sombre et les traitements complexes si le diagnostic est tardif.

 

TLM : La vaccination permet-elle de réduire efficacement ces pathologies ?

Dr Christophe Hommel : La meilleure des préventions est la vaccination puisqu’il n’y a pas de dépistage possible pour la grande majorité des cancers. C’est donc la prévention primaire qui prime. Les résultats sont extraordinaires : avec le vaccin nonavalent, on obtient 90% de prévention des cancers liés aux papillomavirus. Les 10 % restants sont des cancers liés à des HPV non présents dans le vaccin.

 

TLM : Quelles sont les modalités pratiques de cette vaccination ? À quel âge les garçons doivent-ils se faire vacciner ?

Dr Christophe Hommel : Le schéma vaccinal est le même chez les garçons et les filles de 11 à 19 ans : deux doses au total à six mois d’intervalle entre 11 et 14 ans révolus. Si on se fait vacciner plus tardivement, de 15 ans à 19 ans révolus, ce sera selon un schéma à trois doses en fonction de l’AMM des vaccins.

Le rappel dTcaP (diphtérie-tétanos-coqueluche-poliomyélite) prévu entre 11 et 13 ans est un bon moment pour penser à la vaccination des 11-14 ans. Toutefois il n’est jamais trop tard pour vacciner un adolescent, même s’il a déjà débuté une activité sexuelle.

 

TLM : Est-ce efficace pour un garçon de se faire vacciner à l’âge adulte s’il n’a pas pu le faire aux âges indiqués ?

Dr Christophe Hommel : La grande majorité des pays en Europe recommandent cette vaccination jusqu’à 26 ans. Les Américains vont jusqu’à 45 ans. En France, il n’y a qu’une extension de recommandation pour la communauté HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) : trois doses qui peuvent se faire jusqu’à 26 ans.

Je déplore que la prise en charge du vaccin par les CPAM pour les filles s’arrête à 20 ans, alors qu’on dénombre trois fois plus de cancers chez les femmes que chez les hommes. Une situation scandaleuse !

 

TLM : Les études montrent-elles une efficacité de la vaccination après 26 ans ?

Dr Christophe Hommel : Mieux vaut tard que jamais pour les deux sexes. Des études sont en cours pour apporter cette preuve d’intérêt d’une vaccination tardive. Celles dont on dispose montrent que, si une femme a des lésions précancéreuses entre 25 et 35 ans, on devrait la vacciner pour éviter les réinfestations. On ne s’auto-immunise pas lorsqu’on contracte un papillomavirus, on peut continuer à se réinfester par l’activité sexuelle. Le message à faire passer, c’est de se faire vacciner le plus tôt, dès l’âge de 11 ans, mais pour autant il n’est jamais trop tard. Par ailleurs, rappelons qu’il n’y a pas besoin de rapport sexuel avec pénétration pour se contaminer, car le HPV se transmet aussi par contact cutané, lors de caresses intimes par exemple.

Même s’il reste efficace pour protéger contre les autres IST, le préservatif ne protège que partiellement des infections à papillomavirus et n’empêche pas la transmission du virus. Donc la vaccination est importante.

 

TLM : Pourquoi la couverture vaccinale est-elle insuffisante en France ? L’estelle davantage chez les garçons ?

Dr Christophe Hommel : Pour le vaccin HPV nous sommes en queue de peloton en ce qui concerne les couvertures vaccinales. Très loin derrière beaucoup de pays, notamment l’Australie, les USA, le Portugal, l’Espagne ou l’Angleterre ! En 2022 en France, la couverture vaccinale est très insuffisante : 40% chez les filles, 9% chez les garçons. Nous nous sommes battus pour que les garçons soient inclus dans le calendrier vaccinal au même titre que les filles : ils le sont seulement depuis 2019 et la vaccination a réellement commencé en 2021, plus de 10 ans après les Australiens. Ce qui explique sans doute nos piètres résultats chez les garçons et tout le travail qu’il reste pour arriver à l’objectif qui est de 80% de couverture vaccinale pour les garçons et pour les filles.

 

TLM : Le médecin généraliste doit-il convaincre les parents récalcitrants ?

Dr Christophe Hommel : Un parent antivax restera malheureusement antivax ; mais c’est face aux parents hésitants qu’on peut agir. Je constate trop souvent que, lorsque la vaccination n’est pas réalisée, c’est que l’information n’a pas été délivrée de façon claire et convaincante. Le rôle du médecin généraliste, c’est d’informer avec pédagogie et insistance. Avant on disait : si votre fille a déjà une activité sexuelle, c’est trop tard pour vacciner. C’est faux. Pour cette vaccination le généraliste doit surtout évoquer la gravité des cancers et la difficulté de les traiter dans les deux sexes et ensuite recommander personnellement la vaccination. Nous avons l’opportunité d’éviter ces cancers avec un vaccin efficace et sûr. L’absence de vaccination constitue une perte de chances indéniable.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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